vendredi 28 juin 2019

Les maîtres de l'épouvante

via this isn't happiness

Ce matin, sur le chemin du boulot, je m'arrête au feu rouge collé au dernier kiosque à journaux de la ville. La une du Nouveau Magazine littéraire fait la belle avec Marilyn et l'un de ses jules. Mais ce qui me sort définitivement de ma nuit encore trop courte, ce n'est pas le bandeau du bas qui annonce un dossier sur « Les maîtres de l'épouvante » avec la photo de Stephen King, mais plutôt le titre du canard « Couples littéraires », son sous-titre, « Destins croisés » et la liste de noms sous la titraille :

Marcel Proust et James Joyce
Guy de Maupassant et Gustave Flaubert
Lou Andreas-Salomé et Rainer Maria Rilke
Arthur Rimbaud et Paul Verlaine
Adolph Hitler et Ludwig Wittgenstein
Hannah Arendt et Martin Heidegger
Anaïs Nin et Henry Miller
Marilyn Monroe et Arthur Miller
Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre
Louis Aragon et Elsa Triolet
Gabriel García Márquez et Mario Vargas Llosa
Marguerite Yourcenar et Brigitte Bardot
Bret Easton Ellis et David Foster Wallace
Houellebecq et Bernard-Henri Lévy

Passe encore que l'on tombe sur le nom du Führer sous celui du poète de Charleville, tout le monde comprendra, mais ce que je ne saisis pas, c'est pourquoi l'auteur de Soumission est le seul de ces incontournables personnages à ne pas se voir attribuer un prénom ?
Arrivé au bureau, je cherche une explication sur le site de cet indispensable journal (groupe Perdriel, en banqueroute) mais le maigre texte placé dans le sommaire me laisse sur ma faim :

À la veille de l’été, Le NML s’improvise club de rencontres. L’amour, l’amitié, l’intérêt, la jalousie, le hasard… Les écrivains ont mille façons de se croiser, pour le meilleur, pour le pire et parfois pour l’improbable.

Hitler est écrivain au même titre que l'interprète de Certains l'aiment chaud ou que le pitre de Saint-Germain en chemise blanche, nous dit-on en substance. 
Suivent les signatures des textes de ce dossier de l'été : Aurélien Bellanger, Geneviève Brisac, Camille Brunel, Thomas Clerc, Julia Deck, Bruno Blanckeman, Dorian Astor, Christian Garcin, Robert Kopp, Philippe Labro, Christine Montalbetti, Philippe Forest, Patrice Pluyette, Philippe Vilain… 
La fine équipe ! De quoi renoncer définitivement à en savoir plus...


***


En surfant encore un instant sur la toile, j'apprends que l'Académie française vient de distinguer des artistes qui « font vivre avec talent la langue de Molière dans le monde entier ». Au tableau d'honneur, parmi 64 autres personnalités dites de premier plan, sont mis en avant les noms d'Édouard Baer, prix du théâtre, de Valeria Bruni-Tedeschi, prix du cinéma René Clair et de Vincent Delerm, Grande médaille de la chanson française...
Le Grand prix de la Francophonie, la plus prestigieuse récompense de l’institution, doté de 30 000 euros, a été attribué au secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc, Abdeljalil Lahjomri, ex-aequo, comme à l'Ecole des fans de l'inestimable Jacques Martin, avec le poète tchèque Petr Kral.
Plus loin, je lis que le Grand prix de philosophie revient à Jacques Bouveresse « pour l’ensemble de son œuvre » et que Marcel Gauchet de son côté a reçu le prix Guizot (récompensant un ouvrage d’histoire) pour Robespierre, l’homme qui nous divise le plus (chez Gallimard, bien sûr).
Enfin, but not least, Olivia de Lamberterie, journaliste à Elle (propriété du milliardaire tchèque Daniel Křetínský), a reçu le prix Moyon (ça existe...) pour son roman Avec toutes mes sympathies (chez Stock, propriété de Lagardère) ; roman récompensé pourtant par le prix Renaudot de l’essai, l’an dernier. Il s'agit, rappelons-le, du récit, nous dit-on, « bouleversant » dans lequel la rédactrice-en-chef adjointe du canard fondé par Hélène Lazareff, relate le suicide de son frère...

***


Plus tôt dans la semaine, j'avais aperçu le manifeste lancé, sous l'égide du Syndicat de la librairie, pour la défense du prix unique du livre face à l'hégémonie du mastodonte américain de la toile. « Alors que le prix unique a fait ses preuves sur le plan économique et culturel et que l’ensemble de la classe politique le soutient, nous avons un acteur très puissant qui s’est installé au cœur de notre marché et qui travaille petit à petit à en saper les fondements », pouvait-on lire. 
Je ne voudrais pas faire le malin, mais pour ce qui est de saper les fondements, certains médias et certaines institutions se posent là, non ?

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