mercredi 25 novembre 2020

Mauvaise saison

David Seymour


― Je n'ai pas beaucoup de temps...
― Comment ça va ?
― Si ce genre de formule n'appelle généralement aucune réponse véritablement sincère et profonde, tu accepteras, sans y voir malice, qu'en la circonstance un silence pudique et certainement définitif s'impose à nous.
― On dirait du Thomas Bernhard, que tu aimes tant citer...
― Je ne cite pas, je note. Et tu dis n'importe quoi...
― Ben, une phrase interminable pour ne pas dire que ça ne va pas, ça me fait penser à tes citations de Thomas Bernhard... Je suppose que tu n'as pas regardé notre président hier soir ?
― Tu me prends pour qui ? Et puis, on m'a dit que la saison 2 était moins bien que la 1 du printemps dernier.
― De quoi tu parles ?
― La série sur le terrible virus dans laquelle, au nom de notre sécurité sanitaire, nous renonçons à nos libertés les plus fondamentales.
― Tu as de tout temps été du côté des sceptiques, fais gaffe, désormais, tu tutoies le complotisme.
― Toi, en revanche, tu as de tout temps flirté avec la bêtise... Et tu n'as jamais fait gaffe…
― Tu ne peux tout de même pas rester en permanence en retrait du monde...
― Parce qu'être au rendez-vous devant le poste tous les 15 jours pour faire semblant de découvrir les nouvelles consignes de notre chef de guerre d'opérette que l'ensemble des médias nous ont depuis des jours divulgâchés, comme on dit aujourd'hui, c'est ça, être dans le monde ?
― Tiens, ça m'étonne que tu connaisses des mots comme divulgâcher.
― Tu me prends pour qui ? Je m'informe, pas comme toi, pas avec des alertes de gougueule niouze sur mon téléphone, mais je me tiens au courant de l'évolution de notre langue, par exemple. Ce mot justement, qui est entré dans notre vocabulaire avec la dictature des séries...
― La dictature des séries, carrément ?
― Tu appelles ça comment ?
― Je ne sais pas. Un phénomène ?
― Passons... J'en étais où ?
― A divulgâcher.
― Bref, ce mot, créé par nos amis québécois, pour franciser un mot anglais, est un phénomène, comme tu dis, complètement aberrant, la langue française, chère à nos amis québécois, quoi, possédant depuis des centaines d'années, c'est pas nouveau, des mots pouvant convenablement exprimer cette idée...
― Ah oui, lesquels ?
― Mais enfin : déflorer par exemple !
― Ah oui, tiens...
― Sans parler de dévoiler...
― Ah oui, tiens...
― T'as pas fini ?
― C'est ce que j'allais te demander...
― Non, un dernier pour la route, tiens, encore plus simple et à connotation chrétienne, voire mystique — tu vois, ça remonte — : révéler. Hein, qu'est-ce que tu dis de ça, petit baudet ?
― Petit quoi ?
― Connard, si tu préfères...
― Merci.
― Je t'en prie, entre amis...
― Donc, tu te fous de tout...
― Non, je me prépare pour la saison 3, la dernière il me semble, qui devrait être on air, comme disent les concitoyens de Joe Bidon, dès la mi-janvier. Elle sera époustouflante, prédit-on, avec des histoires de fantômes...
― De quoi tu parles, j'ai déjà du mal à te suivre, mais ça pixélise sans cesse... Quels fantômes ?
― L'armée d'indigents facialement reconnus par la police floutée mais matraqués rendus invisibles pour notre sécurité. La mise en scène sera à la hauteur, avec des plans aériens et panoptiques pour garantir l'avenir démocratique. Bien entendu, un tas de rebondissements et de péripéties, des menaces d'attentats et de virus, replongeront les citoyens, à partir de l'épisode 3, dans un nouvel état d'urgence indispensable pour leur bien-être républicain, nouveau protocole sanitaire, les élections sont annulées, la guerre déclenchée mais après la mort de la première dame, le commandant-en-chef épouse une autre blonde, un peu moins fringante et élégante, mais héritière d'un paquebot du côté de Saint-Cloud... Je ne te divulgâche pas tout, tu verras, nous allons devenir totalement accros à nos écrans.
― La vache !
― Tu parles de la blonde ?
― Non, d'une alerte...
― Quelle alerte ?
― Attends, je vérifie.
― Non, ce n'est pas nécessaire...
― Oui, ça fait la une de la toile : Maradona est mort !
― Qu'est-ce que tu racontes ?
― Arrêt cardiaque.
― Putain, le dernier pan de ma jeunesse qui n'avait pas encore foutu le camp...
― Il venait d'avoir 60 ans fin octobre.
― Oui, je sais, c'était un scorpion comme bibi...
― Ah oui, tiens, j'ai loupé ton anniversaire, j'y pense.
― Ce n'est pas nécessaire. Bon, faut que je te laisse, la petite cave va fermer. Ce soir, je bois au génie de Santa Maradona !
― Je crois que je vais faire comme toi...
― Faisons vite, nous n'avons plus beaucoup de temps, ça aussi, ce sera bientôt interdit

 

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2 commentaires:

  1. Maradona?, c'est pas lui qui avait jeté sa petite culotte à Chirac?

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    1. Mon cher Luc, c'est une erreur fréquente, certainement due à la mauvaise influence des Guignols de l'info de ces années-là ; Maradona a tricoté un slip en laine au vrai Che… et a niqué les Beatles en 1986. Abrazote

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