mardi 14 novembre 2017

Désinscriptions félines


Ces derniers temps, il m'arrive de me sentir perdu et de me mettre étrangement à espérer. 
J'étais de nouveau invité à une remise de prix de cinéma par une amie comédienne dont je trouvais la tenue ridicule. On m'avait placé derrière une vitre. N'en pouvant plus de tout ce cirque, je regagnais la sortie avant de m'apercevoir que j'avais oublié des affaires, dont mon téléphone. J'informais la préposée de l'accueil de mon passage obligé par les vestiaires. Cette femme, que je connaissais d'ailleurs, mais je ne sais d'où et qui n'avait de toute manière rien à faire à cette place, jetait un œil à mon badge d'accréditation. Il avait la taille d'un timbre-poste. Elle m'interdisait sans hésitation l'accès aux vestiaires et me demandait de patienter dans un coin. Où je tombais dans l'oubli. La cérémonie prit fin, la foule sur son 31 envahissait les couloirs, le mouvement m'emportait. Soudain, je vis passer ma chérie qui, malgré ses lunettes, ne m'avait pas remarqué. Elle cherchait quelqu'un d'autre, une amie ou un amant. Lorsque je l'interpellai, j'obervais sur son visage l'indifférence prendre le dessus sur la surprise. Elle m'abandonna de l'autre côté de la porte qui menait aux escaliers. C'est alors que je réalisais avoir oublié le téléphone à la maison, comme cela m'arrive très souvent. J'ignore s'il faut donner à ce rêve une signification sexuelle particulière.
Mon type de femme : celle qui n'a jamais pensé à poser en string dos à une glace pour faire un selfie.
- Je te préviens : si un jour tu me quittes, je porterai plainte pour harcèlement.
- Qu'est-ce que tu racontes ? Si je te quitte, il me sera difficile de te harceler. De plus, tu connaîtras d'autres hommes, tu m'oublieras…
- Mais non, justement. Tu ne comprends pas : après toi, dès qu'un homme me fera l'amour, mal, je me sentirai déshonorée et le souvenir de tes performances sexuelles me harcèlera. Je t'en voudrai à mort.
- Tu déconnes ?
- Mais oui.
Embrasse-moi, idiot !
- Tu ne veux pas plutôt
un verre ?
Lorsque, au cours d'une conversation, je suis amené à me justifier, je me vois toujours comme l'un de ces avocats sans scrupules prêts à défendre la pire des crapules.

J'ai remarqué qu'à la lecture d'un livre décevant, j'oublie immédiatement ce que je lis, le malaise que provoque par exemple un style mal torché, j'efface ma colère, vais jusqu'au bout, impatient de découvrir ne serait-ce qu'une belle tournure, une phrase que je ne peux trouver que là, même si je sais que je ne connaîtrai ce moment de bonheur qu'en refermant une bonne fois pour toutes ce machin.

Mon type de femme : celle qui me laisse la liberté de ne pas dormir. 
A la radio l'autre jour, j'entendais une chercheuse énumérer les catastrophes sociales, politiques, écologiques vers lesquelles nous nous nous dirigeons joyeusement, soulignant que tout était lié. Effondré, j'ai ouvert une bouteille. Il était hors de question de me sentir lié à qui ou à quoi que ce soit.

Mon type de femme : celle qui n'étale pas sa honte lorsque je pleure.

Quand j'étais plus jeune, je trouvais toujours dans mes poches un carnet et un stylo. J'y notais des idées, des rêves, des bribes de conversation attrapées au vol dans un café ou dans le métro, des pensées définitives sur la vie et l'amour. Avec l'âge, ça a changé. Je suis prêt à continuer ce petit jeu prétentieux, entretenir cette illusion orgueilleuse. J'achète toujours de quoi écrire. Malheureusement, plus rien ni personne ne m'inspire ou me fait rêver. Pas même moi.

Le jour où je me suis pour la première fois retrouvé sur un tournage, j'ai connu ma plus grande désillusion. Je me faisais une joie de passer des heures en compagnie de cinéphiles, de parler cinéma des jours durant. Je me suis rapidement aperçu que tout le monde se foutait de ce qui se fabriquait là. Un technicien qui ne se gênait nullement pour se moquer du metteur en scène et de la production me confia que chaque membre de l'équipe était là pour draguer et faire ses heures. Draguer, je comprenais. Mais toute la nuit, j'ai essayé de comprendre ce qu'étaient les heures d'un film. Le lendemain, je démissionais.
Mon type de femme : celle qui, malgré le manque d'éclat et de fortune de nos années communes, rêve encore d'un week-end à la mer.
Au fond du trou, j'ai trouvé un psy étonnant. Sans cesse, il tente de me remonter le moral, m'appelle entre deux séances pour prendre des nouvelles, me soutient dans mon travail, dégommant tous mes doutes. Il m'a même invité à un spectacle d'une troupe de comédiens amateurs dont il est membre. Ce fut une belle soirée. Malgré la singularité de mon analyste, je sens que je vais mieux. Or, hier, à l'heure de mon rendez-vous, le cabinet était fermé. Sans autre indication. Au comptoir du bar dans lequel je me rends toujours après le divan, j'ai machinalement feuilleté le journal local et découvert la terrible vérité. Tout n'avait été que supercherie, une comédie montée uniquement afin de me soutirer de l'argent : ce charlatan s'est pendu dimanche dernier.

Mon type de femme : celle qui me demande quelles boucles d'oreille porter en croyant que je peux encore être d'un quelconque conseil.

Il était roulé en boule sur le canapé quand j'ai allumé dans le salon. Je l'ai parfaitement entendu songer : encore ce con d'insomniaque avec son ordinateur ! Mais quand cessera-t-il, bon sang, de se prendre pour un écrivain ? Je suis remonté me coucher tandis qu'il ricanait dans mon dos en faisant ses griffes sur un coussin.

Charles Brun, Comme d'habitude

2 commentaires:

  1. Il m'a fallu tant de temps pour comprendre que l'antienne "Mon type de femme..." est un hommage de Charles Brun à Louis Scutenaire.
    Ce qu'on peut être lent parfois.
    Jules

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  2. Rassurez-vous cher Michel Simon-Jules, j'ai moi-même mis du temps à le comprendre…

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