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Afin de récompenser ma fidélité et me faire aimer mon pays, le magasin de surgelés m'envoie régulièrement ses nouvelles promotions. La campagne du moment est tout bonnement intitulée C'est bon la France. M'est proposée une sélection de produits à prix réduits : du boeuf bourguignon à la quiche lorraine en passant par la tarte tatin, les cordons de poulet au beaufort A.O.P, les pains au chocolat (2 barres chocolat) pur beurre, ou encore la mogette de Vendée haricots blancs. Acheter ces produits estampillés France me fera-t-il avaler tout le reste ?
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Une énième tribune de soignants dénonçait il y a quinze jours les conditions de travail qu'affrontent les blouses blanches à l'heure de cette fameuse deuxième vague et critiquait la gestion de la crise par la bande au pouvoir. Malgré le discours officiel, rien n'aurait été anticipé, modifié — mise à part la suppression récente ou à venir d'une centaine de lits d'hôpitaux — pour faire face au virus que des spots publicitaires du ministère du sinistre Véran quotidiennement nous ont pourtant assuré depuis le mois de mai être toujours virulent. « Vous allez souffrir, je le sais, c'est comme ça », vient de répondre avec sa franchise légendaire et son accent du sud-ouest notre rigolo Premier ministre. Se souvient-on qu'un autre ministre, à la veille des derniers congés scolaires, soit à la même époque que cette tribune, incitait les Français à partir en vacances, en soutien à l'industrie du tourisme mal en point ?
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Autre point mal en point, celui promis par Castexte, quinze jours après l'annonce du reconfinement. Il sera vraissemblablement inutile tant ce nouvel enfermement schizophrène est contourné et moqué de tous côtés : écoles, collèges et lycées non fermés — pourtant foyers de contamination démontrés —, télétravail peu suivi, dérogations de déplacements tous azimut, abus de toute sorte au sein des entreprises, les Français tirent la langue au gouvernement qui promet restrictions et surveillance plus sévères. L'obscur Conseil de Défense, au coeur désormais de toute prise de décision politique, serait sur le pied de guerre.
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Déjà le projet de loi de Sécurité globale, que nous pourrions croire sorti d'un mauvais roman d'anticipation du siècle dernier, annonce une surveillance toujours plus accrue des citoyens à l'aide de drones équipés de caméras, un assouplissement des prérogatives des policiers municipaux et des sociétés de sécurité privées, le recours à la reconnaissance faciale, et bien entendu l'interdiction pour les manifestants et internautes de diffuser des images de violences policières sur les réseaux sociaux... De belles dispositions qui s'ajoutent, après les derniers attentats terroristes, à l'idée balancée dans les médias d'un renforcement de la déchéance de nationalité ou encore de la création d'un Guantanamo à la française... Si l'Etat se préparait à une guerre civile, ou cédait clairement à la tentation totalitaire, s'y prendrait-il autrement ?
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Contrairement aux établissements fabriqués au siècle suivant, disons des années 1960 à nos jours, ceux notamment qui affichent leur transparence, je me sens entièrement en confiance lorsque qu'il m'arrive, comme hier, de me perdre dans les couloirs aux murs lépreux d'un de ces hôpitaux du XIXe siècle vers six heures du soir parmi les odeurs de détergent, de soupe aux légumes et de merde. Je sais qu'ici on ne me raconte pas d'histoires. Souffrance et mort m'attendent dans l'une de ces chambres.
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Je veux me réveiller de bonne heure encore une fois,
avant le lever du soleil. Avant les oiseaux même.
Je veux m’asperger le visage d’eau froide
être assis à ma table de travail quand le ciel s’éclaircit et que la fumée
commence à sortir des cheminées
des maisons voisines.
Je veux voir les vagues se briser
sur les rochers de la plage,
pas seulement les entendre
comme cette nuit dans mon sommeil.
Je veux revoir les bateaux
de toutes les nations côtières du monde
passer le détroit -
vieux navires marchands crasseux avançant au ralenti,
et les rapides cargos modernes
peints de toutes les couleurs
qui déchirent l’eau sur leur passage.
Je veux avoir un œil sur eux.
Et sur les petits remorqueurs qui font la navette entre les cargos
et le poste du pilote près du phare.
Je veux les regarder débarquer un homme d’un bateau
puis en embarquer un autre.
Je veux passer la journée à regarder ce qui arrive
et en tirer mes propres conclusions.
Je déteste avoir l’air pingre - j’ai tant de raisons
déjà de remercier la vie.
Mais je veux me lever de bonne heure
au moins une fois encore.
Aller à ma place avec du café et attendre.
Attendre simplement, pour voir ce qui va se passer.
Raymond Carver : Là où les eaux se mêlent,
trad. Frédéric Lasaygues
Merci !
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