jeudi 30 novembre 2023

Un calme presque honteux

Josef Koudelka


 

La très passionnante Correspondance entre André Gide et Jean Malaquais (1935-1950), enrichie, vient d'être rééditée chez Classiques Garnier.

Extrait d'une lettre du front envoyée par l'auteur du Gaffeur au Nobel de littérature de 1947.


[lundi 13 mai 1940]

Je suis d'un calme presque honteux. L'odeur de la mort ressemble à celle des excréments ; on est d'abord saisi jusqu'au vertige, jusqu'au vomissement; puis on s'en imprègne très vite et on cesse d'être incommodé. Par la suite, c'est l'air pur qui paraît vicié. C'est ainsi qu'on devient gangster.

mercredi 29 novembre 2023

Le voyant

Gilles D’Elia

 

Être lucide
C’est perdre connaissance 

Être libre
C’est perdre l’équilibre 

Être vengeur
C’est terrasser la vengeance 

Être intact
C’est traverser l’évidence 

Être aux abois
C’est passer au-delà 

Invincible est la détresse
De celui qui voit

 

Paul Valet,
Que pourrais-je vous donner de plus grand que mon gouffre ?
rééd. Le Dilettante, 2020

jeudi 16 novembre 2023

Terminus


Je n'ai pas vu le film de Tarantino dans lequel on peut entendre un morceau d'un certain Dege Legg, que je ne connaissais pas jusqu'ici. Je lis son journal de bord tenu au début des années 2000. A cette époque, le musicien originaire du sud des Etats-Unis, était sans groupe, sans travail, sans un rond et sans maison – et sans Tarantino. Un boulot de chauffeur de taxi va lui permettre de survivre durant cinq ans. Nous sommes à La Fayette (Louisiane). Ça débute comme ça :

C’est le terminus. Je vis dans un motel miteux à Lafayette, Louisiane. Chambre 109. Cent-soixante-cinq dollars la semaine. J’ai quatre-vingt-un dollars en poche et pas de boulot. La plupart des résidents sont des alcooliques invétérés. Ils boivent de la mauvaise bière, traînent sur le parking, et voient leurs espoirs partir en fumée, accompagnés du murmure de la télé et des grondements du trafic routier. Il n’y a rien à faire ici que ressasser des rêves tombés en ruine. C’est ici, dans ces motels, que le capitalisme percute la triste réalité des perdants sur la pente sordide de la déchéance. C’est le dernier arrêt avant la clochardisation, à une centaine de mètres des voies ferrées. C’est ici que votre dîner tombe d’un distributeur automatique. C’est ici que l’Amérique vient pour mourir ou essayer de se cacher de l’inéluctable. Cet endroit est comme un manège abandonné, à demi enfoui sous le sable. Tout y est soumis au temps et se dérobe. Personne n’en a rien à faire. Ni n’essaie de donner le change. Les gens ici ne font qu’exister et survivre, pendant que les prostituées écrasent des mouches, que les junkies errent sur le bitume décoloré par le soleil, et que d’anciens forains jouent avec le feu et fouillent les vestiges d’une vie révolue, saluant de la main des fantômes, tirant sur des cigarettes bon marché et buvant des bières meilleur marché encore.

Alors que l’immense soleil
Pèse et nous écrase.
C’est impitoyable
Et sans issue pour l’instant.
Il y a une semaine, je vivais dans une maison avec trois chambres, un jardin, un chien et un lave-vaisselle. Aujourd’hui, je suis dans ce motel merdique. Seul et presque sans un rond. Mais étrangement, je suis plus libre que je ne l’ai jamais été, parce que j’ai déjà perdu cette étape de la course. Et la chute n’est pas si loin. C’est comme une trêve dans une guerre contre tous. Je ne suis pas heureux. Je ne suis pas triste. Je suis seulement coincé ici. En suspens. Dans l’attente.

Je regarde par la fenêtre,
Mes poings accrochés aux barreaux,
Et je rêve
Et me demande quelle sera la suite.

Je suis aussi vivant que n’importe qui et pas plus mort qu’un autre. Il n’y a pas d’espérance ici. Toutes les promesses ont été rompues comme des prières de la dernière chance dans l’abattoir de l’amour. Avant que le couperet ne tombe. Personne ne vient ici pour que l’on se souvienne de lui. On vient ici pour oublier. Et être oublié.

 

Dege Legg, Cabdriver 
Trad. Dennis Crowch
Ed. du Sonneur, 2023

lundi 13 novembre 2023

En sourdine

 

Masahiro Mochida


 

Longeant rapidement sur mon vieux scooter le trottoir du restaurant portugais, j'ai tout juste le temps de lire la première ligne du menu du jour inscrit sur l'ardoise. Un U mal formé, sans arrondis, me fait lire Morve à la Vapeur. Avec deux majuscules.

***

En promenant le chien, je croise un couple de trentenaires sur de rutilants vélos équipés de GPS, comme il se doit. Le prototype des électeurs utiles, me dis-je, perfide, certainement jaloux de leur fière jeunesse. Au loin, sonnent les sirènes des bagnoles de flics d'aujourd'hui. Le garçon s'en réjouit: J'adore entendre les voitures de police et ces nouvelles sirènes. On se croirait aux States! Ce que nuance sa compagne en leggins: Ou dans une série de Netflix!

*** 

Dans la pharmacie, où j'étouffe en attendant la préposée aux vaccins, je parcours les publicités des laboratoires affichées sur les nombreux présentoirs et dont certaines ne manquent pas d'air. Sur l'une d'elles, ornée de la photo d'une jeune femme aux lèvres gonflées, je lis Le baume à lèvres intime. Tout rentre dans l'ordre lorsque mon esprit détraqué et déçu corrige le dernier terme du slogan, transformant la première voyelle en U et le N en L.

*** 

Contrairement à mon habitude, je traverse la rue sur les clous, comme on disait autrefois, en prenant bien soin de vérifier ma gauche, ma droite, puis ma gauche de nouveau lorsque me heurte brutalement un vélo : Mais enfin, faîtes attention!, éructe la jeune femme casquée et ipodée. Je lui fais remarquer que notre rencontre se produit sur un passage piéton. Mais moi, je suis à vélo !, rétorque l'insolente amazone me laissant sans voix et la côte douloureuse.

*** 

Je m'arrête prendre un café au bistrot le plus proche. A cette heure, le percolateur est en surchauffe. Ebahi, un pilier de comptoir interpelle le barman: Le gars qui a inventé le café, il a dû se faire des couilles en or! En sourdine, passe Naïma.

 

samedi 4 novembre 2023

Lumières et ombres à Paris

L'Atelier-Galerie Taylor, à Paris, nous propose de revoir bientôt une exposition datant de 1995 et signée par l'amie Carole Bellaïche, une démarche rare pour un travail qui ne l'est pas moins.
A noter qu'Hervé Baudat lui aussi exposera.
On y sera. Et on y reviendra...