mercredi 5 décembre 2018

Qui trop en prend

Barry Beckett

elle n'avait pas changé
ses boucles et ses yeux noir sépharade
cloués sur moi dans l'allée centrale
de la supérette bio
m'ont collé illico mes 20 ans
en noir et blanc
et j'ai souri à son non que je sentais
encore dans ma paume suante
à mes années de fac
de solitude et d'errances
de découverte de la ville et du Voyage
de L'Idiot et de mon incompétence
mal maquillée par des kilos d'arrogance
la voilà qui trente ans plus tard me revenait
sans mal je la reconnaissais mais
son prénom hébraïque m'échappait
Sarah Rebecca ou Yaël
j'avais pourtant milité 
pour le donner à ma fille en pensant à elle
heureusement elle ne lui ressemble pas
c'est mon portrait bavé
résultat bien plus préoccupant
j'ai discret laissé tomber le pack
– Qui trop en prend peu entreprend
disait un poète antique occitan –
et décortiqué céréales
riz et fruits secs en vrac
quinoa et produits antioxydants
jus de fleurs d'hibiscus sains et énergisants
puis chacun à une caisse
anciens camarades reconnus
clients d'un soir anonymes
nous avons payé
et j'ai retrouvé avec la même peur
laissant valser les entrailles
ses yeux noir sépharade
sa grosse voiture sur le parking
collée à mon vieux scooter
et j'ai souri à ces retrouvailles
avec Sarah Rebecca ou Yaël
qu'elle aurait voulues je le sais plus
sensuelles charnelles passionnelles
enfin
bien plus belles
je n'avais pas changé
encore une dernière fois je l'ai regardée
me tourner le dos et de moi s'éloigner
se perdre parmi d'autres parents
devant l'école pour attendre son enfant
je sentais encore son non dans mon poème
sin palabras
j'ai refermé la main
et avalé mes derniers pauvres vers
au premier grand comptoir désert

Charles Brun, Derniers vers solitaires



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