lundi 8 octobre 2018

Ni moi ni un autre


On nous l'avait promis un soir, dans l'euphorie sombre d'un hommage Maison de la poésie, sceptique, on se refusait d'y croire… C'est désormais annoncé : dans trois jours, on pourra lire dans la blanche quelques uns des textes noirs et magniques qu'Hervé Prudon balança du haut de sa tour face à la Santé et à la mort. 


il ne fera ni jour ni nuit
ni chaud ni froid
je ne serai ni moi
ni un autre
sans âme et sans substance
je ne serai ni le feu ni le vent
ni la pierre ni l’arbre ni l’animal
ni la lumière ni les ténèbres
de moins en moins l’absence
et rien de plus en plus
jusqu’à ce que rien ne dure


il fait chaud en flanelle
on boit du thé à la cannelle
libres ailleurs des chevaux s’ébrouent
sur les herbages du delta large
ici des fleurs coupées se fanent
les steaks sous cellophane le bœuf s’étouffe
dessus le ciel vibre de nuages et de vents
de couleurs et de pluies
l’œil éternel s’ennuie
nulle part personne
ne se soucie du cri des hommes

j’assiste à ma mort triste et douce
à Paris tandis qu’ici et là j’entends qu’on veille
à grands cris au sort des bêtes sauvages
de l’abattage des cochons de la prolifération
des bactéries autant d’infos dont je me fous
moi j’aimerais juste sans penser à mal
ni à moi avoir moins mal de moi
et penser plus aux autres bêtes, cochons et bactéries
participer à la souffrance et l’insouciance
universelle si ce n’est pas trop demander sinon
me taire encore serrer les dents que je n’ai plus
et les fesses et le cul moins chair que trou
et vivre plus vite que peu ou prou



Hervé Prudon, Devant la mort, Gallimard

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