vendredi 17 février 2017

Comment on en est arrivé là…



- Je pense que nous sommes prêts. C'est même une certitude.
- Les Français ne le laisseront pas s'installer.
- Ça fait des années maintenant qu'on nous serine que le FN a changé, que Marine, c'est pas Jean-Marie, que la nièce est très catho mais super bandante...
- Je te dis que ça n'arrivera pas. Impossible.
- Oui, il y aura un sursaut républicain et on votera tous Hamon.
- Non, pas Hamon, Macron.
- Macron, c'est pareil que Le Pen.
- Tu dis n'importe quoi...
- Il se croit investi d'une mission mystique. Et estime que c'est un programme suffisant.
- Ah oui, j'ai entendu ça.
- Moi aussi, j'ai entendu ça dans la bouche de Franco et dans celle de grands démocrates de ce genre.
- Je veux rester optimiste.
- Aveugle, tu veux dire ?
- Je veux garder espoir.
- En quoi ? En l'exemplarité de la démocratie ? En la condamnation des délits des politiciens ? Tu veux que je te rappelle l'affaire Christine Lagarde ? Le fameux slogan-écran-de-fumée Responsable mais pas coupable... Ou Sarkozy, ou Cahuzac hier ? Regarde ce qui se passe aujourd'hui avec ce bon François Charles Armand Fillon...
- C'est que ça coûte cher à entretenir un château...
- D'où le fric soutiré de toutes parts... Et pendant ce temps-là, des flics sodomisent un gamin avec une matraque sans le faire exprès et on s'insurge dans tous les micros et les éditos contre la violence des banlieues... Il y aurait de quoi rire si ce n'était aussi dramatique pour toutes les victimes de ce cynisme.
- En v'là du beau discours...
- Mais j'en ai rien à queuter des beaux discours, crétin !
- Eh... On se calme !
- Si je veux... Comment rester calme ?!
- On en reprend une ?
- Si tu paies...
- Monsieur m'engueule et il faudrait que je l'invite ?
- T'as pas le choix, monsieur est à payol...
- C'est sous les ponts qu'il va finir...
- Non, les ponts, c'est fini. C'était trop confortable.
- Qu'est-ce que tu racontes ?
- Tiens, encore un exemple du fascisme venant : la ville de Paris, tes amis socialistes, n'a rien trouvé de mieux que de décharger des rochers sous les ponts du métro pour empêcher les campements.
- Qu'est-ce que tu racontes ?
- Arrête avec cette question. Je ne raconte rien, je ne dis que ce que j'ai lu et que peu de médias certainement relaient.
- Attends...
- Oui, vas-y, gougueulize !
- La vache...
- T'as pas comme des envies de meurtre quand tu vois ça ?
- Ben, tu avoueras que c'est difficile à gérer, ces migrants...
- Tu sais, quand je t'écoute parfois, j'ai l'impression de regarder la télé...
- Bon, mais ça se passe dans un seul endroit, Porte de la Chapelle…
- Oui et hier, on a interdit aux associations - des bénévoles qui donnent de leur temps, de leur énergie, qui croient à la solidarité, la fraternité, que sais-je ? - de distribuer des petits déjeuners. Et ça se passait pourtant dans un centre d'accueil... Des familles entières peuvent rester toute une journée le ventre vide, sans boire ni manger. Par décision politique. Quand d'autres se goinfrent sur l'argent public. La France ou le sens de l'hospitalité et de la démocratie. Des valeurs inaltérables.
- Ah oui, je vois ça... Tu proposes quoi ?
- La révolution !
- Non, mais sérieusement ?
- Je suis on ne peut plus sérieux. Il n'y a pas d'autre solution !
- Dans deux mois, c'est les élections.
- Et tu voudrais que je vote pour un de ces marioles qui représentent le marasme dans lequel nous étouffons ? Des héritiers, des parachutés, des monarques, des banquiers qui parlent tous au nom du peuple et de ses souffrances ?
- Tu sais que ça me déprime, les discussions avec toi ?
- Tu peux faire le choix de rester dormir chez toi. Ou au travail. Ou sur tes réseaux sociaux. Ou en lisant Le Monde ou Libé... Ou tous ces titres qui passent le test du Decodex.
- Du quoi ?
- Le Decodex. T'as pas vu ça dans tes alertes ?
- Ah oui, dans Le Monde, je crois.
- Exact, ils en sont à l'origine.
- C'est pas mal, je trouve, de mettre un peu d'ordre dans ce flux d'infos... 
- La création d'un bureau de censure n'augure jamais rien de bon. Surtout lorsqu'il est imaginé par les puissants industriels du divertissement...
- Ce n'est pas ça...
- Le Monde, tu sais à qui ça appartient ?
- A un groupe ?
- A des actionnaires, dont Pierre Bergé et le type qui dirige Free. Tu crois que ces gens-là sont des philanthropes, que leur intérêt est que la populace soit bien informée ? Ou qu'on continue à lui proposer du divertissement, du spectacle permanent, de nouveaux produits intelligents, pensant pour eux, en veux-tu en voilà ? Ils perdent du fric avec leurs journaux de merde et s'en prennent à l'ensemble de la presse alternative, aux dits "gauchistes", comme jadis les industriels qualifiaient les classes laborieuses de classes dangereuses... Je te dis : tout est prêt pour accueillir le fascisme, celui de la Marine ou celui de Macron, peu importe... Tu nous en repaie une ?, ça donne soif...
-Tu ne m'as pas raconté le dîner avec ton beau-père...
- Nous ne sommes pas mariés.
- Ton beau-père et toi ? 
- Pas encore.
- Alors ?
- Il est arrivé avec le champagne. 
- Ah, mais vous avez dîné chez vous ?
- Non, au resto. Mais il avait demandé notre adresse pour nous inviter dans le coin. On en a déduit qu'il voulait voir la maison et l'avons invité à prendre l'apéro.
- Alors, il a démoli votre petite maison du bonheur ?
- Pas du tout. Il disait qu'il y a toujours des soucis dans une maison. Que nous avions raison de ne pas nous laisser faire. Que c'était tout de même charmant.
- Il est comment alors ?
- Complexe. Il était je pense en opération séduction.
- C'est-à-dire ?
- C'est l'homme qui ne doute jamais. Qui sait tout, ou, en tous cas, a un avis sur tout. Et il le tient toujours des meilleurs spécialistes. Quand il a voulu faire du vin dans sa propriété dans le sud, ses vignes étaient mortes. Il a fait appel à des pontes du magnétisme qui lui ont indiqué comment redonner vie à la terre qui avait été couverte d'engrais chimiques durant des années. Et au bout de trois ans, il avait un raisin magnifique, et comptait Depardieu parmi ses clients. Et c'est pareil pour tout. Il a consulté le plus grand fiscaliste de France et planifié son exil au Portugal. Car là-bas, on n'y paie pas d'impôts quand on est à la retraite, du moment que tu y passes 183 jours par an. Pas de taxe d'habitation non plus. Il faut juste qu'il n'ait plus de propriété en France, plus d'attaches... Et tu sais, le Portugal est un pays formidable. Le smic y est à 580 euros, mais les gens sont heureux, car la vie, du coup, est moins chère. Tu vois le tableau ?
- Il apprend le portugais ?
- Exact. Et il ne regrettera pas la France qui est en grande décadence comme l'ont démontré ses maîtres à penser : Michel Onfray, Eric Zemmour et Alain Finkielkraut... 
- Tu as dû t'amuser.
- Je jubilais intérieurement de savoir ces trois personnages qualifiés de sociologues, traités sur le même plan...
- Tu me disais ne pas savoir si tu irais dîner avec eux...
- Jusqu'au dernier moment, je ne savais pas, j'espérais... Ils passaient leur manteau, j'ai alors parlé de sortir le chien et de les laisser dîner en tête à tête, qu'ils avaient des choses à se dire, mais il a affirmé avoir réservé pour trois. 
- Il vous a emmené où ?
- Dans LE resto de luxe du coin. 
- Que tu connaissais ?
- Pour être passé devant. Mais jamais nous n'y avions mis les pieds.
- C'est comment ?
- Pas mal, mais bon...
- Et le courant est passé entre vous ?
- Je ne le déteste pas. Et je crois, malheureusement, qu'il m'aime bien, qu'il est rassuré de savoir sa fille en ma compagnie.   
- Tu te ramollis, dis donc...
- Opération séduction, je disais. Je pense qu'il a modéré certains propos ou certaines positions.
- Comme quoi ?
- La politique. Il est profondément anti-socialiste, se désintéresse de Fillon, raille Macron...
- Mais aime Marine ?
- Je ne sais pas. Je l'ai entendu dire que son programme était dangereux. Et il a avoué ne pas savoir pour qui voter. 
- C'est vrai qu'il t'avait catalogué sans te connaître...
- Il paraît, oui... 
- Et il n'a jamais parlé de sa femme qu'il a répudiée et dont il ne veut pas divorcer.
- En permanence : avec ta mère, quand on a fait ça, demande à ta mère, elle te racontera tel ou tel événement... Mais jamais il n'a parlé de la situation. Ce n'est qu'en le raccompagnant au métro, quand il nous remerciait pour la soirée, qu'on était tous un peu bourrés, Camille lui a suggéré de faire de même avec ses autres enfants… Il a alors rétorqué que c'était trop tard, que les autres avaient pris leur parti, qu'il savait ne pas être apprécié, tout en reconnaissant qu'il avait toujours été un père absent…
- Putain…
- Comme tu dis... Camille a dit que c'était trop con, qu'on était de passage sur terre, un truc comme ça, tiens-toi bien : il a émis l'idée qu'une fois six pieds sous terre, il éprouverait une sorte de consolation en sachant que quelqu'un le regretterait, qu'il s'en était lui-même voulu, à leur mort, de ne pas avoir repris contact avec ses parents, après avoir coupé les ponts à l'âge de 20 ans… 
- Putain…
- Tu l'as déjà dit.
- Il reproduit le même schéma…
- Je sais que nous sommes bien placés, là, pour faire de la psychologie de comptoir, mais comme je disais tout à l'heure, c'est un être complexe, je pense qu'il se rend compte de la distance que son comportement, sa personnalité, a mise entre lui et sa famille, qu'il en souffre, mais ne se remettra jamais en question, pas auprès des autres en tout cas, pas de sa famille, mais qu'il espère peut-être que Camille en parle aux autres, que ça crée un trouble, que son exil à venir soit contesté… Je ne sais pas… Quelque chose comme ça…
- Et Camille en a parlé aux autres ?
- Là, comme on se parle, elle dîne avec sa mère et ses sœurs… Et elle redoutait l'interrogatoire
- Quelle histoire…
- Tu reprends quelque chose ?




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