mercredi 25 juillet 2018

Visionnaire





- Tiens, j'ai revu Mon Oncle l'autre soir. Ils ont ensuite passé un documentaire sur sa carrière.
- Ça intéresse qui, la carrière de ton oncle ?
- Pas mon oncle. Tati, sur Arte.
- Tati sur Arte ?...
- Arrête de faire le con.
- C'est Tati qu'a été arrêté. Et maintenant, Arte !
- Qu'est-ce que tu racontes ?
- On n'a pas pardonné à ce type son esprit visionnaire.
- C'est ce que j'allais dire.
- Ah oui ?
- Revoir Mon Oncle, ça lave le regard.
- C'est dit dans le docu ou c'est de toi ?
- Il avait un sens du plan... !
- Et des plans avec du sens. Sens giratoire, interdit, unique...
- Qui aujourd'hui nous parle du monde dans lequel nous vivons ?
- Personne.
- Voilà !
- Personne, parce qu'il n'existe pas.
- Je ne suis pas sûr de te suivre.
- Pas grave. On en reprend une ?
- Explique-toi.
- Je parlais d'une bière... Tiens, il n'est pas cinéaste, mais Macron nous parle parfaitement du monde dans lequel nous vivons.
- Avec l'affaire Benalla ?
- Ah non, pas ça ! Pitié !
- Tu ne t'y intéresses pas ?
- Si, au début, j'ai jeté un oeil parce que j'avais mal compris. J'ai cru qu'il s'agissait d'une nouvelle affaire Nabilla. Je me suis dit, Tiens, qu'a-t-elle encore fait ? Elle est retournée en prison ? Elle a pondu un nouveau livre ? Son oeuvre est entrée dans la Pléiade avec une préface de Beigbeder ?
- C'est quand même une affaire d'Etat.
- Il y a des tas d'affaires en revanche dont tu n'entendras jamais parler. Tout ça, c'est le spectacle, la poudre aux yeux...
- Quand même, un type qui usurpe ses fonctions, à la carrière fulgurante, qui tabasse des manifestants...
- Oui, Ok. Mais ça veut dire quoi ? Que seuls les flics et les CRS ont droit de tabasser ? Là, ça ne choque personne ? Il y en a, des images, pourtant... A chaque manif, ça cogne, avec une célérité diabolique, on nasse les jeunes et on tabasse dans le tas après les avoir gazés. C'est aujourd'hui la norme. Mais comme c'est des flics, ça n'émeut personne... D'ailleurs, sur les vidéos de la Contrescarpe, on les voit complètement défaits, les flics, outrés même quand ils assistent au tabassage mené par Benalla et son pote...
- Tu plaisantes ?
- Dommage, on n'a pas le contre-champ, de gros plans sur leurs gueules sous les casques. Je suis sûr que la plupart sont admiratifs.
- Tu ne te rends pas compte ? En banalisant la violence, tu défends Nabilla... 
- ...Nabilla ?
- Quoi, Nabilla ?
- Tu m'as demandé si je défendais Nabilla.
- Non, j'ai dit Benalla.
- Je vous assure, mon cher cousin, que vous avez dit Nabilla.
- Nabilla ? Comme c'est bizarre... C'est ta faute. Tu me l'as remise dans la tête.
- Mieux vaut une poupée dans la tête qu'une matraque.
- Pour la trique ?
- Non, apparemment, la trique tu l'as aussi en bastonnant. Une dernière ?
- Oui, mais j'ai perdu le fil...
- C'est fait pour. Nous passons notre temps à perdre le fil.
- Heureusement, y'a les portables...
- Oh non !
- Pour le fil de l'info.
- Consternant... Veux-tu ranger cette machine ?!
- Attends ! Macron vient de déclarer qu'il était le seul responsable.
- Et alors ? Qui en a jamais douté ? Même son Premier ministre parlait hier d'une dérive personnelle.
- Il faisait référence à une dérive de Nabilla. Euh... Benalla.
- Ah, tu crois ? J'ai vu passer ce titre en surfant, mais je n'ai pas cliqué – la vie est trop courte... J'avais compris qu'il évoquait une dérive personnelle de Macron, du pouvoir solitaire et égocentrique d'un monarque de bac à sable...
- Non, non, pas du tout... En revanche, Macron a déclaré...
- A qui ?
- Il est intervenu devant ses ministres, ce soir. Et le mec sort – il est quand même très fort : Qu'ils viennent me chercher !
- Il a dit ça ?
- Regarde.
- Incroyable ! Quand je parlais de bac à sable, je le surestimais.
- Il assume pourtant !
- Tu plaisantes ?
- Il dit refuser la République des fusibles, la République de la haine...
- Mais c'est le premier à se montrer arrogant, méprisant, odieux...
- Je trouve que c'est courageux. Il précise que Benalla n'est pas son amant.
- Il n'a pas dit ça ?! Je ne te crois pas...
- Tiens, lis : Alexandre Benalla n’a jamais détenu les codes nucléaires, Alexandre Benalla n’a jamais occupé un 300 m2 à l'Alma, Alexandre Benalla n’a jamais eu un salaire de 10 000 euros, Alexandre Benalla n'a jamais été mon amant.
- Il faut donc comprendre tout le contraire... Toute sa communication est basée sur ce type d'entourloupe langagière...
- ...Il conclut ainsi : S’ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu’ils viennent le chercher. Je réponds au peuple français.
- Dit-il devant ses sbires... Bel esprit républicain, un grand homme sans aucun doute, bientôt au Panthéon.
- A sa mort, seulement.
- Mais il l'est déjà, non ?
- Tu exagères. Il va s'en sortir comme ça. Même si c'est une pirouette, les Français en ont marre de cette affaire. Ils veulent passer à autre chose, partir en vacances...
- C'est vrai. Il ne faut pas compter sur les Français. Ni sur aucun peuple. Ils ne liront jamais entre les lignes, ne décrypteront jamais ces discours formatés. 
- C'est quand même gros.
- Mais ça l'était dès l'origine ! Et ça ne les a pas empêché de voter pour cette clique et ce malotru. Mais enfin, disent-ils, on a échappé au fascisme... Mais vous n'a encore rien vu, messieurs-dames...
- Je disais C'est quand même gros, parce que tu as une commission de l'Assemblée, qui auditionne...
- ...qui auditionne ? En direct-live ? C'est ça, le spectacle ! On est en plein dedans ! On te fait croire que la démocratie fonctionne parfaitement. Mais ces procureurs, ces rapporteurs, ces députés sont tous issus du même moule. Ils font semblant de demander des éclaircissements mais ils vont ensuite se taper un bon gueuleton ensemble, hors caméras. Pourquoi n'ont-ils pas ressenti le besoin de faire une commission d'enquête, en direct-live, après la mort de Rémi Fraisse ou celle d'Adama Traoré ? Ou lorsqu'un manifestant perd un oeil ? Non, aujourd'hui, on a quelques ingrédients croustillants, des amuse-gueule, les rumeurs sur les liens étroits entre cette petite racaille et la grosse racaille, toutes deux vite montées en grade... C'est le feuilleton de l'été. Et quand on en sera tous gavés, on fera passer de force la réforme des retraites, la sécu, les migrants..., sans trop rechigner sur les coups de matraques, mais rassurez-vous, balancés par des agents assermentés ! Tiens, cherche donc un truc dans ton téléphone intelligent. Ce discours du roitelet mis en place par le patronat, les médias et l'ultra-libéralisme me rappelle celui d'un autre dirigeant mis en place grosso-merdo par le même système...
- A quoi tu penses ?
- Tape : 3 janvier 1925.
- ...
- Lis.
- Je vous déclare ici en présence de cette assemblée et devant tout le peuple italien, que j’assume à moi tout seul la responsabilité politique, morale et historique de tout ce qui est arrivé... Si le fascisme n’a été qu’une affaire d’huile de ricin et de matraques, et non pas, au contraire, la superbe passion de l’élite de la jeunesse italienne, c’est à moi qu’en revient la faute !
- Ça fait mal aux yeux, hein ? On va voir quels de nos chers médias feront ce rapprochement, eux que l'on voit soudain épris de liberté, de vérité et de démocratie...
- Comparaison n'est pas raison.
- Peut-être mais lorsque l'on ne réfléchit qu'à coups de slogans, on pense comme des publicitaires...
- Ou comme des politiciens ?
- Tu as tout compris. 
- Ou comme des journalistes ?
- Tu vois ? Quand tu veux... Allez, pour fêter ta lucidité, paie-nous une dernière tournée !


2 commentaires:

  1. Très joli, le coup du discours de 1925. On peut toutefois douter que, cette fois, M. n'aille faire flinguer des députés socialistes. Ils sont devenus tellement inoffensifs.
    J.

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  2. Ce type est capable de tout, mon cher J.…

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