lundi 25 juillet 2016

Paris au loin nous semble une prison




Revu, sur DVD, version restaurée, 4K et je ne sais quoi, La Belle Equipe de Julien Duvivier. J'ai le souvenir d'une première vision au ciné-club d'Antenne 2, certainement au tout début des années 1980. Je découvrais alors le cinéma, et impatient, me tapais la fin des intervious complaisantes d'écrivains barbants et souvent barbus menées par l'inénarrable Pivot. Dès que j'apercevais le rondouillard et maladif Claude-Jean Philippe s'installer, j'ordonnais le silence dans la cambuse. Le magnétoscope n'existait pas, ou alors, présentait un coût pour nous inabordable, et j'ai enquillé frénétiquement, entre songe et effarement, quelques classiques et autres films improbables. Internet non plus n'existait pas et mon apprentissage du cinoche, mon petit savoir, passa essentiellement par la téloche, un bouquin encyclopédique chez Larousse offert par une petite amie et les premières revues que je parvenais à chiper à la Fnac. Je savais que le Duvivier était un sommet d'un courant étrangement nommé réalisme-poétique. Controversé certes, mais en grande partie par son réalisateur, blacklisté suite à un fameux texte du Truffaut critique, vilipendant le cinéma de papa et soutenant, de cette époque, Renoir plutôt que Carné ou Duvivier. J'aimais donc Renoir, sans adhérer vraiment à ses films. Si Le Crime de Monsieur Lange me réjouissait, Le Fleuve ou La Règle du jeu, m'avaient condamné au sommeil inconfortable sur une chaise de salle-à-manger bas de gamme. Et je restais fasciné en silence par Pepé Le Moko, La Bandera malgré une idéologie pour le moins ambiguë, Panique, et cette Belle Equipe aux personnages ressemblant aux amis de mon père, et qu'il me semble n'avoir jamais revue avant hier. Oui, j'étais davantage interessé par les personnages et ces acteurs sans équivalent dans la deuxième moitié du XXe siècle : Dalio, Fabre, Le Vigan, Aimos, et bien sûr Gabin... 
J'avais ces dernières années enquêté sur les raisons de la rareté de La Belle Equipe. Des problèmes de droits, avais-je compris. La polémique sur la fin du film. Duvivier et son scénariste, le Belge Charles Spaak, avaient écrit une fin assez sombre. Mais devant le rejet du public lors des premières projections, avaient cédé à la demande des producteurs et envisagé une fin plus optimiste, sans trop y croire… Finalement, le public décide selon les croyances accordées au marché et le film fut exploité ainsi. En partie seulement. Car dans ces années 1930, c'est l'informatique qui n'existait pas et des copies avec la version originelle avaient déjà été envoyées aux quatre coins du pays, puis de là à l'étranger. On imagine le bordel : il arrivait que des villes voisines proposent ainsi deux films différents sous le même titre. Mais, lors des diffusions à la TV française, on s'arrangeait généralement pour présenter les deux fins du film. René Chateau, un sacré personnage qui fut producteur de Belmondo dans les années 70, avait acheté les droits vidéo mais édité, en VHS, le film avec la seule fin optimiste au grand dam des héritiers, qui bloquèrent l'édition DVD. C'est Pathé qui ressort aujourd'hui cette œuvre dans une belle copie, et dans sa version d'origine – de là à penser que les auteurs sont respectés par les grands groupes qu'une fois leur dépouille entièrement décomposée (Duvivier est mort en 1967 et Spaak en 1975)… Dans un petit docu qui accompagne le film, on peut voir, non restaurée, la fin optimiste. Et à vrai dire, je ne sais quel dénouement est le plus gênant. 
Le film, comme on le sait, conte les aventures, et mésaventures, d'un groupe d'amis, des prolos (et chômeurs) qui gagnent au loto. Jean Gabin, dont les qualificatifs me manquent tant il illumine la production bien noire de Duvivier, et son pote Charles Vanel se déchireront pour une garce, campée magnifiquement par Viviane Romance, tandis que les trois autres larrons, à peine le projet de guinguette au bord de l'eau concrétisé, se volatiseront qui en se tuant accidentellement, qui en étant expulsé du pays, et le premier en se barrant au Canada pour échapper au désir naissant pour la compagne du copain. Les auteurs n'ont pas hésité à charger la barque comme on le voit, au risque d'un naufrage à quelques encolures de la guinguette. Plus le récit allait vers sa conclusion, plus nous émettions de signes d'incrédulité et d'embarras. Mais le film est plaisant à regarder, bien ficelé et dialogué, et justement interprété. Si Spaak et Duvivier se sont, paraît-il, toujours défendus d'avoir livré une vision pessimiste du vent d'espoirs suscité par le Front populaire, la sortie du film en septembre 1936 ouvre pleinement le champ à ce genre d'interprétation. 
La fin sombre et tragique obéit au ton général du récit. Elle semble tout de même forcée, difficilement acceptable, succédant à des scènes de réconciliation, les wagons remis sur les bons rails et le succès de l'entreprise au rendez-vous. Le geste de Jeannot (Gabin), ce coup de folie, ne correspond pas à sa volonté de réconciliation avec Charlot (Vanel), tout au moins n'est-il pas assez bien préparé par le scénario. Tout comme le revirement de Charlot paraît trop simpliste, brusque, face aux manigances déjà éculées de Gina (Romance). Si les auteurs étaient des débutants, on parlerait d'un dénouement bâclé dû à leur inexpérience. Dans ce cas, les questions sont autres, qui plus est dans le contexte politique et social de la réalisation du film. Quant à la fin optimiste – une seule scène, puis le collage des scènes précédentes après celle modifiée –, elle est également peu convaincante, tant les auteurs, mais aussi les comédiens, semblent ne pas croire à ce qu'ils font. 



Je me demandais si l'amertume dans la bouche que je traînais après cette nouvelle vision d'un film excitant jusqu'à sa fin n'était pas due aux circonstances de notre petite séance. J'en étais là dans ma volonté de sauver le film lorsque ma blonde me demanda de l'accompagner, si ça ne me dérangeait pas, dans une ville lointaine dont le nom me semblait familier pour un rendez-vous Bon coin. C'est ainsi, qu'en fin d'après-midi, lorsque le ciel se teinta de gris, nous traversâmes en scooter, avec un itinéraire griffonné sur un bout de papier, et la chanson de Gabin en tête, une bonne partie de la banlieue est, en direction de la Marne, en hommage discret à Gabin, Duvivier et au Front Pop'. Fontenay, Nogent, Le Perreux, Bry, avant d'atteindre Villiers-sur-Marne, nous apparurent comme des villes fantômes, traversées par des bagnoles en tous sens, sans trémolos des petits oiseaux, et nous avions l'impression d'y pouvoir davantage tourner en rond à l'infini qu'avec une caméra immortalisant d'illusoires images de bonheur plus ou moins éphémère. 



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