mercredi 14 février 2018

Mort d'un anarchiste



Il n'avait plus de toit. Envolé ! Au moment de l'explosion, Hans parcourait les rayons du supermarché situé en périphérie de la ville. Il avait dû prendre sur lui – Hans détestait faire les courses, mais le frigo et les placards vides l'avaient persuadé de ne pas repousser de nouveau le petit tour dans cette chouette banlieue toulousaine. 10h17. La détonation le suprit, lui et les rares clients présents dans le magasin, comme il passait aux caisses. Tous, les usagers comme les employés, se  retrouvèrent sur le parking du centre commercial pour découvrir des nuages de fumée grise s'élevant dans le ciel de cette fin d'été et une étrange odeur d'ammoniac. Lorsqu'il put regagner son domicile, l'effroi de l'absence de toit avalé, Hans comprit qu'il avait eu de la chance et, s'il n'avait pas été cet indécrottable anarchiste, en aurait remercié le ciel et ces saloperies de supermarchés. Un temps – un temps très court –, il pensa à ces deux clampins aperçus ces derniers jours dans son dos. Des guignols de ce que l'on nommait encore les RG, à n'en pas douter. Il savait que ce manque de discrétion n'était pas dû à une quelconque incompétence, mais correspondait à une stratégie tout aussi stupide visant à maintenir sur Hans, et ses semblables, une pression psychologique permanente. Il n'avait jamais caché sa jeunesse allemande, pas plus que son militantisme toujours actif à plus de 40 ans dans les mouvements libertaires français. Hans était surveillé depuis de longues années et un peu plus depuis qu'on le soupçonnait d'avoir hébergé quelques semaines auparavant un camarade en cavale. Mais Hans en avait vu d'autres. A plusieurs reprises, il avait échappé à la mort. Les assurances tarderaient à indemniser les victimes de ce que l'on avait dans un premier temps pris pour un attentat dix jours après la destruction des Twin Towers. L'enquête allait s'avérer longue et les conclusions incertaines. Avec l'aide de copains, et d'une grande bâche trouvée au rayon bricolage du supermarché, Hans improvisa en urgence un toit de fortune, le temps de son séjour à Paris où il se rendait toutes les trois semaines pour le bouclage du mensuel qui l'employait en qualité de maquettiste. Hans espérait que le développement d'internet lui permettrait bientôt de travailler de chez lui, de ne plus se rendre à la capitale, et cesser enfin de côtoyer ces crétins de journalistes. Il était un peu plus de dix heures lorsque Hans sortit de la gare. La foule parisienne en mouvement hystérique et mécanique perpétuel le répugnait toujours un peu plus. Ça aussi, il espérait en être vite débarrassé. Mais un bus peut en cacher un autre. Et la chance vous visite rarement deux fois de suite. Alors qu'il traversait la rue au pas de course pour choper le 63 sur le point de démarrer, Hans fut percuté par le 65 surgissant en trombe derrière le 20 à l'arrêt. Il mourut sur le coup. Le chauffeur fut rapidement mis hors de cause mais demanda sa mutation dans le sud-ouest, qu'il obtint sans trop de difficulté.

Charles Brun, Poésie urbaine

8 commentaires:

  1. Comme c'est curieux. Il y a une trentaine d'années, un collègue avait écrit une nouvelle intitulée "mort accidentelle d'un anarchiste toulousain"...
    J.

    RépondreSupprimer
  2. Je trouve l'image fascinante, horrible et fascinante...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Chère Florence, l'image est effectivement moins poétique que les photos que l'on trouve chez vous... Je ne sais plus sur quel blog j'ai piqué ça dans un état second. Mais les termes que vous employez correspondent parfaitement au sentiment ressenti à la lecture de ce texte...

      Supprimer
    2. Oui, le texte aussi, bien sûr ! Vous avez réalisé là une belle et judicieuse association.

      Supprimer
    3. Je pense que la réussite est due à mon intuition féminine... Je transmets en tous cas vos remarques, chère Florence, à Charles Brun...

      Supprimer
    4. Oui, bien sûr, et félicitez-le pour ses textes ! Je crois comprendre que vous le connaissez très bien...

      Supprimer
    5. N'exagérons rien, chère Florence. Peut-on vraiment très bien connaître quelqu'un ?

      Supprimer