lundi 16 juin 2025

Sale réalisme

Joan Colom




Elle pensait que 
Johan Cruyff
était un de ces professeurs 
de désespoir que j'aimais citer
venu le soir entre deux
verres d'un trop vert pinard
un type du nord 
comme Kierkegaard
ou Dagerman.
Je me lançais
sans élan ni élégance
dans des histoires sans fin
sur cet autre fils 
d'une femme de ménage
le football total
Amsterdam et Pandora
la guerre de Troie
comprenne qui pourra.
Et cet ancien instituteur 
hier
déclamant fièrement
Tous les matins 
je me remets
en bouche un poème
pour faire travailler la mémoire
les pieds
et la langue

après s'être s'emporté 
contre
les trottinettes sur les trottoirs
les mômes sur les écrans
les drones traquant 
civils 
hommes 
femmes 
et enfants
le naufrage de nos dirigeants
l'imposture de toutes leurs positions 
la bêtise des oppositions.
Et me voici
dans le ventre de cette 
nuit de perdition 

cher Roger Wolfe
passant tes vers 
d'enfant de Westerham, Kent
écrits dans ta langue d'adoption
apprise à Alicante
pour moi maternelle
dans ma propre langue 
d'adoption
titubant en me relevant
butant l'adaptation
devant un verre
à moitié vide.
J'observe du coin de l'œil
sur la table la bouteille
ouverte après l'appel
de ma mère
décrépite par les ménages
qui s'étonne au téléphone
dans son mélange de langues
qu'une blouse blanche
lui parle de
ses quatre vingt huit ans
quatre vingt sept 
elle insiste 
oubliant encore
ses deux dates de naissance.

Bientôt l'heure du réveil
seul je sèche 
à faire tenir 
droit
un poème

dit de réalisme sale
que personne n'attend
et
trouve sur la toile
les images en mouvement
en couleur puis en 
noir et blanc 
sous tous les angles
de la fameuse
volée 
du Hollandais volant
un soir de mille neuf cent 
soixante-quatorze
sous le ciel catalan.

Nous avons tous
disait je crois
un poète chilien
mort à Barcelone
Nous avons tous
un ancien amour
à évoquer
lorsque nous n'avons plus
rien à dire 

et que l'aube pointe son nez. 

 

charles brun, hommage à la catalogne



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