mercredi 30 novembre 2016

Toute une vie


J'ai enfin acquis la certitude qu'il est possible de courir tous les risques de la liberté – mais que celui de son absence n'est pas supportable. Je n'écris plus. Parfois, seulement, je lis ce qu'ils écrivent ces jouvenceaux et ces salauds éternellement vieux. Satiram scribere, comme ce serait facile, sur leurs petits vomis. Mais je n'en peux plus.

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" Ils nous auront, ils nous auront tous... Ils ne sont pas pressés, ils ont le temps... ", me disait hier M. J'aurais voulu lui répondre : "Mais non! J'ai une idée sensationnelle qui démolira leurs plans vite fait bien fait. Tu sais ce qu'on va faire? On va mourir avant qu'ils nous aient eus. Si on meurt avant qu'ils nous aient eus, ils ne sous auront pas, tu piges? Et toc! Faut pas se laisser faire!"

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...Cacher sa vie dans l'antre de la tête pour dix, quinze, trente-cinq ans...

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Il y a une chose que je sais depuis toujours, je la sais depuis 1948 : contre le communisme, je suis et serai prêt à m'associer avec n'importe quisauf les communistes. d'où, en 1968, l'embarras devant ma léthargie et mon manque d'enthousiasme de la part de certains de mes amis qui ne comprenaient pas cette attitude. Une seule seconde d'alliance avec "eux", aussi brève et temporaire fût-elle, était pour moi impossible, impensable, inacceptable je me serais renié moi-même, j'aurais tout renié. Mon combat vital contre eux était une question de pureté, dégoûté que j'étais par leur saleté, leur infamie, leur menterie... Doit-on se réconcilier avec des gens qui vous ont étouffé, étranglé pendant vingt ans, vous ont privé de parole et tué, qui vous ont dépouillé de votre jeunesse et dérobé toute forme d'existence humaineau moment où ils vous offrent la perspective de terminer votre vie aux frais de l'Etat dans le confort approximatif d'un hospice de vieillards ? Pas une seule seconde un Dubceck(1) ou un Smrkovsky(2) ne m'ont été plus proches que Novotny(3) ou Hendrych(4), pas une seule seconde je n'ai ressenti envers eux le moindre soupçon de loyauté.

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On doit attendre la quarantaine, apprendre leur langue, vivre dans les années 70 du XXe siècle – pour se mettre à détester les Américains (les Russes, je les déteste depuis 1945, je savais pourquoi, je le sais toujours), pour se rendre compte de leur conformisme, de leur niaiserie nouille, de leurs clichés, de la stérilité de leurs rapports humains, de leur subtilité factice (la subtilité ne peut pas être commune). Mais finalement, je me rends compte que la jovialité, la rudesse bon-bougre, l'optimisme crâneur des films américains me tapaient déjà sur les nerfs en 1949.

(1) promotteur du "socialisme à visage humain"
(2) un des principaux acteurs du Printemps de Prague
(3) président de la République, remplacé par Dubceck
(4) chef de la section idéologique du PC


Né en Moravie du Sud, en 1931, Jan Zabrana voit sa mère, institutrice militant pour la social-démocratie, condamnée à dix-huit ans de prison après le coup de Prague en 1948. Il est exclu de l’université en 1952 alors que son père, également instituteur, est condamné à dix ans de prison ferme.
Jan Zabrana s'installe à Prague où il travaillera comme ajusteur-mécanicien dans une usine de construction de wagons puis comme aiguiseur dans un atelier d'émaillage. Par la suite, il deviendra traducteur du russe et de l’anglais. Il meurt en 1984, laissant quelques romans policers et un journal de plus de 1 000 pages. L'édition française, parue chez Allia en 2006, traduite par Marianne Canavaggio et Patrik Ourednik, portée à notre connaissance par un inestimable ami, et vendue pour la modique somme de 6,10 €, concerne uniquement la période de normalisation imposée en 1969.

Marche arrière

Pas de promesse pas de projet
pas même une caresse
je ne veux aucune explication
entendre causer de maison
ne m'offre aucune consolation
ne me balance plus
le mot fidélité

pas même sincérité
fais comme tu peux, fais comme tu veux
ne te soucie pas de moi
pas un instant, c'est trop pesant
balance-moi juste un sourire
un seul
comme la neige dans son linceul
et toutes ces conneries-là

avant mon dernier soupir
et imagine que tu fais ce sourire 
à quelqu'un que tu aimes 
relève alors ta jupe
et montre-moi ton cul.
Charles Brun, Poésie urbaine

lundi 28 novembre 2016

Déguisements




Nous allons vers une droite universelle, vers une époque d'un certain triomphalisme, qui ne durera pas longtemps, basé sur la sensation qu'il n'y a au monde qu'une seule vérité, à savoir le néocapitalisme et le néolibéralisme, un marché et un système de surveillance de tout cela. Je ne sais combien ça durera. Ça durera le temps que découvrions de nouveau que, derrière cet ordre, existe le désordre de toujours et qu'il génère de nouveau les mêmes injustices, les mêmes inégalités, l'absence de solidarité habituelle, mais renforcée par un néototalitarisme que l'on ne manquera pas de déguiser en néolibéralisme. 

Manuel Vázquez Montalbán (1939-2003)

Un de ces quatre


Via Louxo's Enjoyable


Havre-Caumartin - Saint-Lazare


De Havre-Caumartin jusqu'à Saint-Lazare
Je cherche un Rohypnol en marchant au hasard
J'suis pas bien flamboyant, j'ai p'têtre l'air d'un crevard
Mais un de ces quatre matins, j'serai cousu de dollars.

Devant la pharmacie au métro Rambuteau
Je vends du Subutex aux gentils toxicos
Ça part comme des p'tits pains, j'me fais plein de gonos
Schering-Plough, j'suis l'meilleur de tous tes commerciaux.

Dans l'couloir du D5 sur l'chemin du mitard
J'me force à pas masquer, juste pour faire chier l'bricard
Rohypnol et 8/6 m'ont tendu un traquenard
Mais un de ces quatre, j'serai cousu de dollars.
Thierry Pelletier, La Petite Maison dans la zermi, éd. Libertalia


dimanche 27 novembre 2016

Manque d'amour et de politesse

Vladimir Sokolaev via semiotic apocalypse

La Maison des Pauvres


N’empêch’ si jamais j’ venais riche,
Moi aussi j’ f’rais bâtir eun’ niche
Pour les vaincus... les écrasés,
Les sans-espoir... les sans-baisers,

Pour ceuss’ là qui z’en ont soupé,
Pour les Écœurés, les Trahis,
Pour les Pâles, les Désolés,
À qui qu’on a toujours menti
Et que les roublards ont roulés ;

Eun’ mason.. un cottage,. eun’ planque,
Ousqu’on trouv’rait miséricorde,
Pus prop’s que ces turn’s à la manque
Ousque l’on roupille à la corde ;

Pus chouatt’s que ces Asil’s de nuit
Qui bouclent dans l’après-midi,
Où les ronds-d’-cuir pleins de mépris
(Les préposés à la tristesse)
Manqu’nt d’amour et de politesse ;

Eun’ Mason, Seigneur, un Foyer
Où y aurait pus à travailler,
Où y aurait pus d’ terme à payer,
Pus d’ proprio, d’ pip’let, d’huissier.

Y suffirait d’êt’ su’ la Terre
Crevé, loufoque et solitaire,
D’ sentir venir son dergnier soir
Pour pousser la porte et... s’asseoir.

Quand qu’on aurait tourné l’ bouton
Personn’ vourait savoir vot’ nom
Et vous dirait — « Quoi c’est qu’ vous faites ?
Si you plaît ? Qui c’est que vous êtes ? »

Non, pas d’ méfiance ou d’ paperasses,
Toujours à pister votre trace,
Avec leur manie d’étiqu’ter ;
Ça n’est pas d’ la fraternité !

Mais on dirait ben au contraire :
— « Entrez, entrez donc, mon ami,
Mettez-vous à l’ais’, notre frère,
Apportez vos poux par ici. »

Pein’ dedans gn’aurait des baignoires,
Des liquett’s propes... des peignoirs,
D’ l’eau chaud’ dedans des robinets
Qu’on s’ laiss’rait rigoler su’ l’ masque,
Des savons à l’opoponasque,
Des bross’s à dents et des bidets.

Pis vite.. on s’en irait croûter
Croûter d’ la soup’ chaude en Hiver
Qui fait « plouf » quand ça tomb’ dans l’ bide,
Des frich’tis fumants, des lentilles,
Des ragoûts comm’ dans les familles,
Des choux n’avec des pomm’s de terre,
Des tambouill’s à s’en fair’ péter.

Et quand qu’ ça s’rait la bell’ saison
On boulott’rait dans le jardin
(Gn’en aurait un dans ma Mason
Un grand... un immense... un rupin)

Ousqu’y aurait des balançoires,
Des hamacs... des fauteuils d’osier
(Pou’ pouvoir fair’ son Espagnole)
Et ça s’rait d’ la choquott’ le soir
Quand mont’rait l’ chant du rossignol
Et viendrait l’odeur des rosiers.

Mais l’Hiver il y f’rait l’ pus bon :
Ça s’rait chauffé par tout’s les pièces ;
Et les chiott’s où poser ses fesses
J’ f’rais mett’ du poil de lapin d’ssus
Pou’ pas qu’ ça vous fass’ foid au cul.

Et pis dans les chambr’s à coucher
Y gn’aurait des pieux à dentelles,
D’ la soye... d’ la vouat’... des oneillers,
Des draps blancs comm’ pour des mariés,
Des lits-cage et mêm’ des berceaux
Dans quoi qu’on pourrait s’ fair’ petiots ;

Voui des plumards, voui des berceaux
Près d’ quoi j’ mettrais esspressément
Des jeun’s personn’s, prop’s et girondes,
Des rouquin’s, des brun’s et des blondes
À qui qu’on pourrait dir’ — « Moman ! »

Ça s’rait des Sœurs modèl’ nouveau
Qui s’raient sargées d’ vous endormir
Et d’ vous consoler gentiment
À la façon des petit’s-mères,
À qui en beuglant comme un veau
(La cabèch’ su’ le polochon),
On pourrait conter ses misères :

— « Moman, j’ai fait ci et pis ça ! »
Et a diraient : — « Ben mon cochon ! »
— « Moman, j’ai eu ça et pis ci. »
Et a diraient : — « Ben mon salaud ! »

« Mais à présent faut pus causer,
Faut oublier... faut pus penser ,
Tâchez moyen d’ vous endormir
Et surtout d’ pas vous découvrir. »

Ma Mason, v’là tout, ma Mason,
Ça s’rait un dortoir pour broyés
Ousqu’on viendrait se fair’ choyer
Un peu avant sa crevaison

Loin des Magistrats de mes ...
Qu’ont l’ cœur de vous foute en prison
Quand qu’on a pus l’ rond et pus d’ turne.

Mais pour compléter l’illusion
Qu’on est redevenu mignon
Tout’s mes Momans à moi, à nous,
Faurait qu’a z’ayent de beaux tétons,
Lourds, fermes, blancs, durs, rebondis
Comm’ les gros tétons des nounous
Ou des fermièr’s de Normandie ;

Et faurait qu’ ces appâts soyent nus.
Mêm’ les gas les pus inconnus,
Auraient l’ droit d’y boir’, d’y téter
Au moment ousqu’y tourn’raient d’ l’œil.

S’ils faisaient la frim’ d’êt’ pas sages
Dans leur plumard ou leur fauteuil
On s’empress’rait d’ leur apporter
Les tétons sortis du corsage,
Pleins d’amour et de majesté.

Je vois d’ici mes Nounous tendres
Introduir’ dans les pauvres gueules
De tous les Errants de Paris
Le bout de leurs tétons fleuris.

Et j’ vois d’ici mes pauv’s frangins
Aux dents allongées par la Faim
Boir’ les yeux clos et mains crispées
Par la mort et par le plaisir.

Et pour jamais et pour jamais
(Le museau un peu pus content)
J’ les vois un à un s’endormir

Le bout d’un téton dans les dents...


Jehan-Rictus, Les Soliloques du pauvre

samedi 26 novembre 2016

Sauve qui peut (le cinéma)



Pour un travail avec des lycéens, concomitant du décès de Coutard, je me suis retrouvé, avec appréhension, devant des passages de films de Godard. Ceux des débuts, A bout de souffle, Le Mépris, Pierrot le Fou... Sur un ordi, les plans de ce dernier film m'ont de nouveau sidéré. Il fallait que je sélectionne des extraits et j'étais incapable de couper. Tout me paraissait exemplaire.
Je me suis souvenu comment le premier film de Godard m'avait bouleversé à leur âge. Je parle du premier Godard qu'il me fut donné de voir, Sauve qui peut (la vie) J'avais 17 ans et ça se passait dans le cinéma du centre commercial de ma ville de banlieue où je n'avais vu jusque là qu'un western avec mon père et peut-être une comédie avec ma soeur... Je n'y compris pas grand-chose. Ce regard froid sur l'amour - ou tout au moins le couple - frappait juste. Et ne se contentait pas que de me frapper. D'une cabine au coin de la rue, j'avais tenté d'inviter une camarade de classe dont je me croyais amoureux et elle m'avait envoyé promener, me condamnant à l'étouffement dans cette boîte dont je ne parvenais plus à sortir. J'avais vu le film avec Pascal. Qui me parlait de Godard, Eustache, Rohmer, Truffaut, Ozu, Bresson, noms alors de moi inconnus. Pascal qui m'avait fait découvrir Bove et le vol de bouquins…
Les livres, bien qu'il y soit souvent fait référence à Duras, étaient au centre du film de Godard, m'annonçant leur rôle de consolation, m'incitant à suivre le chemin de Pascal. Je compris également que le cinéma, ça pouvait être ça. Je me trompais bien évidemment. Il fallait penser le cinéma aurait pu être cela - cette liberté de récit, ce rêve d'art total, que je ne retrouverais que dans certains romans -, le fut un court moment, ne le sera jamais plus. Fort heureusement, j'étais plutôt limité intellectuellement, inculte, pauvre et naïf et plongeai dès lors timidement dans une fascination pour la salle obscure et les films de Godard. J'ai progressivement découvert toute sa filmographie, et celle de ses vagues potes, celle de ses maîtres et les films de ses quelques invraissemblables disciples. Je respirais, lisais, parlais, chantais, baisais, chiais Godard. Le moindre entretien avec le Suisse était avalé, relu, soigneusement conservé. Ses films, et quelques autres, me permettaient de ne pas entrer totalement dans la vie d'adulte, de ne jamais envisager de plan de carrière, Permanent vacations. L'année du cinquantenaire de la cinémathèque, Dieu en personne est venu présenter une bobine d'une poignée de films et des rushes de Soigne ta droite. Je pense que j'étais le premier taré à se geler les couilles en attendant Godard et l'ouverture des portes du temple. Quelques années plus tard, encore libraire et vraiment par hasard, je me suis retrouvé à écrire sur le cinéma. Et l'un des premiers papiers publiés concernait la reprise d'Alphaville.
Un jour, je me suis aperçu que ma vie était un joyeux naufrage, épouvantablement mis en scène, et que les bouquins m'importaient plus que le cinéma, ce qu'il était déjà devenu. Constat douloureux il va sans dire. Par je ne sais quelle absurde croyance, et trahison à ma jeunesse, j'avais essayé d'être enfin adulte, avoir un travail, des enfants... Il va sans dire que mon petit Titanic n'a guère été remis à flot et que le seul émerveillement rencontré au cours du désastre programmé fut de faire découvrir à mes filles, très jeunes, des bribes de mes anciennes amours.
J'ai montré quelques extraits aux lycéens. Du A bout de souffle - Allez vous faire foutre -, du Pierrot - Qu'est-ce que je peux faire ? -, du Mépris - Un monde qui s'accorde à nos désirs... J'en ai vu dormir, d'autres se réjouir... 
En écoutant ce matin ce très court entretien avec Godard diffusé en 1966 et égaré dans une récente nuit de France Culture, un frisson m'a parcouru la cervelle à hauteur de ce que j'avais paumé en chemin, et tel un mort j'ai vu ma vie défiler devant mes yeux...





jeudi 24 novembre 2016

Quand vous aurez compris

Patrice Molinard

Voilà bientôt vingt ans que je me beaujolise
Dans tous les mauvais lieux ouverts après minuit
Je commence à pencher comme la tour de Pise
Je m’accoude au Pont-Neuf la Seine va sans bruit
Et je dis au clochard « tu vois, c’est la Tamise »

Alors on va s’asseoir on fouille un peu ses poches
On parle d’Henry IV et d’un certain troquet
Qui reste ouvert la nuit
Et qui n’est pas trop moche
A cinq ou six cents mètres là-bas sur les quais
Et on a le cœur pur comme un cristal de roche

Le désir impérieux de raconter sa vie
Son service militaire ses embarras d’argent
Son besoin d’amitié la jeunesse partie
La connerie surtout de la plupart des gens
Le rouquin renversé et que la manche essuie

Alors on se relève on longe les murailles
On s’en va jusqu’au Louvre et jusqu’à l’Opéra
On a la jambe molle et la voix qui s’éraille
On va retourner boire lequel des deux paiera
On a l’œil un peu vague et le sang qui se caille

A sept heures du matin au métro Pyramides
Un loufiat mal luné met ses tables dehors
On dit n’importe quoi j’ai les yeux tout humides
Mon copain de la nuit a l’air d’être ivre mort
Je le laisse tout seul achever son suicide

Voilà bientôt vingt ans peut-être davantage
Que je fais le guignol à n’importe quel prix
Entre le delirium la sagesse et la rage
Revenez donc me voir quand vous aurez compris
Et ne condamnez rien avant d’avoir mon âge

Bernard Dimey, La Tamise

dimanche 20 novembre 2016

Les guetteurs


Le Temps, ce grand maquereau, ne fait de cadeau qu'à ceux dont il n'a rien à craindre pour insuffisance d'imagination ; avec eux, ces menues faveurs ne tirent pas à conséquence. Mais, parfois, lorsqu'il s'engourdit dans la perfection de son cercle, présent et absent en chaque chose, nous les agiles, les guetteurs nous profitons de l'occasion. Un éclair. Juste avant qu'il ne s'éveille, en rogne, et ne se remette au labeur à grands coups de faux. Cela fait une paye que nous nous bagarrons lui et moi – sans doute depuis la mort de Germaine – et je l'ai feinté à plusieurs reprises.
André Hardellet, Lourdes, lentes…, Pauvert 1969, Gallimard 1992

L'art du cinéma

En novembre 1966, les cinémas Colisée et La Madeleine projettent en exclusvité le dernier Melville, Le Deuxième souffle. J'ai toujours été fasciné par le début de ce film noir. Sans dialogue, musique, effet soulignant cette évasion. Du grand art – la comparaison avec le remake d'Alain Corneau 40 ans plus tard est tragique pour l'auteur de Série noire, mais c'est une autre histoire.
José Giovanni, dans ses mémoires, raconte que Lino Ventura s'était emporté contre Melville. Afin de rendre plus "vraie" la scène où Gu parvient avec difficulté à monter dans le train, Melville faisait accélérer légèrement la locomotive au cours de la prise, l'acteur épousant alors parfaitement un personnage au physique vieillissant, à la recherche d'un deuxième souffle.



Dans ce petit reportage réalisé pour la sortie du film, on perçoit la complicité distante entre le maître et ses comédiens. Ventura avoue qu'il s'agit de son rôle le plus éprouvant, puis se marre en bourrant sa pipe lorsque Meurisse parle de son métier et des rapports au metteur en scène. 
Ventura oubliera un temps sa brouille avec Melville en acceptant de tourner de nouveau sous sa direction en 1969 dans cet autre chef-d'œuvre qu'est L'Armée des ombres



Dans la série, les bijoux retrouvés, un portrait du cinéaste, rediffusé récemment la nuit. Un an avant sa mort, à 52 ans, l'ancien résistant Jean-Pierre Grumbach réagit à la sortie du livre d'entretiens publié par le critique portugais Rui Nogueira. Le cinéaste qui vient de signer ce qui restera comme son dernier film, Un Flic, reconnaît de ne pas avoir été vraiment sincère dans ses propos. Et dans la préface qu'il donne au bouquin, Melville affirme qu'il est trop tôt, en 1972, pour dresser un bilan de ses vingt-cinq années de carrière.

vendredi 18 novembre 2016

Serge et Leonard sont en bateau





Zone de combat


Stand de tir


La semaine prochaine, à Bobigny, se tiendra, après sept années de procédure, le procès de trois policiers qui, le 8 juillet 2009 à Montreuil, ont tiré au flashball sur des manifestants. Les tirs visaient la tête. Un des manifestants a perdu un oeil. Les policiers sont poursuivis pour « violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ».
Je me souviens très bien de ce jour-là. Ça s'est passé en bas de chez moi. Je m'étais levé tôt ce matin afin d'emmener mes filles à l'aéroport. Et nous nous sommes dirigés vers le métro, à une minute de là, alors que l'expulsion du squat jouxtant mon immeuble se produisait sous belle escorte policière. Ce squat était devenu un centre culturel et politique. Dérangeant.
En rentrant de l'aéroport, la procédure était terminée. Le soir, j'étais sorti boire des coups avec des potes et avais raté la petite manifestation des anciens squatteurs sur la place du marché. Les flics ont débarqué pour tirer dans le tas. Une communication radio entre policiers, enregistrée et portée au dossier, le confirme. En se garant sur les lieux, il est dit : « On arrive sur le stand de tir ». Les médias ont parlé d'affrontement entre manifestants et forces de l'ordre, répondant ainsi aux aboiements de l'Etat. S'il y avait eu affrontement, les policiers n'iraient pas demain visiter le Tribunal de Grande instance.
Le policier qui a occasionné la perte de l'oeil de Joachim Gatti était champion de France de tir. Un expert ès bavure, nullement en état de légitime défense comme l'a démontré l'enquête de l'Inspection générale de la police dès 2009.
Avec ce procès, c'est sur la question des armes policières qu'on "tentera" de faire la lumière. Des armes (flashball, LBD40...) ayant, entre 2005 et 2016, fait un mort, mutilé ou gravement blessé 41 personnes, éborgné 25 autres (12 mineurs ont été blessés dont 8 éborgnés). Du côté policier, seules 4 condamnations ont été prononcées.
Pour plus d'infos sur ce sujet, on cliquera ici.


jeudi 17 novembre 2016

Sans modération

Robert Doisneau

Le pastaga joue les prolongations. C'est samedi, ce qui explique cela. Dans un bistrot de Montmartre où l'on est chez soi, chacun se hèle, s'enquiert d'un absent, s'incorpore dans une tournée, remet la sienne avant d'entraîner le compagnon d'élection à une table, cette loge privée permettant d'assister à l'aise au spectacle qui s'improvise au comptoir. Il flotte un air de goguette et, pour que celle-ci soit complète, le ténor du coin n'a besoin d'aucune sollicitation, et de son propre chef roucoule Les Bas noirs, déclenchant la raillerie des uns, la nostalgie des autres. 
Près du radiateur, deux retraités se laissent bercer par les rimes, couplet après couplet.
– C'est vrai que les mollets pris dans la soie noire bien tirée par les jarretelles, ça leur donnait du chien aux nanas. Tu te rappelles la douceur de leur peau, à la lisière ?
– Et les coutures, toutes droites, qui se perdaient sous la robe où l'envie te prenait d'aller faire un tour…
– Les jarretières non plus, c'était pas mal, serrées à mi-cuisses… Il y en avait avec des dentelles, des rubans, des fleurs brodées de toutes les couleurs, de vrais bouquets… Tiens, je me souviens au Grand Six, les filles au Quatorze Juillet, elles mettaient des jarretières tricolores… Comme si on avait eu besoin de ça pour prendre leur Bastille ?
– Plus de nos âges, ces fantaisies, mais ça fait du bien d'en parler, maintenant finies les jarretelles, c'est collants, collants à tout va, et, avec ces machins, les femmes, on dirait qu'elles ont des bas jusqu'aux nichons.


***

D'Antoine Blondin :
– Le cul, c'est la chose la mieux partagée au monde.
Du même Antoine :
– Si j'avais tout l'argent que j'ai dépensé au bistrot, qu'est-ce que je pourrais me payer comme cuites, aujourd'hui.


***

La branche de l'équerre, qui de la rue Saint-Martin s'enfonce rue du Vertbois, est balisée de filles postées en chandelles jusqu'à la taverne où Nounouche reçoit les messieurs. Avec mon compère d'escapade, on s'arrête époustouflés par la richesse des tissus appliqués sur le corps des figurantes, sculptant agressivement leurs courbes. Je sors mon paquet de gauloises. Dans le mouvement, je le présente à la tapineuse chef de rang qui refuse l'offrande et, médusée, comme si je venais de manquer du plus élémentaire savoir-vivre :
– Oh non ! jamais pendant le boulot, ça ne fait pas sérieux.

***

– Comment y s'appelle ton vin ?
– Y s'appelle pas, y s'siffle !

***
– Je t'ai aperçu hier, boulevard Saint-Germain, je n'ai pas pu traverser à cause des voitures. De loin, il m'a semblé que tu ne marchais pas tellement droit. Tu avais bu ?
– Comme d'habitude, onze pernod… Seulement, hier, le neuvième m'a fait mal.


Robert Giraud, Les Lumières du zinc, Le Dilettante

mercredi 16 novembre 2016

Rien de plus


Comme dans la vie

Tout peut arriver 
dans un poème

le quotidien, oui,
mais aussi le merveilleux,
et même
les deux choses
à la fois

– comme dans celui-ci
alors que tu te déshabilles…


Rien de plus

A l'origine
tu veux changer
le monde,
et finalement,
tu te contentes
d'arrêter de fumer 

Rien de plus.

Aussi drôle
et aussi tragique que cela.

Un âge

36 ans. Plus aussi jeune que cela
pas tout à fait encore vieux. Un âge étrange
– dit-on – sérieux ; un âge gris.
Je ne sais pas. Suffisant, en tout cas,
pour que parfois tu sentes
que les plus beaux jours se sont envolés.
Et, ce qui est bien pire,
qu'ils ne furent pas tellement bons.

Karmelo C. Iribarren, La Ciudad, Antología poética 1985-2014

traduction maison (close)


Logique de l'information


Depuis quelque temps, lorsque, au bureau, je me déconnecte de ma messagerie, je suis noyé par les infos du groupe de ce cher Patrick Drahi (Libération, L'Express, L'Expansion, BFM TV, 01 Net, et SFR News qui consacre une grande place aux sports), présentées avec grandes photos ou vidéos à l'appui.
Je peux ainsi, comme tout heureux abonné de tonton Patrick, faire ma revue de presse en un seul coup d'oeil, sans perdre mon temps à zapper d'un site à un autre.
Exemples d'infos essentielles ce matin, dans l'ordre de leur apparition sur la page (je vous épargne les doublons, nombreux) :

Hollande, Valls, Juppé, Sarkozy : ce que change la candidature Macron

Australie : deux Français meurent lors d'une plongée sur la barrière de corail

Le destin du téléphone de Brahim Abdeslam est digne d'une histoire belge

Procès Fiona : le mystère Cécile Bourgeon, "mère indigne", "mordue d'enfants"

A 89 ans, il creuse sa propre tombe avec son tractopelle

Comment s'habiller en hiver quand on a une forte poitrine?

Notre enfant nous surprend en train de faire l'amour : comment réagir ?

Le dab de Pogba utilisé dans un… contrôle de maths

Le Mémorial de Caen annule un colloque sur la Syrie, accusé d'être pro-Assad

Scandale de la Dépakine : le laboratoire Sanofi devra indemniser les victimes

Hollande et Valls confirment demander la prolongation de l'état d'urgence

Attentat raté de Villejuif : quatre nouveaux suspects en garde à vue

On passe ensuite aux Sports, dont je retiens uniquement ce scoop :
Le jour où Leboeuf a soigné une blessure grâce… à un marabout

La rubrique Monde se décompose ainsi :
Pourrait-on voir Tom Hanks ou Oprah Winfrey à la Maison Blanche en 2020 ?

Joe Biden : quand un homme politique devient extrêmement sympathique

Un ourson se coince la langue dans une boîte de conserve sur une île reculée

Les bûcherons abattent son arbre, une fillette éplorée reçoit un cadeau

Syrie : le régime reprend ses raids aériens sur Alep-est

Le coup de gueule d'Elton John, cinq mois après le Brexit: "C'est horrible"

Vient ensuite la section Politique, essentiellement constituée d'infos nationales autour des Primaires de droite et de Macron


La rubrique Insolite et cette info centrale :
Ce chirurgien indien veut faire revenir des patients d'entre les morts
ou cette autre :
Une copycat a suivi une star d'Instagram pour copier ses clichés
La section People s'intéresse à Jamel Debbouze, Alain Delon, Yann Barthès (qui fera ses débuts sur TF1), Kendall Jenner (qui a supprimé son compte Instagram), ou encore une série de stars américaines (des chanteuses pour ados) qui appellent à refuser d'élire Donald Trump.

Après tout cela, ce sont les infos classées en Divertissement (qu'avions-nous jusqu'ici ?) :
Pete Doherty et Paris, une histoire tumultueuse

"Les Animaux fantastiques", "Iris", "Planétarium": les films à voir cette semaine

Maître Gims explique pourquoi il n’ira plus aux NRJ Music Awards

Avant-dernière section, celle nommée High Tech, avec des essais de drones, Super Mario qui arrive le 15 décembre sur Ipad et IPhone et toute sorte de produits et applis indispensables à tout citoyen-consommateur qui se respecte.

La dernière rubrique est modestement appelée Economie. On y apprend que le site bob-emploi.fr veut "redonner le pouvoir" aux chômeurs et que le mal de dos coûte plus d'un milliard d'euros par an aux entreprises.

« Une poignée de milliardaires contrôlent à eux seuls la quasi-totalité des grands médias nationaux, de presse écrite ou audiovisuels », rappelle Laurent Mauduit dans son dernier ouvrage, des milliardaires qui n’ont pas « la presse ou l’information pour métier », et qui s’en emparent « non selon des logiques professionnelles mais d’influence ou de connivence »