lundi 18 juillet 2016

Ceci est mon testament



- Tu n'as pas été piquée ?
- Je ne sais pas, je dormais.
- Ça n'est pas incompatible.
- Et toi, pourquoi tu ne dors pas ?
- A cause du moustique. Et cette chaleur…
- Pourquoi tu gardes la couette ? Quelle drôle d'idée…
- Pour ne pas être piqué.
- Et ça marche ?
- J'ai une piqûre à l'épaule. Mais si je me découvre, il va me piquer partout ailleurs.
- Tu veux qu'on allume et qu'on essaie de le zigouiller ?
- J'ai ouvert les velux, ses potes risquent de rappliquer. Et puis, je l'entends plus. Tu te souviens hier, on a allumé et on n'a rien trouvé. Ce n'est que ce matin que je l'ai vu dans les toilettes. C'est peut-être le même d'ailleurs…
- …Sûrement. Il a trouvé un bon coin pour becter, il va pas se barrer comme ça.
- Moustique, moustique, ah, tu es un bandit !
- Ah !!!
- Quoi ?
- Je viens de l'entendre !
- J'ai cru que tu te faisais trucider.
- J'allume.
- Ferme les velux !
- Je n'arrive pas à ouvrir les yeux.
- Moi non plus.
- Pourtant tu es réveillé depuis un moment…
- Oui, mais dans le noir, les yeux fermés…
- Cette chambre est trop grande, impossible de le retrouver.
- Je sais, je connais ça avec le sommeil. Une fois que je le perds, impossible de remettre la main dessus. Tiens, prends ça !
- Quoi ?! Tu l'as eu ?!
- Il ne nous réveillera plus, celui-là, crois-moi.
- Il y a du sang partout ! Tu l'as écrasé avec la main ?
- Il était là, devant moi, le temps que je trouve un truc pour le frapper, il se serait barré.
- Bon, on l'a eu, on nettoiera demain mais là, on essaie de se rendormir.
- Tu crois que c'était un loup solitaire ?
- Ne parlons plus, dormons.
- Comme si c'était aussi simple. Je vais me lever.
- C'est encore la nuit !
- Depuis tout à l'heure, j'ai des phrases qui se forment dans ma tête, que je veux écrire. 
- Essaie de les retenir.
- Si je les retiens, elles ne sortiront jamais. Le problème, c'est que je vais descendre, allumer l'ordinateur, et écrire tout autre chose…
- Moi, c'est mon testament que je veux écrire.
- Pourquoi tu penses à ça ?
- Parce que je repense à la notaire qui ne m'a toujours pas envoyé de modèle.
- Qu'est-ce que vient faire la notaire ici, dans notre lit ?
- Tu sais bien, je veux que ma fille ait un tuteur, que son père ne récupère rien !
- Demain matin, tu la rappelles, ne pense plus à ça.
- Tu ne comprends pas : désormais, je peux mourir tout à coup ! Je peux mourir demain. Il suffit que je tombe sur un dingue comme ces pauvres gens à Nice. La maladie, tu peux voir venir, prendre le temps de faire ton testament, mais aujourd'hui, zou !, tu pars sans t'en apercevoir, sans avoir rien préparé. C'est horrible !
- Tu te rends jamais aux événements qui drainent la foule.
- Je prends le métro ! Ça peut arriver n'importe où ! Dans un magasin, dans la rue… Personne n'est à l'abri, dans aucune circonstance.
- Ils ont gagné. La peur nous gouverne.
- Tu n'as pas peur, toi ?
- Pas plus que de me planter en scooter ou que ma chirurgienne me dise que finalement c'est plus grave que prévu. 
- Tu as vu les images de Nice ?
- Quelques unes. Mais tu trouves bien pire en Turquie, en Irak ou en Syrie. Et c'est leur quotidien.
- Il n'y a pas dans ces pays un attentat de plus de 80 morts tous les jours.
- Je crois avoir lu, mais j'ai du mal avec les chiffres comme tu le sais, qu'il y avait eu 15 attentats en Turquie depuis le début de l'année. 
- Pas aussi sanglants.
- 15 attentats qui font une dizaine de morts à chaque fois, c'est mieux qu'un seul qui en fait 80 ? 
- Non. 
- Simplement, ce quotidien, à des milliers de kilomètres de chez nous, ne nous touche pas plus que ça. Mais quand il est en passe de devenir le nôtre, nous voilà bouleversés. On ferait donc la guerre dans tous ces pays en pensant qu'il n'y a aucun prix à payer ?
- Cet après-midi à la radio, j'ai entendu dire la France envoie l'équivalent d'une bombe par jour sur Daech. Et c'est pour ça qu'ils s'énervent ?
- On est dans un cynisme sans nom. Cet imbécile de BHL qui conseillait à Sarkozy le bombardement de la Lybie, en profitait pour en faire un énième bouquin, La Guerre sans l'aimer ou je ne sais quoi, ce type qui se pavane sur tous les plateaux d'émissions complaisantes dès qu'il pond le moindre essai – raté comme toujours –, ce petit caporal du Flore qui, lorsqu'il réalise un film bidon, parce que monsieur est également cinéaste, se retrouve au Festival de Cannes, qui est également un grand dramaturge de mes deux, incapable de tenir l'affiche malgré ses réseaux et le matraquage permanent, bref, qu'a-t-il à nous dire sur la Lybie aujourd'hui, un pays qui n'existe plus, ou sur l'Irak entièrement détruit ?
- Tu comprends quelque chose à Daech, toi ? Moi, pas.
- Parce que nous sommes terriblement infantilisés. On privilégie les faits, les massacres, les morts, les commémorations, l'esprit 11 janvier, l'état d'urgence, Vichypirate, les micro-trottoirs, le portrait des victimes, le profil des tueurs, l'union nationale, le vivre-ensemble, les discours solennels, jamais ou rarement une analyse, parce que ça prend du temps, c'est ennuyeux, beaucoup moins spectaculaire. Mais l'émotion comme moteur de l'information, ça t'écrase, ça ne sollicite pas l'intelligence, la curiosité, l'ouverture qui te permet de faire un effort pour comprendre, analyser… On a juste peur. Et ainsi sommes-nous facilement manipulables. Au lendemain du 13 novembre – tu t'en souviens ? –, notre crétin de président avait fait un très beau lapsus.
- Lequel ? Je ne m'en souviens pas.
- Il avait parlé des attentats qui ont « ensangloté » la France !
- Ça m'avait échappé. Faut dire que je n'écoute pas vraiment ce que raconte ce monsieur. Mais rassure-toi, je n'écoute pas plus ton BHL !
- Moi, j'ai cru entendre un complice de notre petit salaud ! Et tu sais quoi ? J'ai une piqûre dans la paume de la main, celle-là même qui a procédé à la frappe chirurgicale !
- Tu croyais t'en sortir sans représailles, mon chéri ?




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