lundi 4 novembre 2019

Une vie française


C'était au début des années 1990. Et ça revient, par bribes. Forcément, comme dirait l'autre. On avait sympathisé à l'époque où je finissais d'être libraire. Après ma désertion, ou juste avant, j'étais parvenu, malgré le scepticisme de mes chefs, à le faire inviter dans la librairie où je bossais jusque là. Et lorsqu'il est venu, je n'étais plus là. Mais j'étais là, finalement, histoire de ne pas le laisser seul. J'ai déjà raconté ça. Je ne sais comment je suis parvenu à surmonter rougeur et sueurs pour m'adresser à lui. Mais nous nous sommes recroisés quand il est revenu à Paris. Je lui avais alors rapidement proposé de se prêter au jeu de l'entretien, un peu décalé – j'étais véritablement fasciné par sa conception de l'existence, des rapports humains. Il devint rapidement mon anarchiste préféré. 
J'avais commencé à écrire dans un journal en particulier, et, décomplexé de la plume, m'étais mis dans l'idée un dossier pour le groupement de librairies indépendantes de ce temps-là. Dubois démystifiait l'image de l'écrivain, citait Cioran, et les patrons, de gauche de préférence, qui vous invitent à les tutoyer – les pires, méfie-toi. La femme qui dirigeait l'association lut l'entretien et me remercia de l'intérêt, etc. Dubois était un peu trop confidentiel et ne méritait pas un dossier spécial. Justement, il est à découvrir, ripostais-je. En vain. J'essayais par ailleurs de collaborer à quelques titres émergents, dont un autre canard de Butel. Du haut de mon culot de timide inconscient, j'avais appelé la rédaction, sollicité un rendez-vous, proposé l'entretien, et fut reçu par une fille de dessinateur célèbre qui me rit au nez après lecture de l'entretien. Non, décidément, ça ne collait pas. Vous comprenez, la littérature, c'est autre chose… J'en informais Jean-Paul qui comprenait parfaitement et me conseillait de passer à autre chose, nous continuerions à nous voir sans jamais plus évoquer ces histoires. Et c'est ce que nous avons fait.
Et puis, d'autres histoires sont arrivées, les siennes que je lisais toujours avec avidité et plaisir et les miennes, parfois liées au siennes, sans grand intérêt et que je tairai ici. 
Lorsque j'ai appris par hasard il y a quelques jours que son nom figurait dans la short list, comme on dit, du Goncourt, j'ai pensé lui envoyer un mot. Mais habite-il toujours la maison de sa mère – seule adresse que je possède encore ? Je voulais lui rappeler ses propos, lors de ce fameux entretien. « Je dis toujours à mon éditeur, me confiait-il, obtiens-moi le Goncourt, et tu n'entendras plus jamais parler de moi ». Je voulais lui dire que j'espérais, très égoïstement, que la Nothomb serait enfin couronnée ou le Rolin ou je ne sais qui, mais pas lui, surtout pas lui ! Que les prix, selon Billy Wilder, etc. Je tenais à le retrouver tous les deux ou trois ans, encore quelque temps, merde ! Je sais que c'est un homme intègre, droit, rare, et qu'il ne balance pas de paroles en l'air, même à un abruti d'apprenti journaliste dans mon genre. J'ai bien peur qu'il tienne parole… et qu'on ne se tape à l'avenir que des Nothomb et autres Tesson… J'ai quand même ouvert une bouteille à sa santé, ce soir.

6 commentaires:

  1. Ce prix Goncourt est un véritable miracle - une erreur, très certainement.

    "Un écrivain qui accepte un prix littéraire est un écrivain déshonoré" écrivait Paul Léautaud.

    Je n'ai pas eu la chance de rencontrer Jean-Paul Dubois, mais je suis à peu près certain qu'il aime Léautaud.

    Espérons que nous aurons encore de ses nouvelles.


    Meilleures siestes à vous.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Dubois, à qui on demandait à la radio ce matin si ce prix inouï était l'aboutissement d'une longue carrière a rétorqué que le seul aboutissement qu'il connaisse était plutôt triste... Espérons en effet qu'il reste longtemps encore en vie ! Et s'il n'éprouve plus l'envie d'écrire, espérons qu'il savourera sa fameuse paresse...

      Supprimer
  2. Je ne doute pas que Jean-Paul Dubois prend un peu de plaisir dans son travail d'écrivain. Il a raison, c'est une grande violence que de perdre son temps a faire un travail sans intérêt alors qu'on aurait mille choses à faire ou à ne rien faire par ailleurs.
    Viré avec une grosse prime de licenciement, ce serait mon prix Goncourt à moi.
    Je trinque avec toi à la santé de Dubois.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Luc, il ne faut jamais désespérer, et tout faire pour ça (le licenciement) ! Longue vie à Dubois, à la littérature et à la peinture ! Salud !

      Supprimer
  3. En attendant, son dernier roman n'est pas le meilleur de sa production. Je n'ai pas pu le terminer.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cher Federico, je suis d'accord avec vous, ce n'est pas le meilleur, mais c'est un bon roman, parfois un peu trop "documenté"… Une vie française le méritait davantage, sans aucun doute ; le Goncourt lui a été attribué pour l'ensemble de son œuvre. Saludos cordiales

      Supprimer