Marcus Wallinder |
Dans une lettre du 3 août 1878 adressée à son mentor Gustave Flaubert, Guy de Maupassant fait part de son mal-être :
(…) Je suis en ce moment en grande correspondance avec Mme Brainne, qui prend les eaux de Plombières. Elle m’envoie des encouragements, des exhortations à la patience et à la gaîté. Malheureusement je n’en profite guère. Je ne comprends plus qu’un mot de la langue française parce qu’il exprime le changement, la transformation éternelle des meilleures choses et la désillusion avec énergie, c’est : merde.Le cul des femmes est monotone comme l'esprit des hommes. Je trouve que les événements ne sont pas variés, que les vices sont bien mesquins, et qu'il n'y a pas assez de tournures de phrases.
Dans sa réponse du 6 août, Flaubert écrit :
on a beau s’en défendre on est toujours flattéQue dites-vous de ces deux vers, mon bon ? De qui sont-ils ? De Decorde ! il les a lus la semaine dernière à l’Académie de Rouen. Je vous prie de bien les méditer ; puis, de les déclamer avec l’emphase convenable et vous passerez un bon quart d’heure.
de se voir le premier dans sa localité.
Maintenant parlons de vous.
Vous vous plaignez du cul des femmes qui est « monotone ». Il y a un remède bien simple, c’est de ne pas vous en servir. « Les événements ne sont pas variés. » Cela est une plainte réaliste, et d’ailleurs qu’en savez-vous ? Il s’agit de les regarder de plus près. Avez-vous jamais cru à l’existence des choses ? est-ce que tout n’est pas une illusion ? Il n’y a de vrai que les rapports, c’est-à-dire la façon dont nous percevons les objets. « Les vices sont mesquins » mais tout est mesquin ! « Il n’y a pas assez de tournures de phrases ! » Cherchez et vous trouverez. Enfin, mon cher ami, vous m’avez l’air bien embêté, et votre ennui m’afflige, car vous pourriez employer plus agréablement votre temps. Il faut, entendez-vous, jeune homme, il faut travailler plus que ça. J’arrive à vous soupçonner d’être légèrement caleux. Trop de putains ! trop de canotage ! trop d’exercice ! Oui monsieur ! Le civilisé n’a pas tant besoin de locomotion que prétendent messieurs les médecins. Vous êtes né pour faire des vers. Faites-en ! « Tout le reste est vain ». A commencer par vos plaisirs, et votre santé ; foutez-vous ça dans la boule. D’ailleurs votre santé se trouvera bien de suivre votre vocation. Cette remarque est d’une philosophie ou plutôt d’une hygiène profonde.
Vous vivez dans un enfer de merde, je le sais, et je vous en plains du fond de mon cœur. Mais de 5 heures du soir à 10 heures du matin, tout votre temps peut être consacré à la muse, laquelle est encore la meilleure garce. Voyons ! mon cher bonhomme, relevez le nez ! A quoi sert de recreuser sa tristesse ? Il faut se poser vis-à-vis de soi-même en homme fort. C’est le moyen de le devenir. un peu plus d’orgueil, saperlotte ! Le « garçon » était plus crâne. Ce qui vous manque, ce sont « les principes ». On a beau dire, il en faut ; reste à savoir lesquels. Pour un artiste, il n’y en a qu’un : tout sacrifier à l’Art. La vie doit être considérée par lui, comme un moyen, rien de plus, et la première personne dont il doive se foutre, c’est de lui-même.
(…) Je me résume, mon cher Guy. Prenez garde à la tristesse. C’est un vice. On prend plaisir à être chagrin et quand le chagrin est passé, comme on y a usé des forces précieuses, on en reste abruti. Alors on a des regrets, mais il n’est plus temps. Croyez-en l’expérience d’un scheik à qui aucune extravagance n’est étrangère (…)
La correspondance de Flaubert occupe à elle-seule cinq volumes de la Pléiade de chez Gallimard.
Les éditions du Passeur ont publié des extraits de celle-ci dans leur collection de poche, que l'on peut acquérir pour de modiques sommes. Les échanges, comme on dit aujourd'hui, entre Flaubert et son protégé sont réunis dans La terre a des limites mais la bêtise humaine est infinie.
Je prends souvent les références des traductions ou textes que vous proposez. Je vous trouve, cela n'engage que moi, un goût assez sûr.
RépondreSupprimerJe suis époustouflé, je dois l'avouer, par la salubrité exprimée là par Flaubert qui était, cela est prouvé une fois de plus, un grand homme. Cependant, je trouve son amour pour ce qu'il appelle "l'Art" un peu daté, et tout aussi "vain", pour utiliser un de ces mot, que la vie turbulente et malheureuse de son ami. Cela me fait penser au dialogue qu'entretenait Truffaut avec la belle Nathalie dans "La chambre verte" : le plus important est-ce "l'art" ou la vie ? Je suis du coté de Nathalie. Personne ne nous enlèvera la douceur fugace de la peau de nos amants, et quand nous mourrons, ces moments volés à l'épiderme, le seul vrai bonheur terrestre, seront nos dernières larmes et nos derniers regrets.
Qui se souviendra de nos oeuvres ? La postérité n'est-elle pas une vanité de plus ? Que me fait d'être adulé par les hommes du futur si ceux du présent ne m'ont pas aimés ? Léo Ferré, que j'admire beaucoup, en est l'exemple le plus net : il parlait au poètes morts comme à des camarades de toujours, quand ceux du présent, bien vivants eux, Brel et Brassens pour ne pas les citer, et desquels il recherchait l'amitié, le boudait.
La vie est un école de mélancolie et rien ne vaut la peau d'une belle jeune femme, ou d'un charmant jeune homme selon les goûts, pour vivre sa vie.
Et tout le reste est littérature.
Max.
Cher Max, avec Maupassant et Flaubert, ou d'autres avant et après eux, je ne propose rien d'original. Ce blogue est fait de notes pour moi seul, propulsées en ligne par la machine gougueule, mais c'est avant tout, je le répète, une entreprise purement égoïste, pour ma pauvre mémoire, et assez vaine puisque je n'en consulte jamais les archives. Quant à la Chambre verte, je ne sais que penser, j'ai vu ce film une seule fois, à la TV, il y a 30 ans, et je n'en ai que de vagues souvenirs. Ce que vous en dites mérite réflexion à n'en pas douter. Je pense avoir été du côté du personnage jouée par Truffaut à l'époque, et aujourd'hui serais plutôt j'imagine côté Nathalie, sans pour autant la qualifier de belle…
RépondreSupprimerQuand j'étais enfant j'étais éperdument amoureux de Nathalie Baye. Je trouvais sa voix si douce, si belle. J'aurais voulu qu'elle soit ma mère pour me raconter le soir d'interminables histoires - j'étais déjà insomniaque. Ma vraie mère ne s'en offusquait pas, elle m'emmena même, à cette époque, voir une pièce de Marivaux où ma comédienne jouait.
SupprimerNathalie était très belle, si.
La preuve en image ;-) :
https://youtu.be/HhnNWAEhujY?si=D_I-QnqF6plwAH5l
Max.
Cher Max, je ne suis pas qualifié pour entamer un débat sur la beauté de Nathalie ou des femmes, de qui ou de quoi que ce soit. Mais bravo à votre mère qui vous a pardonné ces égarrements d'enfant…
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