lundi 29 août 2016

Farces et attrapes




- Le meilleur du film, c'était la bande-annonce…
- Ça t'a plu un peu quand même !
- Ah bon ?
- Tu as ri…
- Oui, il y a deux trois moments…
- Le public aussi riait.
- Ils étaient conditionnés avant même d'en voir les premières images.
- Par la réputation, les échos, la pub, les critiques ?…
- Oui. Dès cette première scène, j'ai senti que ça allait être pénible. 
- Un plan interminable sur la porte. On comprend vite pourquoi ça va durer 2h40 !
- Exact ! Et la scène qui se déroule après ce plan interminable est vraiment minable…
- Ce n'est pas très drôle…
- Ce que je viens de dire ?
- Non, la scène avec le livreur puis avec le gamin…

- J'ai très vite senti de la gêne
- 2h40 pour pas grand-chose… Le même film pouvait très bien tenir en 1h30, non ? C'est pas très allemand, ça ? Ces longueurs, le manque de finesse…
- Ne soyons pas, comme cette réalisatrice, dans la caricature. Et Lubitsch alors ?!
-  Ah oui !
- Truffaut disait que c'était un prince et c'est vrai : tout se déroulait en 1h20-1h25… La classe ! Il n'emmerdait pas les spectateurs !
- Et Wenders, t'en fais quoi ?
- Ah oui… Y'avait une blague sur Wenders : les acteurs terminaient la scène, les techniciens remballaient le matos, la caméra et tout, coupaient la lumière, tout le monde rentrait chez soi, et là, sur le plateau vide, Wenders lâchait enfin "Annnnnd… Cut!".
- Je pense que les 2h40, c'est pour faire cinéma d'auteur !
- Et aller dans les grands festivals
- Je ne comprends pas cet emballement à Cannes
- Ça en dit long sur le niveau de la sélection. Mais c'est l'ensemble de la production mondiale qui est très faible. 
- Avec une poignée de rares exceptions…
- Et puis l'emballement, ça repose souvent sur le nombre de ventes au cours du marché du film. Ce sont des acheteurs internationaux qui s'arrachent le film, parce que le précédent a eu des prix, qu'il y a un acteur dans le vent, ou je ne sais quelle mauvaise raison, ils font un gros chèque et en contrepartie, on a le droit au bourrage de crâne !
- Tout au long du film, on sent les intentions…
- Oui, à la différence des comédies italiennes des années 60 par exemple qui se basaient sur les personnages. Là, on part de la dénonciation de la tyrannie de l'économie, des vies qu'elle nous façonne, et les personnages sont là pour illustrer la démonstration.
- Le monde est pourri, alors ne perdons pas notre sens de l'humour. C'est un peu le message, non ? Cette séquence dans le taudis roumain…
- Lamentable… Le père qui lance : Merci et ne perdez pas votre humour !, c'est tout de même assez léger. Du coup, la réalisatrice se sent obligée d'y inclure son autocritique : dans la scène suivante, la fille reproche au père cette phrase et l'autre répond que c'est tout ce qu'il a trouvé à dire… 
- Voilà le genre de séquence dont on peut se passer.
- Oui, t'as écrit ça au scénario, c'est nul mais, OK, tu peux ne pas t'en rendre  compte. Arrive le tournage, tu la filmes, c'est toujours aussi mauvais, mais bon, c'est dans le scénario. Mais qu'au montage, tu ne te poses pas de question, et tu laisses ce dénouement condescendant alors que ton film fait 2h40 !
- Ça manque de folie quand même…
- Quand on veut s'attaquer à l'absurdité, à l'inhumanité du monde actuel, tu as intérêt à être à la hauteur, et un peu plus corrosif.
- Là, on en reste au coussin-péteur, ça ne va pas beaucoup plus loin.
- C'est dans la lignée de la comédie d'aujourd'hui, u
n cinéma farces et attrapes.
- Mais pourquoi ça marche ?! J'ai vu sur l'affiche, le slogan Un film qui fait du bien !
- Désormais, on a au cinéma les feel good movies comme on a les page turner pour les bouquins… Des produits culturels inoffensifs, qui ne dérangent personne.
- Moi, ça m'a déprimée…
- Je pense qu'on ne retient que le sujet : génial, un film sur la fin de l'Occident miné par l'économie, mais sur le ton de la farce !
- Et fait par une Allemande !
- Oui, par les maîtres de ce monde !
C'est assez démago, finalement.
- J'étais si contente que tu sois rétabli, qu'on puisse retourner au cinéma…
- J'ai presque regretté de ne plus être en convalescence ou d'avoir fait une sieste l'après-midi !
- Truffaut, encore lui, disait qu'on ne dormait bien que devant les grands films.
- Truffaut n'a pas dit que des choses intelligentes. On dort aussi bien devant Le Miroir de Tarkovski que devant un Raúl Ruiz !
- Si on allait se coucher, justement…
- Tu as sommeil ?
- Non, j'ai besoin que tu me consoles…


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