mardi 3 janvier 2017

Que le bonheur est proche !





J'apprends par hasard la disparition de John Berger. Je suis passé à côté de lui. Je lisais ses papiers dans le Diplo et un ou deux livres. Et les films écrits avec Tanner. Pas plus. Je le gardais pour plus tard. Je suis également passé à côté de lui physiquement, une fois. J'étais trop impressionné pour lui adresser la parole. C'était il y a une vingtaine d'années. A cette époque, son nom revenait souvent dans les conversations avec deux ou trois personnes, que je ne fréquente plus. Je pense à elles. Et j'ai toujours en tête cet article paru lors de la Guerre du Golfe, la première :
Devant moi, sur la table, une photo, prise par Jean Mohr : elle représente un soldat irakien fait prisonnier au cours de la guerre qui opposait son pays à l’Iran. On vient d’informer ce soldat que, grâce aux bons offices de la Croix-Rouge internationale, il va bientôt être rapatrié. Il y a dans ce visage recouvert de barbe une tristesse pour laquelle j’aurais du mal à trouver les mots. Elle ne saurait s’expliquer uniquement par la crainte qu’a le prisonnier de rentrer chez lui où il court le risque de représailles pour s’être rendu à l’ennemi.
Lors du déclenchement de la phase terrestre de la guerre du Golfe, mon amie Sylvia Grant m’a téléphoné de Rochdale, dans le nord-est de l’Angleterre… (la suite ici)
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Au cours d'une nouvelle insomnie, j'écoute Daney dialoguer avec Pialat. Ces deux personnes, je l'ai déjà dit par ici, ont beaucoup compté pour moi. Libraire, j'avais sympathisé avec un client. Ayant lu un papier autour de la jeunesse au cinéma, Narboni me poussait à écrire un livre sur le sujet, et tenait à me présenter Daney qui serait un excellent interlocuteur. Je n'avais rien demandé. Et j'aurais été bien emmerdé si la rencontre avait eu lieu. Daney est assez malade, ce n'est plus un secret, m'avait-il dit. On va attendre un peu. Il est mort quelques semaines plus tard. Epoque Trafic.
Le livre ne s'est jamais fait. Pialat à qui j'avais écrit, avait refusé un entretien sur le sujet, il n'avait rien à en dire, et m'avait juré que les bouquins de cinéma, ça ne servait à rien, mieux valait faire un film.
Je n'ai jamais revu Sous le soleil de Satan, dont il est question au cours de cet entretien réalisé à Cannes en 1987. Je ne sais plus si j'avais aimé son "académisme". Mais, moi qui avait été ébloui par Mouchette, ne jurant alors que par Bresson, j'étais heureux lorsque Deneuve remit la Palme d'or à Pialat. J'avais réussi à me glisser dans la salle malgré ma tenue non réglementaire, comme je le faisais dans certains cinémas parisiens, par la sortie. J'avais la petite vingtaine, découvrais la foire de la Croisette, ses paillettes et sa monstrueuse connerie, l'enfilade de films, de fêtes et du reste… Je n'y ai jamais remis les yeux.




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Dimanche après-midi, bravant le froid, l'indigestion et la fatigue, nous sommes allés (re)voir Un Homme et une femme, ça passait pour la dernière fois à côté de la maison. Je redoutais un peu la rencontre de cette autre Palme. Contrairement à ma fiancée, je n'aime pas forcément les romans-photo noyés de musique et de chabadaba… J'ai repensé à mon ami Pascal, mon professeur de cinéma quand j'avais 17 ans. Eustache, Ozu, Godard, Stévenin, Cassavetes, c'est lui. Il me parlait souvent de Lelouch et je ne comprenais pas comment on pouvait adhérer à la fois à ce cinéma et à celui de Bresson, par exemple. Mais Pascal, moins con que moi, moins dogmatique, était simplement cinéphile et ne boudait aucun des différents plaisirs que l'on peut prendre dans l'obscurité. 
Quand j'ai commencé à me réfugier au cinéma, seul bien entendu, j'optais pour les salles commerciales le dimanche soir et l'art et essai ou la cinémathèque en semaine. J'ai donc vu un peu de tout, du film rare hollywoodien sous-titré en arabe au téléfilm SFP déguisé en grande production française. Les Lelouch des années 80 ne m'intéressèrent pas beaucoup, m'embarrassèrent même. Et les pages des Cahiers, Positif ou Cinématographe, que je commençais alors à lire religieusement,  mentionnaient rarement le nom de Lelouch, si ce n'est pour expédier sa dernière production d'une notule malveillante. Et à part un ou deux de ses films plus anciens aperçus à la télévision, je me suis éloigné de ce cinéma trop volontairement ou naïvement populaire. Je me devais de fréquenter uniquement la crème de l'art cinématographique, ainsi cataloguée par ceux qui savaient. Et j'en ai vu des films chiants…
Aujourd'hui que je regarde de loin cette jeunesse stupide, que je me suis délivré de la dictature d'une certaine bien-pensance cinéphilique, tout au moins l'ai-je mieux identifiée, accepté sans honte cet autre aspect du cinéma, tout aussi passionnant, je peux avouer prendre du plaisir devant ce film que je vois pour la première fois. Si certains dialogues, raccourcis faciles ou le jonglage entre couleur et noir et blanc me navrent, je reconnais à Lelouch un lyrisme de la mise en scène parfois aussi brillant que celui d'un Sirk en technicolor, une foi inébranlable dans le cinéma. J'en oublie la grandiloquence, la mégalomanie narcissique et l'ingénuité du gars. Il faut certainement être doté de ces défauts – et d'un peu de fric quand même – pour mener la carrière qu'il s'est donnée. Et puis, j'ai rarement vu Anouk Aimée aussi bien filmée, même chez Demy ou Fellini. Et que dire de Pierre Barouh, disparu récemment ? Bien entendu, il me renvoie encore une fois à mon ami Pascal qui me l'avait forcément fait découvrir. Mais j'ignorais encore jusqu'à ce premier jour de l'année qu'il avait été… acteur… La présence de ce personnage mort illumine le film et l'audace de jeunesse des compères Lai-Barouh-Lelouch d'introduire des sortes de scopitones à l'intérieur du récit, pour le servir, est des plus réjouissantes. Je ne sais pas ce que peut augurer une année qui débute par un dialogue avec quelques morts… Mais comme dit l'autre, il y a des morts bien plus en vie que certains vivants.




En sortant du cinéma, mon téléphone m'indiquait un message : Pascal me souhaitait une bonne année...

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