samedi 5 octobre 2019

Une heure de méditation

Yann Morvan


Tu vois, c'est pour ça : quand tu m'as proposé de déjeuner ensemble, ça m'a fait... waouh, tu vois ?... j'en avais besoin. Sans le savoir vraiment. Mais dès que tu m'as appelé, j'ai su. Je ne sais pas ce que j'ai à l'œil, il pleure tout seul... Je crois que je vais me mettre à la méditation... Je ne sais pas ce qu'elle cherche. Mais on ne parle pas aux gens comme ça. Je ne sais pas quel est ce besoin. Quand les choses vont bien, certaines personnes se sentent obligées de foutre la merde. Je ne supporte pas ça. On dirait que les gens n'ont rien d'autre dans leur vie. Que leur existence se résume à leurs téléphones, aux séries... Si tu les écoutes, ils n'ont rien d'intéressant à dire, tu t'emmerdes. Alors, ils ont besoin de créer ce genre de choses. Evidemment, ce n'est pas de la vantardise, tu me connais, mais quand ça arrive, c'est au plus âgé qu'on s'adresse, qu'on pense être le meilleur, je dis ça sans prétention, mais moi, je ne veux pas, je ne suis pas fait pour ça. Quand il y a trop de pression, je n'arrive pas à travailler. Mon chef peut me dire Eric, j'ai besoin d'un coup de main. Pas de problème. Mais si on me dit T'as 10 minutes pour régler ça, je perds mes moyens, je ne sais pas faire. Et je crois que c'est pareil pour tout le monde. On a beau dire. Tu me connais, moi, je suis un mec droit, bosseur, mais j'ai pas envie de gérer ce genre de problème. Si j'étais chef d'entreprise, que j'avais sous ma direction, dix personnes, ou 50, ou 300 ou 1000, ce serait autre chose. Et puis, j'aurais certainement quelqu'un pour gérer ces cas de figure, et ce type de personnages. Ici, je ne peux pas. Pas dans ma situation. J'aime bien jouer à la belote. Je ne sais pas si je suis bon, mais je crois : j'ai appris avec les gars des bâtiments. On joue régulièrement à la cafét'. Donc, on a joué deux heures, on a bu des coups, et discuté longuement. J'ai tout dit. Ensuite, je suis allé la voir et j'ai lâché ce que je pensais. J'ai bien fait, non ? Si c'est comme ça, je préfère ne plus te voir. Elle ne se souvenait de rien. Incroyable. Et je peux te dire, il y en a eu, des noms d'oiseaux. Pour Sébastien et moi. Sébastien aussi s'en est pris plein la tronche. Mais elle, elle avait oublié. Ou alors, elle faisait semblant. C'est dingue, non ? C'est possible qu'elle ait oublié, pourquoi pas, mais je ne comprends pas, je te jure. C'est comme les flics qui manifestent parce que leur image est écornée mais qui se défoulent sur le premier manifestant dont la gueule ne leur revient pas. J'ai l'impression que ça va mal. Quand on voit que là-haut, ça légitime tout, les mains arrachées, les yeux éborgnés... Normal qu'en entreprise, ça ait des répercussions. Moi, j'ai encore 20 ans à bosser, mais je suis à un âge où je peux pas me permettre de perdre mon boulot. J'ai hésité, mais fallait que ça sorte. Tu crois pas ? Je n'aime pas les conflits, mais là... C'est ce qu'il y a de pire, les petits chefs. Ils sont pas beaucoup plus que toi, ils ont à peu près la même formation, mais ils pensent faire partie de la direction, que c'est grâce à eux que ça tourne. Et ils se lâchent sur leurs semblables, pour être bien vus, avoir une promotion, une augmentation, les cons... Tu te souviens, ce sketch des Deschiens ? On en a marre ! Parce que là, ça peut plus durer... Ben, c'est un peu ça. Je ne sais pas ce que j'ai à l'œil... C'est peut-être dû au nuage normand sans danger pour la population... Je sais que les gens s'écrasent, acceptent l'humiliation, de peur de perdre leur boulot, d'être placardisés, harcelés pour les pousser à partir... En faisant ça, ils adhèrent au plan. Moi aussi, si je réfléchis bien, j'ai cette trouille. Mais là, je n'avais pas encore fait mon heure de méditation, et c'est sorti. Elle n'en menait pas large. Mais moi, il faut pas me parler comme ça. Je ne suis pas un rebelle, mais faut faire attention. Je crois qu'elle l'a compris. Je ne sais pas ce qui m'attend, mais j'ai bien fait, non ?




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