jeudi 9 avril 2020

Couvre-feu culturel

Svetlana Solodovnikova


Le confinement étant appelé à durer, j'ai décidé de tenter d'échapper aujourd'hui aux nouvelles anxiogènes, comme on dit, et parcouru uniquement les pages culture des grands médias.

Je me suis en premier lieu, et hasard, arrêté sur le portrait de la romancière Cécile Coulon, offert gracieusement par Libération. La plume de Céline Walter s'impose d'emblée. L'employée de Patrick Drahi nous apprend dès la première de ses lignes que son modèle « est d’une blondeur qui perce l’œil autant que l’écran. Un blond qui tire sur l’étrange. Si blanc qu’il vire parfois au bleu spectre selon la lumière et l’humeur de la fille… » Je me permets de reproduire ici la photo qui illustre le papier, signée Pascal Aimar, afin de prouver aux pauvres êtres égarés sur ce blogue que la romancière aux 16 000 amis Facebook est effectivement blonde. 


Plus loin dans le texte, nouvelle preuve de sa couleur de cheveux, lorsque la belle Cécile nous dit  : « Je suis à la tête d’un troupeau de fantômes, mais ils ne me mènent pas. » 
En cette période, la mode est au journal de confinement. Certaines écrivaines parisiennes, proches du pouvoir financier et politique, s'acharnent à nous rappeler d'où elles parlent, comme on disait autrefois. Mais l'autrice – elle aime ce terme – ici portraiturée est bien plus maline et tient, nous dit-on, dans son appartement de Clermont-Ferrand, un antijournal de confinement. « Elle a le post facile et sympa », estime la journaliste admirative. « De ses allers-retours entre ses fenêtres et son ordinateur, on peut lire : "Arrêtez de promener votre chien, je viens d’en voir passer un plus musclé que moi !" Ou de relayer : "Je n’ai pas de poitrine mais en ce moment il y a du monde au balcon." » J'essuie de mes yeux les larmes de rire et poursuit pour apprendre de la bouche de la native de 1990 que « le saint-nectaire se congèle très bien » et qu'elle « imagine que ces temps-ci les gens se remettent à cuisiner. » Elle le confesse par ailleurs : « Je n’ai pas de rêves de pays lointains, je suis comme un animal, comme le blaireau qui reste près de son terrier. » La romancière aux succès vertigineux avoue pour conclure : « Je me fais tatouer très souvent des images de chacun de mes ouvrages pour en garder la trace.  » J'ignore encore si, lorsque je pourrai de nouveau errer dans les rayons de ma librairie préférée enfin réouverte, j'aurai toujours en tête l'image du blaireau et me précipiterai sur les romans de l'Auvergnate. 

***
Malgré la fermeture des librairies justement, Le Parisien nous indique que les amateurs de littérature ne sont pas privés de nouveautés car nombre d’entre elles sont disponibles en numérique et peuvent être lues sur tablette, liseuse ou téléphone. Le journal de Bernard Arnault offre alors ses coups de cœur à ses lecteurs. En tête de sa sélection, le quotidien place le dernier Joël Dicker, « sur un air d'Agatha Christie », dit-il, avant de rectifier : ce livre ne sera finalement disponible qu'à partir du 30 juin. Le titre phare de LVMH ne se démonte pas pour autant et affirme : « Voilà un roman qui aurait accompagné un bon bout de temps votre confinement, si sa sortie n'avait pas été repoussée après la rédaction de cet article. Nous vous laissons tout de même notre critique à disposition, pour vous donner envie de le lire, plus tard ! » On lira donc la suite plus tard.

Le même journal, éclectique et décidément à la pointe de la culture, nous le confirme : le confinement peut être l'occasion de découvrir ou de revoir ses classiques, en prenant l'exemple de Julien, ancien étudiant en lettres de Haute-Saône, qui a mis à profit cette période pour se plonger dans l'œuvre de Marcel Proust. « Chaque jour, lit-on, il lit A la recherche du temps perdu pendant une ou deux heures "pour ne pas en être dégoûté" » Pour ceux que ça dégoûte tout de même, le quotidien des comptoirs fait ses calculs : « En consacrant ses journées entières à la culture pendant un mois, il serait possible de s'attaquer à bien d'autres monuments que les livres de Proust. Des exemples ? A raison de douze heures chaque jour, vous pourriez ainsi voir l'intégralité de la filmographie d'Alfred Hitchcock, visionner les 236 épisodes de la série Friends et apprécier virtuellement toutes les œuvres exposées au musée du Louvre. » Et de nous fournir un emploi du temps que je me permets de copier-coller sans dérogation car quelque peu contradictoire (c'est l'époque qui veut ça, comme disait le poète).





Oui, après 1 h 25 passée en compagie du petit Marcel, il faut consacrer un minimum d'1 h 20 au grand Johnny. C'est le prix à payer pour être moins bête à la sortie du confinement.
Le Parisien toujours, promis, après, j'arrête, me fait regretter de ne pas être encore une personne âgée et isolée lorsque je découvre que nos humoristes préférés – Franck Dubosc et Gad Elmaleh en tête –, imiteront dans les jours à venir les agents « mobilisés pour appeler tous les jours et directement les personnes âgées isolées » en ces temps de lutte contre le Covid-19, expose dans son communiqué l'entreprenante Anne Hidalgo qui ne manque pas de remercier « très chaleureusement tous ces volontaires qui font preuve d'une solidarité à toute épreuve dans cette situation de crise inédite ».

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Un saut sur Le Figaro, du moins sur son site, où j'apprends que le gouvernement chinois, soucieux de relancer l'économie touristique et culturelle du pays en forte baisse depuis le début de la pandémie, s'est lancé dans une opération dite Découverte et offrant la visite gratuite de 29 sites touristiques et culturels. Dimanche, quelques 20 000 citoyens chinois, tout juste déconfinés, ont pris d'assaut le parc de la chaîne du Huangshan, également connue sous le nom de Montagnes jaunes et classées par l'Unesco. Les visiteurs devaient « montrer patte blanche concernant leur état de santé via une application mobile dédiée. Un contrôle de la température était en vigueur ainsi que le port obligatoire du masque chirurgical… », nous informe le journal du groupe Dassault. Mais l'affluence n'était pas celle attendue par les autorités, rapidement débordées et contraintes, devant le manque de respect des « mesures de distanciation sociale nécessaires pour contenir le Covid-19 » de fermer le parc en urgence. 

Car on ne le dit pas assez. Le déconfinement nous donnera sans nul doute l'occasion de rapidement nous reconfiner…

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Bonus : Pour les amateurs de lecture numérique, du Paris des années 1980-1990, du Pigalle de jadis et de toujours, Le Seuil, en accord avec l'auteur, vient de mettre en ligne le livre de David Dufresne, New Moon Palace, dont il avait été question ici, et qu'on peut donc lire ici





1 commentaire:

  1. Cher inconsolé, merci de nous donner des nouvelles de gens dont on ne soupçonnait même pas l'existence (et je cause pas des Chinois).
    France, mère des Arts et des Lettres...

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