mardi 17 novembre 2020

La chose la plus rare

 


Déjà les premières lignes de cet essai m'avaient, à la relecture, amené à l'idée d'éditer sous forme de livre tout un recueil des brefs morceaux de prose descriptive de Roithamer car en un temps où l'on édite et publie tout, sauf des choses remarquables, sauf des choses effectivement d'une originalité absolue et aussi par surcroît scientifiquement géniales au plus haut point, en un temps où tous les ans des centaines et des milliers de tonnes de stupidité couchée sur du papier sont lancées sur le marché, toutes les ordures de l'avilissement de cette société européenne ou, pour dire toute ma pensée, de cette société mondiale tombée dans l'avilissement, un temps qui toujours et sans cesse ne produit que des ordures intellectuelles et où l'on fait passer de la façon la plus répugnante pour des produits de l'esprit ces ordures intellectuelles qui ne cessent d'empester et ne cessent de tout obstruer alors qu'il s'agit seulement de sous-produits de l'esprit, en un temps pareil je pense qu'on a carrément le devoir de publier une œuvre d'un art semblable fut-ce d'un art aussi discret et dépourvu d'ornements que l'art de la prose de Roithamer, elle ne ferait sensation d'aucune manière, mais pourtant je pense veiller à ce qu'elle ne se perde plus une fois qu'elle sera imprimée et fixée par écrit pour toujours car sans aucun doute pour ces morceaux de prose de Roithamer il s'agit de joyaux intellectuels et ceux-ci sont, même dans notre pays, la chose la plus rare.

 

Thomas Bernhard, Corrections,
trad. Albert Kohn, Gallimard

2 commentaires:

  1. C'est toujours réjouissant quelques lignes de Thomas Bernhard

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    1. Avec T. Bernhard, la réjouissance est souvent cousine de la folie… et ainsi de suite…

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