dimanche 30 juillet 2017

Jusqu'au dernier torchon sale



Les chaises et les banquettes étaient tendues de moleskine verte. Je discourais, je parlais de moi, infatigablement. Sur ce sujet, je puis m'étendre de tout mon long ; je suis à l'aise. Je ne me lasse pas de m'entendre retracer ma biographie, quelque peu retouchée. J'ai la fatuité de croire que d'autres y prennent le même intérêt. En vérité, je ne connais que cette histoire.
Me confier aux femmes, c'est une de mes faiblesses ; c'est ma façon de leur faire la cour et de faire la roue, simultanément. Est-ce que chacun n'éprouve pas périodiquement cette nécessité de confession et d'absolution ? Les femmes assument souvent le ministère du prêtre ; elles disposent d'égales réserves d'indifférence. C'est en quoi elles sont bien utiles. Elles ont aussi la patience d'attendre que vous ayez vidé votre sac, jusqu'au dernier torchon sale…
En général j'ai eu pour interlocutrices des dames ayant des notions précises sur le temps qu'il convient raisonnablement d'accorder aux épanchements verbaux ; elles savaient m'interrompre au moment voulu et m'amener, doucement, à des activités plus sérieuses. Sans quoi, j'en serais peut-être encore à la toute première. Qui était-ce ?

Henri Calet, Monsieur Paul, 1950

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