vendredi 24 juin 2016

Nuit de chance

Frank Horvat via adreciclarte


Il devait être déjà bien tard. Comme pour tout.
Nous avions bu plus que jamais. C'est Antoine qui régalait. Il venait de gagner à la loterie et dépensait sans compter. Moi aussi, à plus de quarante ans, j'avais touché le gros lot. Je m'étais emmouraché d'une nana de 25 ans, désireux de connaître toutes les promesses de sa poitrine généreuse et cruelle. Je la changeais des garçons de son âge. Dans sa chambre en sous-sol de l'appartement familial, elle arrivait rapidement à l'extase avec moi, trop habituée aux jeunes crétins élevés au porno, tous égoïstes éjaculateurs précoces, la pauvre. Je n'en étais plus à l'ère des grandes découvertes et lui offrais
d'un coup plusieurs orgasmes. J'étais son Dieu. Et bien épuisé lorsque je retrouvais la lumière. Ça ne pouvait pas durer bien longtemps.
Ce soir-là, j'étais censé la rejoindre la nuit tombée
dans sa banlieue lointaine, après son feu vert sous forme sms salace. Ou bien étais-je attendu sans convocation préalable ? Je ne savais plus, le ballon de rouge n'était jamais vide et ça chantait, ça tanguait autour de nous sans fin.
Je tournais le dos au zinc, le verre à la main, autant pour admirer une copine d'Antoine, inconnue jusqu'ici, qui s'était mise à dérouler une danse langoureuse l'œil en coulisse, que pour m'appuyer dessus et tenter de rester debout. Je ne sais plus à quel moment elle s'est jetée sur moi. J'en étais à maudire le pinard sur ma chemise quand elle me roula un patin de compétition que je n'aurais jamais osé filer à quiconque. C'était entendu, nous avions tous trinqué plus que de raison, me dit-elle, mais je lui plaisais et elle voulait mieux me connaître, passer la nuit avec moi, qu'est-ce que j'en disais ?, allez quoi… Je ne disais rien, les seins de la petite me rendaient aveugle et muet. Pauline avait ouvert le coffre à histoires. C'était une de ses femmes comme on en rencontre partout à partir d'un certain âge. Séparée, un gosse une semaine sur deux, survivant dans un HLM du nord de la ville, elle meublait ses semaines sans môme en compagnie de la faune des comptoirs, couchait avec les hommes qu'elle pouvait y encore trouver et ce soir, c'était ma chance.
Elle me resservit un verre et une galoche un peu plus répugnante que la précédente. On pouvait distinguer dans son haleine sauvage tabac, alcool, sexe et une hygiène dentaire plus généralement approximative. Certes, je n'étais pas en état de faire le difficile, encore moins de rejoindre en Vespa ma jeune chérie et ses seins divins, ou même de rentrer chez moi, mais je goûtais peu les joies des nuits calamiteuses chez ce genre d'inconnues. Ne me manquait pas l'envie d'une nouvelle aventure. J'en avais accumulé pas mal ces derniers temps. Mais je savais ce que c'était. Je n'allais arriver à rien ou pas grand-chose avec cette fille. Pas plus qu'avec une autre ce soir-là. Mais Pauline était maintenant engluée à mon bras. Je baladais ma main libre sur ses fesses, la remontant sur son dos sous sa robe à paillettes, adoptant la politique du pire, espérant un sursaut de pudeur de maman respectable. Mais Pauline en avait vu d'autres. Et les autres ne voyaient rien ou s'en tapaient sévère.
J'aurais du immédiatement opter pour la muflerie, renvoyer Pauline à son abjecte existence, lui parler de mes conquêtes indécentes, lui dire que j'étais pédé, impuissant, marié, cancéreux, séropo, un truc qui la calmât. Mais je n'avais jamais eu beaucoup d'esprit et encore moins dans cet état. Au fond, j'étais gentil. Antoine parti, seul ou avec quelqu'un je n'avais rien vu, Ahmed fermant boutique, je me sentais coincé et accompagnai Pauline à sa voiture, lui proposant mon 06 pour un de ces soirs. Elle ne voulait rien savoir et m'ordonnait de grimper dans sa caisse après avoir vérifié mes attributs. A peine assis à la place du mort, je me souvenais de mon scooter, je pouvais pas le laisser dans la rue, je la suivrais jusqu'à chez elle, promis, mais pas question d'abandonner le scooter dans la rue. Je n'étais pas en état de conduire, elle avait peur pour moi, me dit-elle tout en zippant ma braguette. J'avais à peine esquissé un geste pour la repousser que déjà sa bouche absorbait ce qu'elle était venue chercher. La honte me traversa je crois de n'avoir qu'un bout fatigué et rabougri à lui présenter. Je n'ai pas pensé au viol. Elle savait y faire malheureusement. Je croyais ma verge insensible à l'expertise de Pauline sous les effets du morgon. Il n'en était rien et ça la rendait exagérément heureuse. Elle me félicitait même de ce garde-à-vous nocturne. J'étais fait comme un rat. Je pensais soudain à ma jeunette dans sa banlieue inquiète et dégainai mon mobile. Plusieurs appels inaperçus, sms en bataille et injures immatures au menu. Je lâchais tout et Pauline se dégageait enfin me laissant me démerder avec mon
foutu bazar. Déjà, elle s'endormait sur son siège et minable je lui faussais compagnie sans merci.
Les bars avaient tous rangé leurs terrasses et on tirait les derniers rideaux de fer soviétiques. J'essayais tout de même de joindre la petite ingrate. Elle m'accueillit comme il se doit à cette heure inconvenante. Elle taxait le débit de mes mots de discours d'alcoolo. Comme elle avait raison et que de bonheur dans des bras plus solides je lui souhaitais. Elle feignait de ne rien comprendre, se mit à pleurer, me demandant d'arriver. Je promis quelques lendemains qui chantent et dansent mais rien ne parvint à l'apaiser. Je m'aperçus que tout au long de cette pitoyable parlote, j'avais erré dans le quartier, m'éloignant du lieu où était béquillée ma Vespa. Mon oreille chauffait lorsque je retrouvais ma bécane, dépouillée de plusieurs pièces. Je retournais ma colère contre ma pleureuse et raccrochais en aboyant à tous les fils de putes sublunaires et d'ailleurs. Le pot d'échappement, la tête de fourche, le repose-pied, et certainement d'autres pièces avaient été dérobées. Jamais je n'allais parvenir jusqu'à chez moi avec cette demi-Vespa. Je revins sur mes pas tandis que j'entendais le téléphone vibrer contre ma poitrine vidée. La voiture de Pauline avait également disparu. Ou je n'avais pas su la retrouver. Le dernier métro était de l'histoire ancienne. Ne restaient plus que les taxis ou les bus de nuit. N'ayant pas dépensé beaucoup en pinard, sentant sur mon crâne dégarni les premières gouttes d'un orage d'été, j'optais pour le premier tacot qui passait à ma hauteur. Le type puait la clope, la bêtise et la mauvaise foi. Branché sur les ondes héritières de Radio-Paris, il ne tarda pas à me balancer sa pensée rance sur la France. Je retins une envie pressante de gerber et lui demandai d'arrêter sa bagnole, oui, là, ça ira très bien, connard. Je me soulageai à peine le pied posé sur le trottoir. J'étais au milieu de nulle part, sous la pluie, dans un quartier impossible à identifier. C'était mon jour de chance. Sûr que Pauline habitait par là…


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire