George Rinhart Je vous condamne à chier le matin et le soiren lisant des journaux périmés et des romans amers
je vous condamne à chier remords et mélancolieet douces et jaunes tombées de la nuit.Je vous condamne à chier en corset et en chemise
dans vos maisons pleines de bicyclettes et de canaris
avec vos paires de fesses chaudes et bleuies
et vos lamentables cœurs à crédit.D’un monde effondré s’échappent des choses sinistres :
des engins mécaniques et des chiens sans museau,
des ambassadeurs gros comme des roses,
des bureaux de tabacs noircis et des cinémas en ruines.Moi je vous condamne à la nuit des dortoirs
à peine interrompue par des irrigateurs et des rêves,
des rêves comme des eucalyptus aux mille feuilles
et des racines imprégnées d’urine et de mousse.Ne me laissez pas toucher à vos eaux sédentaires
ni à vos intestinales réclamations, ni à vos religions,
ni à vos photographies accrochées à la hâte :
parce que moi j’ai des flammes dans les doigts,
et des larmes d’infortune dans le cœur,
et des pavots moribonds nichent dans ma bouche
semblables à des dépôts de sang infranchissable.
Je hais vos grands-mères et vos mouches,
je hais vos déjeuners et vos rêveries,
et vos poètes qui chantent « la douce épouse »
et « les bonheurs du bourg » :
en vérité vous méritez bien vos poètes et vos pianos
et vos irritants démêlés à quatre pattes.Laissez-moi seul avec mon sang pur,
avec mes doigts et mon âme,
et mes sanglots solitaires, obscurs comme des tunnels.
Laissez-moi le royaume des longues vagues.
Laissez-moi un vaisseau vert et un miroir.
Pablo Neruda, "Sévérité",
trad. Waldo Rojas, Stéphanie Decante
in, Résider sur la terre,
Quarto, éd. Gallimard, 2023
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire