samedi 12 mai 2018

Parle à mon cul



- Comment est-ce possible ?! Je n'en reviens pas !
- C'est un canular, voilà tout...
- Quel intérêt ?
- Faire le buzz... Aujourd'hui, nul besoin que les événements fassent sens, du moment qu'on en parle, qu'on les like, qu'on reblogue, qu'on transfère...
- Ah ! Je suis en colère. Se faire avoir à ce point...
- Ce n'est rien, ma Juju.
- Toi aussi, tu y as cru.
- Certainement, je ne sais plus.
- Ne dis pas que tu savais que c'était un faux.
- Je ne le dis pas. J'ai regardé ce petit film dès que tu me l'as signalé. Mais je ne savais pas quoi en penser.
- Tu m'as parlé de sa voix.
- Exact. Je la trouvais de plus en plus caverneuse. Certes, il est âgé, tonton Jean-Luc, mais ça frôlait la caricature.
- Tu es sur le point de te donner le beau rôle…
- Qui d'autre le ferait, autrement ? Si je me souviens bien, le texte qui présentait le film était au conditionnel. Introduisant une réserve. En fait, il y a un moment que je le trouve caricatural, le cinéma de Godard. Il s'auto-parodie depuis longtemps. C'est de plus en plus brouillé, surchargé, noyé..., ça ne m'intéresse plus comme ça m'a bouleversé...
- Quand on s'est connu, il y a près de 30 ans, tu ne jurais que par lui.
- Dieu sait si je l'ai aimé. Aujourd'hui, je vois un vieux singe qui fait comme s'il savait toujours faire la grimace...
- A qui profite le crime ?
- Godard n'a jamais tué personne, c'est lui qu'on a tué en… Comment dit-on en français, je ne trouve que le terme espagnol : endiosar
- Déifier, idôlatrer…
- Sûrement…
- Mais je parlais de la vidéo…
- La blague ?
- Oui, est-ce que c'est fait pour se moquer de Godard...
- ...L'année de la commémoration des 50 ans de 68 ?
- Ou pour ridiculiser lundi matin, premier site à avoir mis en ligne la vidéo...
- Si la parodie vient d'eux, c'est pour se foutre de la gueule de Godard et de tous ceux qui immédiatement ne manqueront pas de crier au génie, à l'éternel Godard... Autre hypothèse : le démenti est une blague !
- Godard montre-t-il un film à Cannes ?
- Je crois que c'est Cannes qui montre un Godard...
- Tu iras le voir quand ça sortira ?
- Je ne pense pas. Des années que je n'ai pas vu un film de Godard – un Godard récent j'entends...
- De toute manière, tu ne t'intéresses pas à Cannes…
- Pas vraiment.
- C'est pourtant une édition importante, nous a-t-on dit. L'après-Weinstein...
- Les seules images que j'ai aperçues de ce cirque, en ligne, ce sont les robes sur le tapis rouge. Que des femmes, refaites semble-t-il, tout au moins retouchées, dont je n'ai jamais entendu parler. Des mannequins, des chanteuses, des célébrités, des blogueuses…
- …Des influencers…
- Hein ?
- C'est le terme pour ces filles qui ont des blogues sur la mode, les tendances, qui sont payées pour répandre la propagande des marques…
- Formidable. En tous cas, sur ces photos, ces femmes étaient toutes plus dénudées les unes que les autres. Des féministes d'aujourd'hui, certainement, qui ont compris la leçon. Le spectacle a besoin de chair fraîche constamment renouvellée…
- J'ai lu que c'était une édition engagée. Un film sur le sida, un autre sur les licenciements…
- Ah oui, avec l'encore militant Vincent Lindon, cette fois-ci en syndicaliste. J'ai aperçu la bande-annonce l'autre jour où j'étais avec ma fille au cinéma et j'ai failli mettre le feu dans la salle. Quelle belle escroquerie !
- Pourquoi ? Un acteur doit pouvoir tout jouer, non ?
- Pas sûr. Lindon le pense certainement. Mais peu importe, ne perdons pas notre temps à parler de ces imposteurs... Tiens, toi dont le métier, entre autres, est de relire des textes, que penses-tu de ça ?


- Encore une parodie ?
- Non, c'est véridique : une offre d'abonnement de ce canard financé par l'extrême-droite, islamophobe, et qui donne des leçons de morale et de patriotisme à tout bout de champ… Clique sur la photo, tu pourras lire le code de réduction… Ça ne peut pas s'inventer !
- J'espère au moins qu'ils s'abstiennent de donner des leçons à propos de la langue française
- Pendant ce temps, et ça doit plaire à ces gens-là, j'ai lu qu'en Belgique, on abattait des arbres au bord d'une autoroute… Tu sais pourquoi ? Pour mieux chasser le migrant ! 
- C'est pas vrai !
- Ça non plus, ça ne s'invente pas. Les arbres, qui nous protègent encore un petit peu contre la pollution et le saccage de cette planète, on n'hésite pas à les raser pour que les indigents ne puissent se cacher, au nom des valeurs européennes certainement…
- Quel monde…
- Oui, cette parodie de Godard, c'est comme un aveu : on rêve d'un Godard 68, sa Chinoise, ses ciné-tracts, on célèbre Chris Marker avec
une expo à la Cinémathèque, aujourd'hui mausolée glacial du cinéma, mais en lieu et place, on a du Stéphane Brizé et du Christophe Honoré. Tiens, sur une de ces photos de Cannes aperçues sur la toile, j'ai même vu Costa-Gavras qui, à ma connaissance, est toujours Président de la Cinémathèque française, rouge tapis dans l'ombre, monter les marches aux côtés de ce mafieux d'Estrosi et sa femme, que je ne connaissais pas, 20 ans plus jeune apparemment, speakerine télé, anorexique, sourire et décolleté plastique… Ce monde est effectivement à vomir, ma chère Juju, et nous ne pouvons y survivre qu'en nous tenant à l'écart…



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