vendredi 11 décembre 2020

C'est pourquoi j'ai si peu d'amour dans le coeur


 

 

Ohlsdorf 11/5/69 

 

Cher Monsieur Unseld, 
je suis de si bonne humeur que je dois vous écrire, n'en cherchez pas la raison, je ne la connais pas. Et puis j'ai le sentiment de vous avoir peut-être contrarié avec une de mes lettres de revendication. Mais à cet instant, je n'ai pas envie d'être contrarié.  
Mais parfois c'est tout simplement la mise au propre à la machine qui dégrade le texte et le transforme en écrit grossier. 
Je me promène avec une pièce de théâtre dans la tête et ce serait si beau si je pouvais en venir à bout jusqu'à sa création à Hambourg, sans être influencé par les singes des gazettes. (...)
Au fond, je ne suis pas cupide. 
Mais cela, vous le savez.
De toute façon, je me fiche de l'argent, du moment que j'ai le strict nécessaire. Je m'en contente parce que c'est effectivement un fardeau pour moi. J'ai besoin de calme, et je l'ai. (...) Il y a tant de choses absurdes à pleurer, mais je ne pleure pas, je ne fais que mépriser. Moi, à titre personnel, je me moque. (...)
Sachez que j'aime vivre, que j'aime voyager, que j'aime bien manger et que j'aime rien plus que les bons écrivains. C'est pourquoi j'ai si peu d'amour dans le coeur.
Kropotkine m'a enthousiasmé ! Il n'y a que des souris qui écrivent, la littérature est grignottée. Pouah. Quelle horreur !
Et je ne sais toujours pas pourquoi je vous écris aujourd'hui. Il n'y a pas de raison apparente.
Et prochainement, écrivez-moi de nouveau «cordialement» et non pas « avec mes meilleures salutations» que je déteste profondément.

 

Votre profondément.
Thomas Bernhard


***


Francfort-sur-le-Main 15 juillet 1975

 

Cher Thomas Bernhard,

un éditeur aussi est un être humain. Lui aussi a besoin d'être brossé dans le sens du poil. S'il est seulement battu, battu comme un chien, alors il ne peut que devenir encore plus servile... Je vous enverrai un télégramme avec deux dates pour une rencontre. J'espère que l'une des deux vous conviendra. J'apporterai à cette rencontre le troisième quart du prêt.



 

In Thomas Bernhard, Cahier de L'Herne 132

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