mercredi 7 septembre 2016

Amères paraboles




Paris, 2 décembre 1937. A la suite de la parution de son ouvrage Des Larmes et des Saints, Cioran écrit à ses parents, choqués par le livre. 
J’ai bien reçu votre carte postale, avec le contenu que j’avais prévu. Car avant de publier ce livre je me rendais compte qu’il vous ferait de la peine, que vous ne pourriez pas consentir à ses idées, nées d’amertume et de douleurs physiques dont personne ne se doute. Trois années d’insomnie – à un âge comme le mien – ont laissé des toxines dans mon corps et dans mon âme, dont je ne peux me débarrasser que par d’amères paraboles, par ce mélange de cynisme et de religiosité. Au lieu d’être navrés, vous devriez comprendre. Mon chemin ne ressemble pas à celui des autres hommes... Tout ce que j’écris, je dois l’écrire. Je ne peux faire autrement. Toute concession serait un suicide intellectuel... si tout le monde devait s’ériger contre moi, je ne reculerais toujours pas. Mais je souffre de voir que même vous, qui savez combien j’ai souffert... vous vous associez à la protestation muette ou explicite des autres. Les ironies que je lance à l’adresse des saints et de Dieu ne sont pas des railleries ou de simples moqueries, mais le fruit d’une foi désespérée ou l’effort d’un homme qui voit les choses trop clairement pour adhérer naïvement à une croyance quelconque...


lettre inédite dont le manuscrit fut vendu à Drouot en 2011
et très aimablement portée à notre connaissance par l'ami L.W.-O.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire