jeudi 27 juillet 2017

Le numéro un




à John Fante, le 31 janvier 1979

Merci pour cette précieuse lettre. C’est une sensation singulière, très étrange, de recevoir une lettre de vous. Ça fait des décennies maintenant que j’ai lu Ask the Dust. Martin m’a envoyé une version photocopiée du roman, je viens de le recommencer et ça se lit mieux que jamais. C’est tout simplement mon roman préféré, à égalité avec Crime et Châtiment de Dos et le Voyage de Céline. Pardonnez-moi de ne pas avoir répondu plus tôt, mais en ce moment j’ai un paquet de trucs à gérer : écrire un scénario, corriger le scénario de quelqu’un d’autre, pondre une nouvelle, mais aussi picoler, jouer au tiercé, me bagarrer avec ma copine, rendre visite à ma fille, me sentir bien, me sentir mal, et tout le reste. En plus de ça, j’ai perdu votre lettre alors que j’en étais tellement fier et la nuit dernière, je l’ai retrouvée, je m’étais servi du dos de l’enveloppe pour suggérer des corrections sur le scénario de ce gars (l’adaptation de mon premier roman, Post Office). Voilà qu’il se met à pleuvoir donc je vous écris rapidement car je dois me rendre à la banque pour déposer ce chèque histoire que je puisse aller aux courses demain.
Vos livres ont vraiment changé ma vie, m’ont donné l’espoir qu’un homme pouvait coucher des mots sur le papier tout en laissant les émotions prendre le dessus. Personne n’a fait ça aussi bien que vous. Je vais lire le livre doucement, je vais le savourer encore une fois en espérant que je puisse écrire une préface décente. [H.L.] Mencken avait l’œil, entre autres, et je pense qu’il est grand temps qu’un talent comme le vôtre refasse surface. Même si Black Sparrow n’est pas New York c’est une maison qui a du prestige, une force de frappe et de tels livres sont plus enclins à durer et séduire des lecteurs, indépendamment du grand public qui ne fait que bouffer toute la merde que New York leur jette en pâture.
C’est bon d’avoir de vos nouvelles, Fante, vous êtes de très loin le numéro un. Pardonnez mes fautes de frappe. Dès que j’aurai terminé le livre et rédigé la préface, je vous l’enverrai par courrier pour approbation, en croisant les doigts. Mes hommages à votre femme et à votre fils. Le ciel est humide aujourd’hui et demain, le champ de course sera boueux mais je penserai à vous et à la chance que j’ai de pouvoir dire aux gens pourquoi Ask the Dust est si bon. Merci, oui, oui, oui…

Charles Bukowski, Sur l'écriture, Au Diable Vauvert,
à paraître, trad. Romain Monnery



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