mercredi 15 janvier 2020

Le blanc entre les lignes

 
Craig Bagno


Plus loin, toujours dans Solstices terrassés, Valet note :

La feuille blanche, si docile et si ferme, attend que je lui cède une partie de mon être, de cet être qui n'a point besoin de béquilles pour marcher, ni de code pour penser. Et si l'extrême pudeur se dérobe à elle-même, c'est uniquement pour rester seule, à l'image de l'épaisseur du silence limitrophe, dont les yeux acceptent le bruissement du crayon. Me confondre avec la feuille blanche est une œuvre dangereuse. Il faut accepter sa dure exigence, sa souplesse. Quand j'écris, je me rapproche d'un dieu qui m'habite et me parle. Entreprise hasardeuse, et dont la feuille blanche est maîtresse et victime. Car c'est elle qui commande et qui en souffre. Au lieu des signes de tendresse, je la couvre de fourmis minitieuses et de blattes besogneuses. Et s'il faut être hors de soi pour dévoiler sa détresse, l'écriture du poète serait sans recours. Et la feuille innocente en serait l'ultime témoin et complice. Il lui reste le blanc entre les lignes pour prier.

Que pourrais-je vous donner de plus grand que mon gouffre ?,
éd. Le Dilettante

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