samedi 18 janvier 2020

Tu m'attends ?

Tu lis quoi, de la poésie ?, tu me paies une bière ?, moi aussi, je suis poète, pas mal, cette table, tu contrôles la salle, l'air de rien, avec ton bouquin en évidence, ça doit être facile, les filles, elles aiment les hommes qui lisent, tu chopes encore à ton âge ?, ça te dérange pas si je m'assieds ?, j'aime bien cette forme du verbe, je suis un puriste en fait, j'aime la langue, je suis peut-être un poète minable, mais je t'assure je suis poète h24, j'ai même publié un livre il y a deux ou trois ans, chez un petit éditeur qui a disparu depuis, elles sont fraîches ici, les bières ?, qu'est-ce tu lis ?, fais voir, excellent, ce titre, Valet, connais pas, tu permets ? Observe avec quelle infatigable volonté la paresse décime ses pires ennemis, ah oui, pas mal, c'est un contemporain ?, moi aussi, je suis paresseux, mais je prends de la poudre le soir pour compenser la dizaine de 8.6 que je m'envoie depuis le petit déj', pour décimer mes pires ennemis moi aussi, et je prends aussi d'autres trucs, je suis toujours défoncé, t'aimes ça, toi ?, les joints ça m'assomme, je n'en prends que lorsque je veux tout oublier, dormir, là, j'ai un peu de c., si t'en veux, je te paie une ligne, on va aux chiottes, j'ai sur moi de quoi prendre encore quelques bons flashs, la coke, c'est de moins en moins cher, aujourd'hui, y'a plus que ça qui n'augmente pas, regarde ce bar, quand je l'ai connu, je pouvais me torcher pour à peine dix euros, aujourd'hui, pour la même somme, je commence à peine à sentir le goût de l'alcool, je sais pas pour toi, mais moi, dans l'intimité, je veux dire, j'ai du mal à lâcher la purée, à éjaculer quoi, je me demande si c'est pas dû à toutes ces produits que je prends, ou aux médocs, tout conjugué peut-être, ça arrive, je bande souvent mou, lorsque je suis avec une fille, elle peut prendre son pied plusieurs fois avant que j'y parvienne, parfois on s'endort sans que je jouisse, ce qui est chiant, c'est quand la nana est la seule à s'endormir parce que je tarde trop, ça m'est arrivé déjà deux ou trois fois, faudrait que je ralentisse la dope, mais je ne sais pas écrire autrement, ni vivre autrement, ça me va, la barbe ? ou tu penses que je devrais laisser que la moustache ?, et les cheveux ?, pas trop décolorés ?, ça fait pas vulgos ?, j'ai pas l'air mais je suis un beau mec, avant, je posais pour des magazines, des pubs, mais là, je suis trop bousillé, c'est peut-être aussi dû aux électrochocs, j'en ai subi pas mal, à 26 ans, j'en suis à mon douzième ou treizième internement, j'en ai épuisé des psys, je suis shizo, et dépressif, et puis je tape ma mère quand j'ai une crise, taper dans le sens physique, hein, car voler, ça, j'ai pas besoin de crise, je vole tout ce que je peux, ce que je préfère, c'est quand ma mère organise un dîner, ou une fête, là, je tape les sacs à main et les portefeuilles, dans les soirées où je suis invité aussi, mais je reçois de moins en moins d'invit' à vrai dire, pour la thune, j'ai une allocation, je suis reconnu adulte handicapé, j'ai pas vraiment de loyer heureusement, j'ai un studio Paris Habitat, grâce à une relation de ma mère et ma condition, et les APL, mais ça ne suffit pas, ma mère, c'est une pauvre femme, je l'ai toujours vue ramer, elle est bonne à rien, c'est la honte de la famille, tout ce qu'elle a fait dans sa vie, c'est s'occuper de sa mère, ma grand-mère, qui a passé les trois quarts de sa vie en HP, je ne la supporte plus, je lui mets des claques, chez elle, où j'ai toujours ma chambre, ou dans la rue, l'autre fois au Monop', c'est elle qui me fait interner, ensuite ça la met dans tous ses états et elle passe son temps à faire ses aller-retours à Ville-Evrard, je lui rappelle sa mère, elle m'apporte parfois de l'alcool qu'elle pique chez Monop', on est de sacrés chouraveurs dans la famille, mais je préfère ça que tailler des pipes ou me faire mettre, oui, ça te choque ?, au début, c'est ce que je faisais, je m'étais inscrit sur un site de rencontres, tu parles, un site de putes, oui, j'ai eu quelques rencards, mais tu ne sais pas sur qui tu vas tomber, j'en avais marre de tous ces vieux qui peuvent plus baiser sans raquer, ça n'a rien de déshonorant, quand on est poète, faut se débrouiller pour vivre, pour se défoncer, s'amuser un peu dans cette sale existence, tu crois qu'ils faisaient quoi Rimbaud, Villon ou je sais plus qui ?, les armes, comme Rimbaud, je peux pas, je suis viscéralement pacifiste, poète et pacifiste, même si j'aime profondément la vitesse, y'a que quand j'ai une crise que je suis violent, parfois je tape mon chat, ou quand je récite mes poésies en public, je suis en transe, t'en reprends une ?, tu pourrais me prêter un billet ?, je te le rends demain, je reviens, je vais m'en faire une, t'es sûr que t'en veux pas ?, moi, je lis plus, ça me rend dingue, les livres, j'en ai enquillé, depuis mon plus jeune âge, par centaines, Walser, Apollinaire, Baudelaire, Mallarmé, Ronsard, Vigny, Char, Jacottet, Toulet, Rutebeuf, Pennequin, Tarkos, Éluard, Desnos, Reverdy, Follain, j'en oublie là, le plus grand, c'est Artaud, devine c'est quoi, mon prénom ?, la musique, pareil, j'écoute plus rien, j'ai trop abusé de la techno, je suis crevé, tu sais que ma gonzesse s'est barrée ?, ça faisait pas six mois qu'on se connaissait, elle est tombée enceinte, j'étais fou de joie, on s'est bien défoncé tous les deux, mais elle en a eu marre, pour le gosse, tu comprends ?, pas grave, sa mère a de la thune, elle va pouvoir l'aider, pas comme la mienne, mon gosse va pas crever la dalle, putain, je vais être père, tu te rends compte ?, mais là, ça m'angoisse de rentrer tout seul dans mon studio, tu habites loin d'ici ?, on peut aller se prendre un pack à l'épicerie du coin, je la connais bien, juste cette nuit, je te lirai mes poèmes, tu m'attends ?

2 commentaires:

  1. Je crois bien avoir déjà croisé cet intéressant jeune homme. Ou son frangin.

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    1. Magie de la fiction, cher Julio, ce soit être un mélange des deux…

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