Cesar Aira prétend qu'Alejandra Pizarnik fut non seulement une grande poète, mais la plus grande, la dernière. Rien que ça. Grâce au Journal qu'entreprend de traduire dans son intégralité les éditions Ypsilon ― il en existait jusqu'ici une version expurgée chez Corti ―, le lecteur se fera s'il le souhaite sa propre opinion. Il pourra également, ou avant tout, et ce, dès le premier cahier datant de 1954 ― Flora, qui décide alors de s'appeler Alejandra, n'a que 18 ans ―, apprécier les désirs, tourments, obsessions, influences littéraires de la jeune femme, ses questionnements sur l'écriture, la solitude, la sexualité, assister à travers ces centaines de pages en quête d'absolu à la floraison d'un écrivain. Un document exceptionnel susceptible d'infuser enfin quelques couleurs et nuances à la légende bien établie de la poète maudite et suicidaire.
Brisée sur le divan, j'assiste inquiète et amusée aux assauts de l'anxiété illogique qui bondit à l'intérieur de moi. La peur de l'avenir me met en garde secrètement : que vais-je devenir ?
Le présent bouffon et bohème n'admet pas d'admonestations verdâtres et malingres. Les désirs déversent leur soif infinie dans mon intériorité acerbe, déconcertée.
***
Je voudrais penser à quelque chose de sublime. A la naissance de l'homme, aux sacrifices d'Orient, à la lance sur le drapeau de l'Ethiopie. Je voudrais électrifier mes yeux et les secouer de leur inertie domestique. Je voudrais lever les jambes, faire des taches au plafond, m'agenouiller près d'un crapaud noyé, classer les tons d'un pétale, fouiller les poches du roi de Suède, distinguer au toucher les quatre règnes, animal, végétal, minéral et humain, revivre les extases de Jeanne d'Arc exhalant les aubes pour détruire le feu, récolter les moissons d'une ferme irlandaise, me promener en cachette sur la neige muette de Sibérie, négocier du bambou dans un kiosque chinois, sourire au singe dans la nuit noiredorée d'un ukulélé en sirotant une noix de coco de l'île d'Hawaï, lever les paupières, monter au plus haut, agiter les bras comme des cloches tremblantes et crier à tout : je suis universelle !
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Je sens que ma place n'est pas ici ! (ni nulle part je veux dire). J'adore élucubrer par écrit (...) Bah, j'en reviens à dire avec Rimbaud : je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit.
Alejandra Pizarnik, Journal, Premiers cahiers 1954-1960,
trad. Clément Bondu, Ypsilon éditeur, 2021
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