mardi 25 novembre 2025

Un bon à rien

 

Burt Glinn

 

Alexeï Fiodorovitch Karamazov était le troisième fils de Fiodor Pavlovitch Karamazov, un propriétaire terrien de notre district bien connu en son temps (et dont on se souvient chez nous aujourd’hui encore) à cause de sa fin tragique et obscure qui s’est produite il y a exactement treize ans, et dont je parlerai le moment venu. Pour l’instant, à propos de ce «propriétaire terrien» (comme on l’appelait chez nous, bien que toute sa vie, il n’ait presque pas vécu sur ses terres), je me contenterai de dire que c’était un type d’hommes étranges que l’on rencontre néanmoins assez souvent, c’est-à-dire de ces gens qui sont non seulement abjects et débauchés, mais en plus de ça, des bons à rien – et néanmoins, de ces bons à rien qui savent parfaitement mener leurs petites affaires matérielles et, semble-t-il, uniquement celles-là. Par exemple, il avait commencé presque à partir de rien, c’était un tout petit propriétaire, il passait son temps à jouer les pique-assiette, s’arrangeait pour vivre aux crochets des autres et avec ça, au moment de sa mort, il s’est avéré qu’il avait dans les cent mille roubles en argent comptant. Et avec ça, il a quand même été toute sa vie l’un des bons à rien les plus extravagants de tout notre district. Je le répète encore une fois : ce n’est pas là de la bêtise, la plupart de ces extravagants sont assez intelligents et malins, mais ce sont très précisément des bons à rien, et qui plus est, d’une espèce particulière, nationale.

 

Incipit des Frères Karamazov dans la nouvelle traduction qu'en donne l'excellente Sophie Benech aux éditions Zulma. 1200 pages par les temps qui courent à consommer sans modération. Santé !

 


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