mercredi 29 avril 2020

L'âge ingrat


Carolyn Campbell

Lundi matin publie cette semaine la traduction d'un entretien accordé par Giorgio Agamben au site Quodlibet. L'auteur de Homo Sacer évoque essentiellement la situation en Italie, bien entendu. Extraits :

De toute part on entend aujourd’hui formuler l’hypothèse que, en réalité, nous sommes en train de vivre la fin d’un monde, celui des démocraties bourgeoises, fondées sur les droits, les parlements et la séparation des pouvoirs, cédant la place à un nouveau despotisme, qui, quant à l’omniprésence des contrôles et l’arrêt de toute activité politique, sera pire que les totalitarismes que nous avons connus jusqu’à présent. Les politologues américains l’appellent Security State, c’est-à-dire un État dans lequel, pour « raisons de sécurité » (dans le cas présent de « santé publique », terme qui fait penser aux tristement célèbres « comités de salut public » durant la Terreur), l’on peut imposer n’importe quelles limites aux libertés individuelles.
(…) sans vouloir minimiser l’importance de l’épidémie, il faut pourtant se demander si celle-ci peut justifier des mesures de limitation de la liberté qui n’avaient jamais été prises dans l’histoire de notre pays, pas même durant les deux guerres mondiales. Naît le doute légitime qu’en répandant la panique et en isolant les gens dans leurs maisons, l’on a voulu se décharger sur la population des gravissimes responsabilités des gouvernements qui avaient d’abord démantelé le service sanitaire national et ensuite, en Lombardie, commis une série d’erreurs non moins graves dans la façon d’affronter l’épidémie
(…) si, pour une fois, nous laissons le champ de l’actualité et nous essayons de considérer les choses du point de vue du destin de l’espèce humaine sur la Terre, me viennent à l’esprit les considérations d’un grand scientifique hollandais, Ludwig Bolk. Selon Bolk, l’espèce humaine est caractérisée par une inhibition progressive des principes vitaux naturels d’adaptation au milieu, qui viennent à être remplacés par une croissance hypertrophiée des dispositifs technologiques pour adapter le milieu à l’humain. Quand ce processus dépasse une certaine limite, il atteint un point où il devient contreproductif et se transforme en autodestruction de l’espèce. Des phénomènes comme celui que nous sommes en train de vivre me semblent montrer que ce point a été atteint et que la médecine qui devait soigner nos maux risque de produire un mal encore plus grand. C’est aussi contre ce risque que nous devons lutter par tous les moyens.
L'intégralité de l'entretien, traduit par Florence Balique, est à lire ici.


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Le Monde diplomatique met en ligne La Ville sûre, un long papier de Félix Tréguer, publié en juin 2019. Extraits :
(…) la « ville sûre » engage une privatisation sans précédent des politiques de sécurité. L’expertise technique est tout entière confiée aux acteurs privés, tandis que les paramètres qui président à leurs algorithmes resteront selon toute vraisemblance soumis au secret des affaires. Sur le plan juridique, il n’existe à ce jour aucune analyse sérieuse de la conformité de ces dispositifs avec le droit au respect de la vie privée ou avec la liberté d’expression et de conscience, pourtant directement mis en cause (…) Les effets politiques de tels déploiements s’annoncent significatifs : surenchère dans le traitement policier de certains quartiers, aggravation des discriminations que subissent déjà certaines catégories de personnes, répression des mouvements sociaux. Ils ne sont, bien entendu, jamais évoqués par les promoteurs.

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Dans son édito du mois de mai, intitulé Tous des enfants, Serge Halimi prédit l'âge ingrat. Extraits :
Une fois encore leur monde est par terre. Et ce n’est pas nous qui l’avons cassé. On évoque en ce moment le programme économique et social du Conseil national de la Résistance ; la conquête des droits syndicaux et les grands travaux du New Deal. Mais bien des maquisards français avaient alors conservé leurs armes, et dans la rue un peuple attendait l’échappée belle « de la Résistance à la révolution » (…) Aujourd’hui, rien de tel. Confinées, infantilisées, sidérées autant que terrorisées par les chaînes d’information en continu, les populations sont devenues spectatrices, passives, anéanties. Par la force des choses, les rues se sont vidées (…) Tel un enfant apeuré par le grondement de l’orage, chacun attend de connaître le sort que le pouvoir lui réserve (…) Un jour, nous redeviendrons adultes. Capables de comprendre et d’imposer d’autres choix, y compris économiques et sociaux. Pour le moment, nous prenons des coups sans pouvoir les rendre ; nous parlons dans le vide et nous le savons. D’où ce climat poisseux, cette colère inemployée. Un baril de poudre au milieu d’une pièce, et qui attend son allumette. Après l’enfance, l’âge ingrat…
L'intégralité du texte est à lire ici.

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En attendant, un peu de cinéma, piqué sur l'excellent blogue de l'ami Julio. 



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