samedi 11 octobre 2025

Beauté du système


Mikhail Korolkov

 

 

- Je n'en peux plus, ça me tape sur le système.
- Au contraire.
- Je t'assure.
- Quand je disais Au contraire, je voulais dire : Ça ne te tape pas sur le système, c'est le système qui te tape dessus.
- Très drôle.
- C'est la vérité. On en reprend une ?
- La vérité ?... Ils sont dingues, oui !
- Détrompe-toi. Ils sont loin d'être dingues. Ils veulent nous rendre dingues. C'est leur projet. Ce sont des pervers cyniques. Mis en place pour nous dégoûter, nous retourner la tête, nous abrutir, nous épuiser, nous éloigner à jamais du débat... 
- Il n'y a que ça, des débats, toute la journée.
- Tu confonds débat et ces pathétiques spectacles de pyrotechnie diffusés en boucle, seulement destinés à nous enfumer, nous infantiliser, nous abêtir, nous inculquer la servitude, la soumission à l'ordre commercial numérique et rémunérer leurs porte-flingues qui courent les plateaux télé, les ministères, les cabinets de conseil et les commissions de tout type...
- ...Tu y vas fort. 
- Je ne pense pas.
- Comme toujours, tu exagères. 
- Au contraire, encore une fois. En fait, crois-moi, je suis en-dessous de la réalité. Ce qui s'est mis en place depuis quelques années, avec notre collaboration zélée, nous échappe totalement, nous absorbe, nous lie à vie à tous les autres noyés, nous avons laissé faire, fermé les yeux...
- Fermé les yeux ?
- Et abandonné tout esprit critique, toute capacité de réflexion, de pensée, de création... 
- Quel tableau, ça fait du bien d'aller boire un coup avec toi après tout ce temps...
- C'est toi qui a commencé, je n'ai rien demandé.
- N'en parlons plus alors. 
- Oui, buvons en silence. Trinquons à la victoire de l'antihumanisme.
- C'est pas Charlie Parker qu'on entend, là ?
- Exact. 
- Ahmed, remets-nous ça. Il nous faut trinquer à la beauté... Tu vois, nous sommes encore capables de la reconnaître.
- Ça nous console, du moins, de le croire..

mardi 7 octobre 2025

Requiem



Vincent Petitdemange était né dans les Vosges en 1990. En rupture de ban, cet ingénieur de formation est parti à l'aventure, à la marge, durant huit années. Et a décrit ce qui ressemble à son parcours dans un roman à paraître ces jours-ci aux précieuses éditions des InstantsRequiem au bord du jour en est le titre. Le fichier de ce texte a été retrouvé par la famille peu après le suicide de l'auteur en 2022. Extraits des premières pages. 

(…) Ce n’est plus l’heure des barricades ni des martyrs. Le confort est passé par là. Il est rentré dans la viande, comme une seconde peau. Pousser un peu la voix de temps en temps, par hygiène, c’est tout ce que les revendicateurs peuvent se permettre. 
Quoi qu’il en soit, le confort n’est pas un horizon. Ce n’est pas suffisant. Il faut tout de même un but dans la vie, un idéal, un fil où se raccrocher et le suivre coûte que coûte, même s’il conduit au néant. Il faut habiller son quotidien d’idéaux, d’horizons et d’idéaux, ainsi vêtu devient-il supportable. 

(…) Aux élus et leurs séides, il leur poussaient les dents qu’ils avaient déjà fort longues. Il n’y avait plus de retenue qui tienne. Au point où ils en étaient, une hypocrisie de plus ou de moins, cela n’avait aucune importance. Pourquoi changer de cap ? Tant que le pourceau crache au bassinet, aucune raison d’effleurer le gouvernail. Seulement en bas dans les patelins, à Peirthe, à Sansoley comme ailleurs, la population commençait à s’empourprer qu’on les prenne pour des péquenots. Cela ne suffisait plus qu’on leur fasse les poches, fallait-il encore les mépri- ser. Les élus ne se comportaient plus autrement, ce qui en disait assez long. Lorsqu’on les met devant leurs privilèges, ils se dédouanent comme ils peuvent. D’abord, ils n’oublient jamais de rappeler qu’eux aussi sont des contribuables, comme tout le monde, des citoyens, des patriotes. Un peu moins patriote que citoyen sans doute. Le drapeau pour eux, c’est une jolie bavette. Ils rotent dedans et s’y essuient les babines, mais ils savent garder les apparences. Ils n’omettent pas de brandir la cocarde quand résonne le clairon. Tout cela est entendu. La population n’avait plus confiance. Cela faisait quelques années que l’abstention s’imposait, grimpait sur les scrutins, sur toutes les élections. Cette tendance n’était pas prête de s’infléchir. Le théâtre politicien avait perdu son éclat, son pimpant. Les tréteaux branlent, les comédiens bredouillent. Lorsqu’une élite perd son lustre, elle en perd aussi le nom. Alors le peuple, instinctif, bouillant soudain, lui vient des idées de meurtre. Nous en étions là.