jeudi 29 août 2019

Zobi !

Vivement l'automne ! La rentrée littéraire de septembre terminée, outre la publication, enfin, d'une sélection des Journaux d'Iñaki Uriarte, avec une préface de Frédéric Schiffter et dont on reparlera certainement ici, on se précipitera le 14 octobre avec grande joie sur un volume de quatre textes concocté par le regretté Clément Rosset et intitulé Ecrits intimes, dans lequel, nous dit son ami Santiago Espinosa, la personnalité de l'auteur de La Force majeure « ne transparaît pourtant pas, mais plutôt quelques-unes de ses manies ou celles de ses proches »… Extrait : 
 
Depuis quelques jours, je suis dérangé dans mes travaux par une mouche. C'est une assez grosse mouche, toute velue et toute noire, qui ne cesse de bourdonner autour de moi, de se poser sur la feuille sur laquelle j'écris, pour s'envoler à nouveau dès que j'essaie de m'en emparer, de faire mille acrobaties autour de ma lampe, de me poursuivre si je change de pièce, et enfin de me réveiller dès l'aurore par ses évolutions bruyantes et insupportables. J'ai bien essayé de la faire partir en la chassant en direction de mes fenêtres que j'ouvre en grand, ou de la tuer en l'assommant d'un linge quelconque à la faveur des brefs instants où elle s'immobilise ; mais rien n'y fait. Elle choisit des endroits peu accessibles pour y faire ses pauses, et a l'art de reprendre son vol à l'instant précis où je m'apprête à lui asséner un coup mortel ; si bien que je n'ai pas réussi, jusqu'à présent, à la prendre de vitesse. J'ai cru la tenir cet après-midi : elle observait une station prolongée, suspendue à mon plafond, et m'avait tout l'air de dormir. Après avoir installé silencieusement un escabeau pour me hisser jusqu'à sa portée, j'ai manqué une marche et me suis retrouvé par terre, fort contusionné. Le bruit de ma chute a réveillé la mouche qui a entrepris une ronde infernale à travers la pièce. Très énervé, j'ai pris le parti d'aller prendre l'air. J'espérais un peu qu'à mon retour la mouche aurait disparu ; mais elle était toujours là, et toujours bourdonnant.
L'obstination de cette mouche est surprenante. En général, une mouche que l'on pourchasse finit tôt ou tard par s'en aller d'elle-même, ou par périr sous vos coups. Il est vraiment singulier que je ne parvienne pas à la mettre hors de combat, d'une manière ou d'une autre. C'est, je crois, la première fois que je me trouve sans défense devant une mouche. Et je suis d'autant plus agacé que, cette mouche mise à part, tout va le mieux du monde pour moi : coeur, argent et affaires, comme disent les faiseurs d'horoscope. Mais il y a cette mouche qui, à elle seule, gâte tout.

Je l'ai eue : un coup de serviette appliqué de main de maître tandis qu'elle évoluait le long de ma fenêtre. Bon débarras.

Je suis un peu inquiet cependant. Impossible de retrouver le cadavre de la bête. Je suis pourtant certain de l'avoir assommée, je l'ai vue tomber à terre. Elle a dû se glisser sous le tapis, ou disparaître entre deux planches du parquet. Mais elle est bien morte ; et la preuve : elle a cessé de se manifester.

Réveillé, à six heures du matin, par la mouche. Sitôt levé et habillé, j'irai chez un pharmacien acheter un insecticide. Cette comédie a assez duré.

Clément Rosset, Ecrits intimes. Quatre esquisses biographiques,
éd. Minuit


2 commentaires:

  1. Clément nous fait rire. C'est sa grande courtoisie. Sa mort est une mauvaise blague.

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  2. Jamais un homme n'excelle autant que lorsqu'il cesse de parler de sa spécialité.

    On ne compte plus le nombre de proconsuls qui auraient pu nous offrir des chefs-d'œuvre.

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