jeudi 27 septembre 2018

Cher éditeur



Espèce de con intégral putain d'enfoiré de mes deux
tu crois vraiment qu'un travail d'écrivain – 
mon travail – se résume à une sorte 
de truc
mécanique 
jetable
un tour de passe-passe au clavier ?
Tu t'imagines qu'un roman peut s'improviser en play-back dans un programme d'ordinateur
– que c'est comme battre un jeu de cartes ou taper
une putain d'adresse GPS sur le tableau de bord
de ta berline BMW bleu pastel
à quatre-vingt-dix-mille dollars ?

La prochaine fois qu'on se rencontre
cher pignouf de sous-homme d'éditeur
et que je te soumets un texte
je pourrais peut-être sauter sur ton bureau et presser
le canon d'un flingue
entre tes yeux écartés
qu'on ait une conversation authentique
sur ce que je fais en tant qu'artiste
à savoir
me découper la bidoche et en recouvrir de morceaux saignants
la page afin que le premier venu
sous réserve d'être suffisamment ouvert ou intéressé
pour connecter son esprit
avec le mien
puisse voir à l'intérieur de mon
cœur

Crois-le ou non
éditeur de mon cœur
je n'en ai rien à branler que mon dernier recueil de nouvelles
jure avec ton programme de l'année prochaine

Mais sois sûr d'une chose :
je continuerai de faire ce que j'ai toujours fait
– m'ouvrir autant que j'en suis capable
et m'arracher 
ma vanité mes illusions
couche après couche
et explorer et proférer ma plus profonde 
ma plus intime vérité
jusqu'au jour 
où ma femme
et mon gosse
recouvriront mon corps de neige carbonique
avant de me coudre les yeux
les lèvres
et de balancer mes restes puants
à la mer
du haut de la jeté de Santa Monica

Et une dernière chose cher éditeur :
merci
encore
d'avoir
pris
autant de temps
pour
examiner
mon
travail.

Dan Fante, in Bons baisers de la grosse barmaid,
trad. Patrice Carrer

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