mercredi 12 juillet 2017

Chat chat chat





Il faut appeler un chat un chat. Seul un chat peut remplacer un chat. Comme un nouvel amour se substitue à une peine de coeur. Aussi dimanche prenons-nous le taureau par les cornes. Les petites annonces abondent sur la toile. Du particulier à l'association, on y trouve de tout. Des personnes sincères, d'autres qui le sont un peu moins. Camille se dit prête à renoncer au portrait idéal. Ne pas vouloir retrouver le sosie du chat de son enfance, comme ce fut le cas la dernière fois. Six mois de recherches pour un mois de bonheur. Hors de question de prendre le risque de laisser sortir le nouveau venu. Afin d'éviter un chat attiré par l'extérieur, l'idée est de prendre un bébé, essayer d'en connaître l'histoire, vite oublier tout animal ayant vécu dehors. Le reste, on verra. Au feeling, comme on dit. Nous voilà dans le 13e, en route vers une famille d'accueil. Un petit studio, occupé par une dizaine de chats et trois-quatre prétendants-adoptants, comme ils disent. Nous sommes invités à nous laver les mains avant de toucher les chats. Et dans la mini-salle de bain, nous réveillons un gros matou. La mezzanine est occupée par deux autres félins. En dessous, une portée enfermée dans une cage. Sur le canapé, la mère dort. Ils ont été, nous explique-t-on, attrapés dans une cave du Kremlin-Bicêtre où ils avaient été abandonnés. De l'autre côté de la pièce, une autre cage et le chaton qui va nous séduire. Un nom idiot, mais on se met à la place de ces militants dont l'aptitude à la fantaisie est sollicitée à longueur de journée. L'été, précise la bénévole, vous ne pouvez pas savoir le nombre d'appels de secours que nous recevons. Avant les départs en vacances, les gens se débarrassent à tour de bras de leurs compagnons à quatre pattes, comme on dit, dit-elle. Ce petit être tigré ronronne à son aise à peine accueilli dans nos bras. On essaie aussi avec la chatte grise de l'autre portée, la dernière encore disponible - malheureusement, les deux frères roux sont déjà réservés. Elle est plus craintive, ne reste en place. Comment réagira-t-elle en changeant de maison et face au chien ? La bénévole me remercie du travail de sociabilisation que j'entreprends et nous suggère de devenir famille d'accueil. La proposition plaît à ma compagne. Derrière la tête, l'idée d'en essayer un grand nombre et de garder celui qui s'adaptera le mieux. Je lui glisse à l'oreille la notion de loyauté, ou un truc dans cet esprit, et nous nous éclipsons au moment où notre interlocutrice apprend que le dernier membre de la fratrie a enfin été capturé. Ma fille, Camille et moi nous retrouvons au café du coin. Séance de debriefing, comme on dit. Et envoi des photos à la fille de ma chérie, en vacances. Nous trouvons un peu élevé le tarif de l'adoption. Après le premier rendez-vous de l'expertise judiciaire mercredi dernier, la destruction ordonnée d'une partie du coffrage, les nouvelles réunions auxquelles notre avocate devra participer et les honoraires qui suivront, nous anticipons une dèche encore plus grande que celle que nous connaissons aujourd'hui. Le fond n'est jamais sûr. On peut encore creuser. Est-ce bien raisonnable, comme on s'interroge. Ne nous pressons pas. C'est la période des chatons, on va bien tomber sur une opportunité moins onéreuse. Le lendemain, nous recevons la visite pré-adoption d'une responsable d'une autre association. Elle ne s'arrête pas sur l'inquiétant état de nos murs mais nous nous arrêtons nous sur la méthode. Le chat que j'avais repéré sur le site est en famille d'accueil à Fécamp. Après quelques mots élogieux du chaton roux, elle attend notre décision. Si c'est oui, nous signons le contrat et la petite bête peut être chez nous en fin de semaine, l'association ayant conclu un accord avec une start-up leader mondial de covoiturage. Nous lui demandons comment ça se passe si ça se passe mal. Si le courant ne passe pas, il n'y a pas de remboursement. Bien entendu. Nous parlions du moment de son arrivée. A l'arrivée du chat, la bénévole repart. A nous de nous débrouiller. Nous devons donc choisir sur photo. Sans prendre dans les bras. Comme sur un site de rencontres. Ou un catalogue de jardinage. Sommes-nous suffisamment forts pour courir ce risque ? Nous promettons d'y répondre vite. Sur le bon coin point éphère, je trouve une portée à donner. Dont deux roux. J'appelle aussitôt. Et aussitôt je m'en veux de céder ainsi à la précipitation hystérique. Calmement, avait-on dit. Avec détachement. En reprenant son souffle. Cette nouvelle recherche ne doit pas devenir une obsession. Le type me raconte que leur chat vient d'avoir une portée désormais en âge de filer vers d'autres cieux. Avec d'autres mots. Il demande simplement une participation aux frais de 100 euros. Les chatons sont-ils vaccinés, identifiés, déparasités, dépucés..., pour ce prix ? Que nenni. Il estime simplement que si le prétendnat-adopteur ne veut pas mettre 100 euros, il rechignera à l'avenir pour tout autre soin et frais de soins. Bon. C'est un point de vue. Et les points de vue, c'est comme les goûts et les couleurs, les coups et les douleurs. C'est le roux qui me fait souffrir. Allons-y. On verra bien. Nous décortiquons l'itinéraire. Une heure et des poussières. Entre métro, RER et marche à pied depuis la gare. Pourvu qu'il ne pleuve pas. Dépourvus d'applications intelligentes sur nos machines, nous voyageons à l'ancienne. Avec des notes gribouillées sur un bout de papier. 10 euros l'aller, avec peut-être un heureux au retour. Je décide quand même de ne pas m'emballer et de ne pas trimballer la caisse de transport. J'oublie même de retirer de l'argent. Nous débarquons à une gare qui ne porte pas le nom de la commune visée. Miracle, j'aperçois un guichet rescapé du démantèlement du service public et une employée d'âge moyen à son bord. Elle ne connaît pas l'adresse mais s'adresse à son écran. Il faudrait prendre un bus. Qui passe dans 20 minutes. Nous décidons de tenter notre chance à l'aide de nos jambes encore alertes. La préposée du guichet se propose d'imprimer un vague plan. Et nous voici longeant un lac triste tristement entouré de barres d'immeubles beige fadasse. Au coin d'une rue, des mômes s'acharnent en rythme sur un lampadaire de Pise. C'est l'été. Tous se tournent vers nous, témoins gênants de leur brigandage. Devant l'absence de noms de rues, nous demandons notre chemin à des animateurs d'un centre de loisirs, étonnés de nous trouver sur cette commune voisine. Ils nous recommandent de pousser jusqu'à un rond-point un peu plus loin, puis de filer à gauche jusqu'au bout. Au bout de quoi ? Nous ne posons pas la question. Une question par personne suffit. Après le passage du rond-point, nous voici un peu plus perplexes jusqu'à apercevoir un plan. Limité à ce côté-ci de la frontière. Mais nous avons l'air d'être sur le bon chemin. Ce que confirme un plan de la ville voisine à peine 50 mètres plus loin. Ce qui nous inquiète, ce sont les pointillés. Deux des voies que nous devons emprunter sont représentées avec intermittence. Sur l'une d'elles, sans nom comme il se doit, une voiture municipale vient vers nous. Nous lui faisons signe. Le type va chercher les lunettes dans son coffre et jette un oeil peu assuré sur notre plan. Ce doit être par là. Quand nous arrivons enfin dans la forêt de lotissements tous identiques, nous sommes en nage. Ne pas se presser, ne pas stresser, avait-on dit. Le type a certifié qu'il était chez lui tout l'après-midi. Or personne ne se montre après notre coup de sonnette. Je le rappelle. Je ne me suis pas trompé. Il est à son bureau et sera là dans deux minutes. Des gamins jouent à cache-cache, deux femmes sur le pas de leur porte discutent et nous observent observer. Un homme tout droit sorti d'un film des frères Coen apparaît derrière les voisines. Chauve, bedonnant, son pantalon de sécurité cache mal une jambe plus courte que l'autre. Il nous fait signe de la main me faisant penser à Casimir dans l'Ile aux enfants. Et nous salue avec un petit rire embarrassant. Nous craignons le pire, mais pas celui-là. Lorsqu'il ouvre la porte, nous découvrons un rez-de-chaussée en déshérence. N'y traînent qu'un vieux canapé, quelques planches et des cartons ouverts où il a placé des chatons. J'ai trois portées en ce moment, dit-il. Vous êtes les premiers, vous avez donc le choix, conclut-il avec perspicacité… Dehors, collés à la porte-fenêtre, des chats adultes. Ils ne sont à personne. Ce sont les chats du quartier… Il nous livre l'historique. Et dévoile son trafic. Nous jouons le jeu un moment. Mais tous les chatons qui se laissent prendre présentent un aspect maladif, éteint, yeux et poils collants. Le coryza certainement. Que tous se refilent. Nous allons réfléchir, comme on dit. Evoquons nos enfants qu'il faut écouter aussi. Nous, nous n'avons pas d'enfant, alors on a des chats, dit-il avec son rire inquiétant. Nous soufflons en nous éloignant de ce lieu sordide, soulagés et effondrés par le spectacle offert. Faut-il dénoncer un tel individu ? N'étant pas un adepte de la délation, j'interroge l'association visitée la veille. C'est peine perdue, me dit-on. Ils sont des milliers à faire de même, la police n'en a rien à battre. C'est misérable, mais tant que les animaux ne sont pas mal traités, on ne peut se substituer à la justice. En prenant place dans le RER, je remarque des cartes de visite d'un marabout. C'est ce qu'il nous faut, dis-je à ma chérie. Ecoute : Professeur Habibou * Grand médium-voyant discret* Si vous ne vous entendez pas avec les hommes ou avec les femmes venez me voir. Si vous voulez vous faire aimer ou si votre partenaire est parti avec quelqu'un c'est mon domaine !  Tu te rends compte, son domaine ! Vous serez aimé et je créerai pour vous une entente parfaite sur la base de l'amour. Les problèmes qui vous paraissent déséspérés seront résolus. Même les infiltrations, les factures en souffrance, les dettes à droite à gauche, les boulots mal payés ? Protection contre les mauvais esprits, Et les mauvais voisins ? succès aux examens, traite de l'impuissance sexuelle rapidement. Si vous voulez vous marier rapidement et si vous avez des problèmes sur votre lieu de travail. DISCRETION ASSUREE. Reçoit sur RDV. Ah, avec un T. Je travaille aussi par correspondance. Joindre enveloppe timbrée… On va appeler le professeur Habibou, mon amour, et nous allons enfin être désenvoûtés, heureux comme jamais… Tu crois qu'il pourra nous aider à trouver un chat qui nous fera oublier Lux, et effacer ce sentiment de culpabilité, ce cafard qui ne me quitte pas depuis dix jours ?… Sur le chemin du retour, je lui raconte les malheurs de Fabiano. Depuis quelque temps, des chats squattent son jardin. Sa copine ayant eut la bonne et généreuse idée de les nourrir, ils ne quittent plus les lieux. Deux surtout. Il cherche à les faire adopter. L'un d'eux ressemble à Lux, d'ailleurs. Nous avons envisagé d'aller le voir. Puis nous sommes rétractés devant ce profil de chat venu de nulle part, habitué au jardin, disparaissant entre les repas. A coup sûr, il demandera à sortir, et nous ne le supporterons pas. J'allais en avertir Fabiano lorsque j'ai reçu son appel. Il avait retrouvé le chat dans un sale état ce matin d'orage. La gorge irritée, gonflée, bavant, tremblant. Il l'a emmené à cette même clinique vétérinaire où sont morts nos deux chats. Après l'avoir félicité pour ce sauvetage, ils lui ont laissé peu d'espoir et demandé 200 euros de frais d'hospitalisation. Le lendemain, le diagnostic tombe lourdement. Un sale virus dont j'ai oublié le nom. Un traitement existe. Mais il y a une chance sur trois pour que ça marche. Coût du bidule : 700 euros ! Fabiano n'avait déjà plus, après 10 jours de juillet, le fric pour bouffer jusqu'à sa prochaine paie. Sa copine, au chômage, a refusé de laisser crever le matou, lancé une souscription sur internet et s'est engagée à payer avec un échéancier. Camille est effondrée. Cette histoire de poisse qui revient. Pour lui remonter le moral, je sors de mon sac une petite boîte achetée la veille et oubliée. Qu'est-ce que c'est ? Apaise et réconforte. Secours. Des pastilles aux fleurs de Bach ? Qu'est-ce qui t'a pris ?… Tu m'avais parlé des fleurs de Bach un jour et en apercevant cette boîte à la caisse de l'épicerie bio, j'ai pensé que ça nous ferait du bien… Ça se prend comment ?… J'ai défait l'emballage. A l'intérieur, de toutes petites pastilles plates. J'en ai sucé une. Ça a un goût assez fade. Et un coût assez piquant : ils vendent ça 11,40 euros !… Mais tu es fou !… Je me suis fait avoir : la boîte était à la caisse parmi des boîtes de réglisse et pastilles à la menthe. Et une étiquette indiquait 3,45 euros. J'ai cru que c'était le prix… Tu aurais dû la rendre !… Je m'en suis aperçu en sortant du magasin et en vérifiant le ticket.… Il y a un mode d'emploi, mais c'est écrit trop petit… Ah oui ! Attends : en dilution 1/240e avec du cognac Bio de leur marque… Non, tu dis n'importe quoi !… Je te jure que c'est vrai. Mets tes lunettes ! Regarde : il y a quatre sorte de pastilles. Celle-ci, c'est donc la version Secours : Apaise et réconforte. Mais il y a aussi Secours nuit paisible : calme et sommeil profond. J'aurais dû prendre ça. Et puis Concentration école : favorise l'attention et calme l'agitation. On prendra ça pour ta fille. Et enfin, Relaxation complète : détente et assurance pour réussir. J'aurais dû prendre cette version-là pour toi… Mais l'histoire du whisky, c'est un peu fort !… Du cognac, chérie, du cognac !… Qu'est-ce que tu fais ?!… Je file à l'épicerie piquer une bouteille !

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