vendredi 28 juillet 2017

Prima donna









à John Fante, 2 décembre 1979

C'était bon d'entendre la fin de votre roman au téléphone ; ça sonnait plus Fante que jamais, la grande classe, comme toujours. Ça m'a enlevé un sacré poids de savoir que vous étiez toujours de la partie. Quand j'ai commencé vous étiez comme un phare et voilà que vous m'en mettez à nouveau plein la vue après toutes ces années.
Je suis en pleine période d'impuissance et ça ne m'est pas arrivé souvent. Je ne dis pas que mon écriture a toujours été exceptionnelle, je dis juste que les mots venaient naturellement. Ça n'est plus le cas ces derniers temps. Bon, quelques poèmes l'autre soir mais ça n'avait plus la même saveur. Je me surprends à envoyer chier Linda et l'autre soir j'ai même filé un coup de pied au chat. Je n'aime pas me comporter en petite prima donna mais lorsque les mots sortent pas c'est comme si j'étais empoisonné, j'oublie comment on rit, j'en oublie d'écouter mes symphonies à la radio et quand je regarde dans le miroir je vois un homme très méchant, petits yeux, visage jaune – je suis une figue desséchée, inutile, ratatinée. Je veux dire, quand l'écriture fout le camp, qu'y a-t-il, que reste-t-il ? La routine. Des gestes de routine. Des pensées en forme de crêpes. Je ne peux pas supporter cette danse macabre.
Vous avoir au téléphone, écouter Joyce me lire la fin de votre roman, entendre le rythme et la passion des Fante m'a sorti de ma léthargie. Le vin est ouvert et la radio allumée, je m'en vais coller des feuilles de papier dans cette machine et les mots jailliront à nouveau, à cause de vous. Ils jailliront à cause de Céline et de Dos et Hamsun mais principalement à cause de vous. Je ne sais pas d'où vous tenez votre talent mais les dieux vous en ont assurément bien doté. Vous avez représenté et représentez pour moi bien plus que n'importe quel homme mort ou vivant. Il fallait que je vous le dise. Maintenant je recommence à sourire un peu. Merci, Arturo.


Charles Bukowski, Sur l'écriture, Au Diable Vauvert,
à paraître, trad. Romain Monnery

3 commentaires:

  1. Salutaire et nécessaire Buk ! Merci pour ces avant-premières de choix.
    A ce sujet, savez-vous quand doit sortir l'ouvrage au Diable Vauvert ?
    Bien à vous.

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    1. ça me console que d'autres, et pas n'importe lesquels, trouvent également en Bukowski une consolation... L'ouvrage, recueil de lettres, sur une quarantaine d'années, salutaire en effet lorsque l'on est confronté quotidiennement à l'adversité et la bêtise, doit paraître le 14 septembre. Bon été, cher Promeneur !

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    2. Voilà une excellente nouvelle, cher Inconsolable.
      A mon tout de vous souhaiter un très bel été.

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