vendredi 29 avril 2016

Jeu de hasard


La littérature pratiquée comme une profession fait paraître le pari aux courses de chevaux comme une occupation solide et stable.
John Steinbeck

mardi 26 avril 2016

Point de vue images du monde

Je revoyais hier les images de l'expulsion gênante, pas finaude – mais compréhensible – d'Alain Finkielkraut de l'agora de la République, les sorties du gourou Lordon survolté à la Bourse du travail, le saccage policier d'un local syndical à Lille, et quelques autres tristes réjouissances de nos temps agités et souvent confus. Privé volontairement de télévision depuis bientôt dix ans, réfractaire aux réseaux sociaux, surfeur virtuel limité, allergique à la moraline, adepte du pipi dans le violon, me croyant épargné par le racolage spectaculaire politico-médiatique, je suis désormais rapidement écoeuré, au sens premier, par certaines visions de l'absurdité et de la violence de nos existences. Un collectif nommé DOC du réel, signalé par un ami, semble effectuer, avec une belle maîtrise de l'art du montage - par définition, subjectif - un travail salutaire pour remettre les choses en perspective et laver, un tant soit peu, nos esprits de la propagande de tous bords.



lundi 25 avril 2016

CQFD

En 1997, à la veille des résultats des législatives, Pierre Carles, futur réalisateur de Pas vu, Pas pris et de bien d'autres docus dénonçant la connivence entre journalistes et hommes politiques, suit pour l'émission Strip-tease Philippe Reinhard, ancien énarque devenu journaliste, notamment au Quotidien de Paris, et pote de certains politiciens comme Laurent Fabius (PS), Brice Hortefeux ou encore Jacques Toubon (RPR, à l'époque)… 
Le temps de l'exercice est limité par le format de l'émission belge mais on y trouvait, disons, matière à réflexion… 
Vingt ans plus tard, un "élève" de Carles, François Ruffin, créateur de Fakir, auteur entre autres des Petits Soldats du journalisme, est à l'origine, avec son film Merci Patron ! du lancement de Nuit Debout. CQFD.


vendredi 22 avril 2016

La mort viendra et elle aura tes fesses


Elle prétend que j'ai fait de sa vie un désert. Un désastre peut-être, je ne sais plus. Je ne veux pas la relire. Elle y tient : nous devons nous voir, prendre un café, parler. Je n'ai rien à lui dire. Il y a trente ans. Je me souviens à peine d'elle. Ses yeux, ses fesses, rien d'autre. Quel besoin a-t-elle de remuer notre jeunesse ? Elle déclare que je ne peux la laisser comme ça. Je ne sais pas ce qu'elle a en tête. Toi, tu as réussi ta vie, écrit-elle. Ce qui n'est pas son cas. Je dois l'aider. A la mémoire de l'amour, de nos idéaux. Que s'imagine-t-elle ? Que sait-elle de ma vie, de mes échecs, des rêves évaporés ? Nous n'avons jamais vraiment vécu ensemble. Nous étions des enfants. Nous fréquentions une bande d'anarchistes, improvisés éditeurs. Nous donnions un coup de main pour la relecture des textes, c'est là, dans un sous-sol humide, que nous nous sommes rencontrés. Un temps, nous avons été logés dans un squat mais j'ai très vite étouffé. L'amour libre, les soirées fumette et cannettes, le partage des tâches, les débats interminables, la castagne avec les fafs, les courses-poursuites avec la flicaille, les faux papiers, les petits chefs, les doigts dans la colle, l'eau froide…, le sens de la lutte m'échappait. Elle aussi. Aujourd'hui, elle supplie. Envie ma vie bourgeoise. Demande des comptes. Je ne vois plus personne de cette époque. Je préfère y penser avec nostalgie. Comment m'a-t-elle retrouvé ? Elle n'indique ni adresse ni téléphone. Elle dit qu'elle est prête à tout pour me revoir. Juste une demi-heure, une heure. Pas plus. Elle a des choses à me raconter, à me demander. Ce soir. Dans ce café où nous nous sommes embrassés pour la première fois. Je ne sais pas de quoi elle parle. Je n'ai jamais embrassé de fille dans un café.

jeudi 21 avril 2016

Au boulot, les feignasses !

Cette année, l'économie française devrait aller mieux. Grâce au printemps. Car en 2016, il y aura moins de jours fériés, moins de viaducs, donc plus d'employés au turbin, et davantage de productivité. C'est le Medef qui se frotte les mains, et ses laquais les plus fidèles composant la classe politico-médiatique.



Ça, c'était donc l'an dernier sur Nada-info.
La toute nouvelle livraison de Balbastre et ses potes, Les temps modernes, est un entretien, images à l'appui, avec l'économiste-philosophe Frédéric Lordon, un petit régal en deux parties.







mercredi 20 avril 2016

Foule sentimentale

Andreas Gursky

(…) Cette incohérence et cette confusion sont liées à un autre trait de l'individualisme : la primauté accordée à l'émotion et aux sentiments, considérés comme la marque d'une « authenticité » première et singulière qui s'érige en critère de vérité face à un monde des idées trompeur et impersonnel. Dans le débat public, l'expression émotionnelle a valeur d'autorité contre le travail intellectuel et les convictions sensées. Soupçonnées d'être une pure rationalisation et le masque d'une infrastructure sentimentale qui les détermine, ils sont déconsidérés au profit d'un « ressenti individuel » qui balaie tous les arguments. Les contradictions et les conflits, la confrontation des idées et des convictions sont réduits à des « histoires de personnes », à des « affinités » ou à des « animosités » où s'entremêlent désir de pouvoir, bons et mauvais sentiments. L'hégémonie sentimentale rabat tout sur le même plan et fait sauter les barrières entre vie privée et vie publique ; les affects débordent la sphère du privé, voire de l'intime, pour s'exhiber dans les médias, sur Internet et les réseaux sociaux.
Cette expression débridée du vécu et du ressenti rompt avec une éducation ancienne pour qui la méfiance vis-à-vis de la part sauvage que l'homme porte en lui, la pudeur et la retenue, l'usage de la raison étaient considérés comme les principes régulateurs d'une morale indispensable au bien-vivre en société. A l'inverse, l'étalement public de la subjectivité fait peu de cas de la médiation du langage, de sa maîtrise et de l'usage de la raison. Elle s'affirme au plus près des affects et des pulsions en cherchant à attirer l'attention. Poussée jusqu'au bout, cette expression débridée aboutit à des comportements hystériques avec alternance de cris, d'agitation et de larmes dans les « moments forts » marqués par les succès ou les échecs personnels, les fêtes ou les drames. Les grands médias les mettent en scène et font de l'expression et du partage des émotions un modèle social de comportement. Emotions et sentiments deviennent ainsi des signes de reconnaissance et d'équivalence des individus qui les intègrent dans une même « foule sentimentale » et médiatique où ils sont amenés à communier dans l'émotion festive ou funèbre  (…)
Malgré les apparences, cet individualisme émotionnel et sentimental n'est pas si tolérant : il ne l'est que pour autant que l'autre lui ressemble ou le laisse vivre comme il l'entend. Persuadé que son comportement et son mode de relation aux autres incarnent le bien-vivre en société, il ne comprend pas et s'étonne que d'autres puissent penser et vivre autrement. Aussi a-t-il tendance à rejeter comme naturellement réactionnaire, arriéré et « ringard » tout ce qui vient contredire ses valeurs et son mode de vie particuliers (…) Le nouvel individualisme est en fait un « faux gentil » qui ne supporte ni la contradiction ni le conflit, non plus que le tragique inhérent à la condition humaine et à l'histoire. Il s'est construit un monde à part où il vit, se protège de l'épreuve du réel et se conforte avec ses alter ego (…)
En fin de compte, cet individualisme considère tout bonnement le monde et la société comme le prolongement de lui-même, de ses sentiments et de ses relations affectives. Les rapports sociaux et politiques ne sont plus insérés et structurés dans une dimension tout à la fois collective, historique et institutionnelle, mais réduits à des relations interindividuelles mues par de bons ou de mauvais sentiments (l'amour contre la haine), qu'il confond avec la morale ; il croit qu'il est possible d'éradiquer le Mal au profit du Bien qu'il incarne et d'une fraternité universelle d'individus semblables à lui-même.

Jean-Pierre Le Goff, Malaise dans la démocratie, Stock 2016

 

samedi 16 avril 2016

Départ dans la nuit

via Pop9


Je fredonnerai ce que tu veux devant la piscine
chanterai ce que je peux playback
façon Gainsbourg
ahanant
façon Van ou son pote Zimmerman
surtout
cuvant et vous genre Catherine 

vous me suivrez en rimes à Thessalonique
je vous tripoterai en direct pour la frime
et tu me repousseras

discrètement résolument tragiquement
je serai sous ton balcon sans grand-monde une Gitane de mon père au bec mouillée
un dernier
verre une dernière danse si j'ai de la chance
au nom du passé décomposé
allongé empalmé noyé reprise dévoilée
à la face du monde 
vous n'y pourrez rien je ne penserai qu'à vous
c'est déjà beaucoup trop
juste pour être à toi

avant l'aube viendrai sans te réveiller
vous gueuler sous 
les draps nous mettons les voiles
mes petits mots
et moi


mardi 12 avril 2016

Phrases du jour (debout)

« La révolution de la transparence est partie, elle ne s’arrêtera pas »
Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et monétaires,
entretien accordé au quotidien vespéral des marchés


***


« L'argent est à tout âge l'instrument de la liberté »

Pascal Bruckner, ex-Nouveau philosophe,
entretien accordé au quotidien déténu par un député mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale


***


« Ça ne me choquerait pas que demain, après 2017, il y ait des personnalités d'horizons différents qui travaillent ensemble »

Jean-Marie Le Guen, membre du PS,
secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement, entretien dans le même torchon

 

***

 

« Ne soyons pas trop sages ! »
Nuit debout

La nuit je mens


Rêve brisé


J'ai toujours eu envie de manger une truite de ruisseau
au petit-déjeuner.
Soudain, je découvre un nouveau chemin
jusqu'à la cascade.
Je presse le pas.
Réveille-toi,
dit ma femme,
tu rêves.
Mais quand j'essaie de me lever,
la maison bascule.
Je rêve, moi ?
Il est midi, fait-elle.
Mes chaussures neuves attendent près de la porte,
lustrées.

Raymond Carver, En recherche d'emploi, in Poésie,
trad. Jacqueline Huet, Jean-Pierre Carasso et Emmanuel Moses,
éd. L'olivier, 2015

samedi 9 avril 2016

A la bourre



J'arrivais trop tard
comme toujours
à peine éveillé
dénudé d'intérêt livré à
la blouse blanche
sans défense
comme à la naissance
je n'ai pas osé hésiter
pour qui j'me prends
sont allés voir dedans
rien à faire circulez
trop tard
comme toujours
Je secouais encore le ventre
gardez ça pour vous
trop gros trop mal
rien à voir avec
ce qu'on sait faire ici
trop tard
il a refermé
le sang qui pisse
gardez-vous présenter
les larmes ne sert
à rien trop tard
circulez circulez
pour qui il s'prend
chhhhhtong gné frout
J'ai lâché quelques
onomatopées de travers
restez positif on vous dit
j'étais déjà reparti
à la bourre
comme jamais
pas encore réveillé

mardi 5 avril 2016

Rencontre au sommet (en VO)

Pour hispanophones seulement, cet entretien avec Ignacio Ramonet, mené par Pablo Iglesias dans son émission Otra vuelta de tuerka (Un nouveau tour de vis). Face au leader de Podemos, l'ancien directeur du Monde diplomatique revient sur sa biographie, ses engagements naturels, les crises économique et politique de nos sociétés, avant de trinquer pour la victoire de la gauche en Espagne. Notons au passage qu'il se garde bien d'évoquer ses années de chanteur, mais n'oublie pas de faire la promo de son dernier bouquin sur la surveillance de masse. Sacré Ignacio !


The Revolution will not be on Internet

dimanche 3 avril 2016

Irrémédiable sentimentalisme

Il a fallu peu. Pas grand-chose. Un état d'angoisse vite habité, sans visa ni carte de séjour. A l'ancienne. Pas fier pour autant d'y être entré. Une série faite de malentendu, coïncidence, confusion, doute, remémorance rance, rebondissement, prévision, trou noir, à suivre, saison 50. 
J'écoute ce disque emprunté à la médiathèque, comme à 18 ans. Seul cette fois. En cachette presque. Peur d'être déçu, espoir de ne pas reconnaître, encore une fois, ce garçon romantique, naïf et niais que je fus. La mélodie légère et étrangement mélancolique m'accompagne depuis. Et depuis, je ne cesse de m'interroger. Quel désespoir inconscient trainais-je alors pour adhérer sans retenue ni honte à ces voix mielleuse et guitare de colonie de vacances consolatrices ? Est-ce cette nouvelle confusion sentimentale qui me persuade que cette Chanson de Vivaldi sonne aussi juste qu'une toccata de Bach ou une impro de Coltrane ?


La vérité si j'écris


D'un doigt dégoûté, je fais défiler le site du canard libertaire-libéral, jadis fondé par Sartre et détenu aujourd'hui par le groupe Altice et son charmant dirigeant Patrick Drahi, et que vois-je soudain dans cette forêt d'inepties ? Oui, cette chère Annie Ernaux, herself, en tournée des popotes pour la sortie de son dernier bouquin. Je lis donc un entretien aux questions plus stupides les unes que les autres et sauvegarde de la dernière réponse de cette vénérée dame de 75 ans – n'en déplaise à certains –, ces quelques phrases que je vais passer la nuit à méditer…

Quand on écrit, on tombe tout de suite dans un marché. Je suis frappée par le désir de certains jeunes auteurs, très pressés d’être reconnus, d’exister. Tous ces textes mis sur Internet, un phénomène qui se répand, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne méthode. Vous trouvez toujours des gens qui vous disent que c’est bien, alors vous êtes content. On ne va pas jusqu’au bout de sa propre vérité, qui peut d’ailleurs être dans l’imaginaire.

Si je ne réapparais pas d'ici une semaine, c'est que je suis parti chercher ma vérité, dans l'imaginaire ou ailleurs… Merci Annie !