jeudi 16 août 2018

De vent et de pourriture




c'est un fait que ce que nous exprimons en paroles, couchons sur le papier, est dix fois plus bête que ce que nous pensons, et cependant nous acceptons, comme les grands écrivains, de passer pour beaucoup plus bêtes que nous ne sommes et commettons ce non-sens de dire quelque chose, de le coucher sur le papier, d'exprimer une opinion, de défendre une orientation, de prendre parti pour une idée,

j'écris une ligne, depuis des semaines je n'ai plus écrit une ligne ?, c'est sans importance, qu'un être écrive ce qu'il écrit, je me répète sans cesse combien c'est sans importance, pitoyable, inconvenant, mais cette ligne pourrait être poursuivie, développée, devenir poème, lambeau, méprisable chiffon de vent et de pourriture,
je fourrage dans les manuscrits, ce tas, ces piles de papiers, je tire ici une page, là une autre, dix pages, vingt pages, cent pages, et je le jette dans le poêle,
je suis pris de dégoût, je ne trouve rien, rien, pas une virgule, je vais tout brûler,
mais où est l'allumette ?, sans allumette je ne peux pas l'allumer, je suis étalé sur mon tas de papier et je brûle, tout en moi brûle, je brûle sur ce tas de fumier, sur ce tas de fumier puant de l'abjection,

Thomas Bernhard, Dans les hauteurs,
Tentative de sauvetage
, non-sens, trad. Claude Porcell

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