mardi 29 août 2017

Revue de presse couchée

Steve Schapiro






Il est loin le temps en noir et blanc où un président, à qui l'on prêtait une liaison avec la présentatrice d'une émission de variétés, venait jouer de l'accordéon en direct aux côtés de la fille portant une choucroute sur la tête. 40 ans plus tard, journalistes et hommes politiques ne forment plus qu'une seule et même famille – il n'est pas rare d'ailleurs de les voir s'accoupler et/ou se reproduire entre eux. En cette affreuse rentrée 2017, ce constat n'est plus à démontrer. Ainsi, n'est-on plus surpris de voir un ancien Premier ministre en bout de course, Jean-Pierre Raffarin, s'apprêter à faire le chroniqueur sur le plateau d'un ancien présentateur de JT, Laurent Delahousse. Ou à "gauche", l'amoureux de montres et stylos de luxe, Julien Dray intervenir sur LCI – à titre gracieux, tient-il à préciser –, tandis que la révolutionnaire Raquel Garrido, dont le mouvement entend prendre la tête de la constation sociale, devient employée de l'ami Bolloré, chroniqueuse sur C8 dans l'émission de Thierry Ardisson. Côté radio, toujours à "gauche", l’ancienne ministre de la Culture et romancière, Aurélie Filippetti ainsi que l’ancien conseiller en communication de Hollande, Gaspard Gantzer, joueront nous dit-on les "polémistes" de l’émission On refait le monde, sur RTL, tandis que Eduardo Rihan Cypel, candidat PS défait aux dernières élections, sévira sur la matinale de Radio Nova. En face, Henri Guaino, ex-conseiller de Nicolas Sarkozy, nous livrera un édito quotidien sur la station de Brigitte Lahaie, Sud Radio, propriété d'un cabinet d'expertise comptable. Extrême-droite toujours, Jean Messiha, chargé du programme de la Marine aux présidentielles, devient lui aussi salarié de Lagardère en s'acoquinant avec Hondelatte sur Europe 1. C'est qu'il y a du monde à recaser avec l'avènement de la République en marche, promesse d'une politique "autrement"... 

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Ancien de France télévisions, du Nouvel Obs, d'Europe 1 et de Challenges, consultant de l'émission Sport et news sur i-Télé, présentateur d'une émission sportive sur Sport365 TV, Bruno Roger-Petit vient tout naturellement d'être nommé porte-parole de la présidence de la République. Il sera ainsi chargé de relayer la parole publique de l'Elysée, en utilisant « tous les moyens à sa disposition, notamment le compte Twitter de la Présidence », nous dit l'Elysée dans son communiqué. Le macronisme de Roger-Petit durant la campagne présidentielle, s'il avait suscité la colère de la Société des journalistes de Challenges, s'avère finalement payant. Et c'est là l'essentiel...

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En football aussi, la période des comices, on appele ça le mercato. Elle prend enfin fin fin août. Encore quelques jours pour battre les records de rumeurs, démentis, approximations, scoops foireux, faux coups de tonnerre, et autres montants faramineux pour des médias soucieux de distraire le citoyen-téléspectateur. Heureusement, tout cela n'est qu'un jeu et les vrais journalistes sont ailleurs.


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Nos amis d'Acrimed reviennent sur une émission de France info présentée par Guy Birenbaum, Mémoire d’info, et plus précisément sur celle du 25 juillet dernier. L'employé de Radio France recevait une employée de Radio France, Fabienne Sintès, ancienne animatrice de la matinale de France Info dont l’un des chroniqueurs n'était autre que son interviouveur du jour, vous suivez ? Pour les 30 ans de la station, Birenbaum demandait à son ancienne patronne de raconter l’info qui l'avait marquée ces 30 dernières années. La grande journaliste sautait sur l'occasion pour nous replonger en 2011, avec l’arrestation à New York de Dominique Strauss-Kahn, accusé d'agression sexuelle sur une femme de chambre d'hôtel de luxe. Pour l'auditeur fasciné, l'ancienne correspondante de la maison ronde aux Etats-Unis se souvient qu'elle était ce jour-là en vacances et qu'elle dut rentrer précipitamment à Washington. Une fois ses bagages récupérés, et s'appuyant sur sa connaissance de la justice américaine acquise, confie-t-elle sans rire, en regardant des séries télé, elle pouvait prédir à l'antenne que DSK allait plaider coupable et qu'il n'y avait aucune chance de le voir un jour derrière les barreaux. Trois heures plus tard, toujours en direct, Sintès expliquait, avec le même aplomb – ce sont ses propres termes –, pourquoi DSK était en prison. On n'invente rien et c'est à lire ici... A noter qu'en cette rentrée, Sintès prend en main, et avec aplomb, la tranche 18h-20h de France inter, en remplacement de l'inénarrable Nicolas Demorand qui, lui, succède aux commandes de la matinale de la station à Patrick Cohen, débauché par Lagardère et Europe 1... 

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Unanimité de la presse toujours, avec la situation au Vénezuela. Julian Assange, réfugié à l'ambassade de l'Equateur depuis plus de cinq ans, et faisant toujours l'objet de poursuites judiciaires suite aux révélations de documents confidentiels mettant en lumière les agissements de l'armée américaine en Irak, invite le président Maduro à adopter sans plus tarder la constitution de l'Arabie saoudite afin de satisfaire Donald Trump – et la presse unanime...


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Démocratie toujours, alors que sont ordonnées les ordonnances bombardant le Code du travail, renvoyant notre pays au XIXe siècle, que les chiffres du chômage sont au plus haut, le pouvoir bat des records cette fois en matière d'écrans de fumée avec la Charte de transparence clarifiant le rôle de Brigitte Macron – dont on se fout totalement. Le groupe Lagardère ne manquera pas de remercier l'Elysée et ses communicants – ou serait-ce le contraire ? – puisque, en sollicitant accordant un entretien au magazine Elle, la première dame clarifiée permet au titre de Lagardère Active de vendre plus de 500 000 exemplaires du numéro à elle consacré, un chiffre jamais atteint depuis dix ans... Les larbins du capital gouvernement applaudissent.


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C'est que Brigitte nous ferait presque oublier les livreurs de la start-up britannique Deliveroo, introduite à la Bourse de Francfort en juin dernier, mobilisés ces derniers jours face à la réforme de leur rétribution. Grassement rémunérés jusqu'alors à hauteur de 7,5 euros de l'heure, les nouveaux forçats de la route seront désormais payés à la course, autrement dit 5 euros la livraison (5,75 dans la capitale). Bien entendu, pour la direction de Deliveroo, qui rappelle que la tarification à la course est en vigueur dans d'autres pays européens, le changement « va dans le sens de l'histoire car ce système allie nos intérêts à ceux des coursiers. » Les employés de la plate-forme, faut-il le rappeler, ne sont pas... employés, mais auto-entrepreneurs. Une fois déduites les différentes charges, les gains de ceux qui sont devenus les symboles de l'ubérisation de nos vies peinent à atteindre le smic pour un temps de travail dépassant très souvent les 40 heures hebdomadaires.



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Uber justement. La mouvementée entreprise, modèle de la République startupisée, a, comme on le sait, perdu 3 milliards de dollars en 2016. Poussé à la démission fin juin par ses actionnaires, le fondateur d'Uber Travis Kalanick, patron surpuissant, vient d'être remplacé par un autre Moloch des nouvelles technologies, Dara Khosrowshahi, jusqu'ici patron du site de réservations de voyage Expedia, dont le chiffre d’affaires est estimé à 8,8 milliards de dollars pour un bénéfice net de 282 millions de dollars. Gageons qu'à peine amorcé, ce nouveau virage garantit déjà de meilleures conditions de travail pour les chauffeurs de l'application.


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Servitude toujours. Un peu de patience nous est demandée. Le 12 septembre prochain, Apple fera une annonce à propos du nouvel iPhone. Rendez-vous est donc pris au tout nouveau Steve Jobs Theater, salle de 1000 places qui, nous assure-t-on, seraient déjà toutes réservées, bel écrin situé sous un cylindre de verre à Apple Park, le nouveau campus de la marque à la pomme croquée. Le suspens est intenable...

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Culture toujours. 581 romans sont annoncés pour la rentrée littéraire cette année. Chez les Français, les noms d'Erik Orsenna, Marie Darrieussecq, Amélie Nothomb, Jean-Philippe Toussaint, Eric Reinhardt, Chantal Thomas, Eric-Emmanuel Schmitt ou encore Philippe Besson seront placés comme il se doit en tête de gondole et des suppléments littéraires. Parmi les 81 primo-romanciers, celle qui semble faire l'unanimité, c'est la comédienne Eva Ionesco – rien à voir avec l'auteur du Rhinocéros. Premier livre certes, mais nous dit-on, Eva revient avec Innocence sur son "enfance érotisée et maltraitée". Oui, revenir. Car cette expérience fut déjà évoquée dans un film, réalisé par la comédienne, puis était l'essence d'un "roman" de son compagnon (qui lui achète des robes, apprend-on), Simon Liberati, sobrement intitulé Eva. Mais la vraie Eva, non pas jalouse du succès de son homme mais mécontente de sa vision des choses, décide de prendre le taureau par les cornes et de faire son propre récit. Au cours d'un entretien diffusé sur les ondes publiques, l'espiègle actrice, comme on aime la définir, laissait entendre, à peine son bouquin sorti, qu'elle pourrait y donner une suite. D'aucuns ont prouvé qu'il était possible de faire toute une carrière sur un drame personnel – jusqu'à devenir chroniqueur(se), on n'en sort pas. Nous voilà prévenus.

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Disparition de la littérature toujours. Avec cet écrivain de polar chinois, arrêté le 11 août dernier pour un quadruple meurtre commis en 1995. Car Liu Yongbiao était surtout l'auteur du cambriolage d'une maison d'hôtes ayant mal tourné, Yongbiao et son complice y abandonnant quatre cadavres. Je vous attendais ici depuis tout ce temps, aurait dit Liu aux policiers venus l'appréhender. Un bail, paraît-il, que Liu parsemait ses romans d'indices sur les coupables de ces meurtres odieux. Son dernier livre met notamment en scène un auteur assassin, dont les meurtres ne sont jamais découverts. La nouvelle ne nous dit pas si un flic amateur de polars est à l'origine de l'enquête menant à Liu.

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Rien à voir avec tout cela, bien sûr. Cet été étaient rendues publiques des études démontrant que le Quotient intellectuel moyen dans les pays nord-européens était en baisse ces dernières années. En France, par exemple, il a chuté de 4 points en 10 ans. Plusieurs causes semblent expliquer ce phénomène : stress, fatigue, perturbateurs endocriniens, et temps, de plus en plus long, passé devant nos chers écrans. Allez, au lit.

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