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| Benjamin Lebus |
L'essentiel, en effet, qu'est-ce c'est que ça ? Le banal, l'anodin, la déroute quotidienne, voilà l'essentiel.
Jean-Claude Pirotte
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| Benjamin Lebus |
L'essentiel, en effet, qu'est-ce c'est que ça ? Le banal, l'anodin, la déroute quotidienne, voilà l'essentiel.
Jean-Claude Pirotte
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| Laurence Bouchard |
Il y a un silence qui s'appelle la mort il fait peur à ceux qui comme moi s'étourdissent de mots j'aimerais ne plus avoir peur de la mort et surtout ne plus y penser comme à une solution j'ai beaucoup vécu dans la mort j'en ai beaucoup parlé je l'ai brandie je la brandis encore telle une réponse voire une sorte de philosophie mais je ne me trouve pas sincère sinon je serais déjà mort.
Ça voudrait dire que je joue avec une menace que je me fais peur et que je fais peur aux autres à ceux que j’aime avec la peur qui m’a frappé jadis ?
(...)
Ah vie salope !
Oh je vous ai vus je vous ai observés
et si je suis obligé de me tuer je reviendrai hanter le monde dans la mesure du possible
car que croyez-vous être que je ne suis pas ?
Que croyez-vous savoir que je ne sache pas ?
Ces ordures qui m’ont fait tant de mal en me disant que j’étais bête c’étaient des professeurs
mais le mal c’est à moi que je le fais.
Et toute cette merde chrétienne qui enchaîne.
Richard Morgiève, Ma vie folle, Pauvert, 2000
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| Inge Morath, Saul Steinberg |
défilaient de nouveau
dans le désordre de la nuit
toutes ces années noyées dans les cafés
les vaines batailles contre la lâcheté
juché au sommet d'un monticule de vulgarité
les filles séduites et abandonnées
dans un cinéma de quartier
les paroles données
les livres volés
les enfants envolés
ces tranches de vie à vomir
ces tronches de vide-ordures
qu'il n'avait pas osé gifler
la sienne en premier lieu
les matins sonnés
le larbinat salarié
les pieds enflés de sa mère
son dos voûté
le squelette déglingué
la vérité avalée
les avertissements méprisés
les mots bafoués
des millions de tangos écoutés
toutes ces années…
oubliés le nom des poètes disparus
mais quand on est à court d'idées
comme dans la chanson
on fait quoi déjà ?
demain, demain...
charles brun, le désordre de la nuit
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| Mikhail Korolkov |
- Je n'en peux plus, ça me tape sur le système.
- Au contraire.
- Je t'assure.
- Quand je disais Au contraire, je voulais dire : Ça ne te tape pas sur le système, c'est le système qui te tape dessus.
- Très drôle.
- C'est la vérité. On en reprend une ?
- La vérité ?... Ils sont dingues, oui !
- Détrompe-toi. Ils sont loin d'être dingues. Ils veulent nous rendre dingues. C'est leur projet. Ce sont des pervers cyniques. Mis en place pour nous dégoûter, nous retourner la tête, nous abrutir, nous épuiser, nous éloigner à jamais du débat...
- Il n'y a que ça, des débats, toute la journée.
- Tu confonds débat et ces pathétiques spectacles de pyrotechnie diffusés en boucle, seulement destinés à nous enfumer, nous infantiliser, nous abêtir, nous inculquer la servitude, la soumission à l'ordre commercial numérique et rémunérer leurs porte-flingues qui courent les plateaux télé, les ministères, les cabinets de conseil et les commissions de tout type...
- ...Tu y vas fort.
- Je ne pense pas.
- Comme toujours, tu exagères.
- Au contraire, encore une fois. En fait, crois-moi, je suis en-dessous de la réalité. Ce qui s'est mis en place depuis quelques années, avec notre collaboration zélée, nous échappe totalement, nous absorbe, nous lie à vie, à mort, à tous les autres noyés, nous avons laissé faire, fermé les yeux...
- Fermé les yeux ?
- Et abandonné tout esprit critique, toute capacité de réflexion, de pensée, de création...
- Quel tableau, ça fait du bien de se retrouver après tout ce temps...
- C'est toi qui a commencé, je n'ai rien demandé.
- N'en parlons plus alors.
- Oui, prenons nos responsabilités et buvons en silence.
- C'est pas Charlie Parker qu'on entend, là ?
- Exact.
- Ahmed, remets-nous ça. Il nous faut trinquer à la beauté... Tu vois, nous sommes encore capables de la reconnaître.
- Ça nous console, du moins, de le croire...
Vincent Petitdemange était né dans les Vosges en 1990. En rupture de ban, cet ingénieur de formation est parti à l'aventure, à la marge, durant huit années. Et a décrit ce qui ressemble à son parcours dans un roman à paraître ces jours-ci aux précieuses éditions des Instants. Requiem au bord du jour en est le titre. Le fichier de ce texte a été retrouvé par la famille peu après le suicide de l'auteur en 2022. Extraits des premières pages.
(…) Ce n’est plus l’heure des barricades ni des martyrs. Le confort est passé par là. Il est rentré dans la viande, comme une seconde peau. Pousser un peu la voix de temps en temps, par hygiène, c’est tout ce que les revendicateurs peuvent se permettre.
Quoi qu’il en soit, le confort n’est pas un horizon. Ce n’est pas suffisant. Il faut tout de même un but dans la vie, un idéal, un fil où se raccrocher et le suivre coûte que coûte, même s’il conduit au néant. Il faut habiller son quotidien d’idéaux, d’horizons et d’idéaux, ainsi vêtu devient-il supportable.
(…) Aux élus et leurs séides, il leur poussaient les dents qu’ils avaient déjà fort longues. Il n’y avait plus de retenue qui tienne. Au point où ils en étaient, une hypocrisie de plus ou de moins, cela n’avait aucune importance. Pourquoi changer de cap ? Tant que le pourceau crache au bassinet, aucune raison d’effleurer le gouvernail. Seulement en bas dans les patelins, à Peirthe, à Sansoley comme ailleurs, la population commençait à s’empourprer qu’on les prenne pour des péquenots. Cela ne suffisait plus qu’on leur fasse les poches, fallait-il encore les mépri- ser. Les élus ne se comportaient plus autrement, ce qui en disait assez long. Lorsqu’on les met devant leurs privilèges, ils se dédouanent comme ils peuvent. D’abord, ils n’oublient jamais de rappeler qu’eux aussi sont des contribuables, comme tout le monde, des citoyens, des patriotes. Un peu moins patriote que citoyen sans doute. Le drapeau pour eux, c’est une jolie bavette. Ils rotent dedans et s’y essuient les babines, mais ils savent garder les apparences. Ils n’omettent pas de brandir la cocarde quand résonne le clairon. Tout cela est entendu. La population n’avait plus confiance. Cela faisait quelques années que l’abstention s’imposait, grimpait sur les scrutins, sur toutes les élections. Cette tendance n’était pas prête de s’infléchir. Le théâtre politicien avait perdu son éclat, son pimpant. Les tréteaux branlent, les comédiens bredouillent. Lorsqu’une élite perd son lustre, elle en perd aussi le nom. Alors le peuple, instinctif, bouillant soudain, lui vient des idées de meurtre. Nous en étions là.