mercredi 10 février 2016

No pasarán, disaient-ils...



Par une amie madrilène, effondrée, révoltée et bourrée, j'apprenais hier que la capitale espagnole était en pleine ébullition politique. Au menu des échauffourées partisanes, un spectacle de marionnettes et un programme de nettoyage des noms de rues. On le sait peut-être, Madrid, tout comme Barcelone, est, depuis quelques mois, aux mains de dangereux gauchistes proches de Podemos, parti issu du mouvement des Indignés. L'édile de cette ville, longtemps aux mains des conservateurs, présente un autre défaut, celui d'être une femme, qui plus est pas très sexy. Sans surprise, l'ancienne magistrate Manuela Carmena essuie depuis sa victoire nombre de critiques de droite comme de... gauche, allais-je écrire, alors qu'il ne s'agit que d'attaques risibles du PSOE, "socialistes" déténant 9 sièges au Conseil municipal et ayant pourtant permis l'accession au pouvoir de la fondatrice de Ahora Madrid. Mais les querelles intestines sont anciennes dans ce pays sans gouvernement depuis bientôt deux mois. La Guerre civile, les Deux Espagnes, pour aller vite.
C'est donc un spectacle de marionnettes, se tenant dans le cadre des festivités de carnaval, qui nous a valu un beau défilé de tartufes et un de ces médiocres scandales comme les aiment nos sociétés ultra-médiatisées. Le responsable municipal de la culture avait confié à une compagnie andalouse, "antisystème" nous dit-on, l'organisation d'une représentation de guignols, et semble-t-il, sans en avoir vérifié le contenu. Les deux marionnettistes sont aujourd'hui derrière les barreaux. 
Dans leur numéro dénonçant criminilisation et répression policière, on pouvait voir un juge pendu, une bonne-soeur poignardée et des policiers battus. Et, cerise sur le gâteau, une pancarte brandie portant l'inscription Vive Alka-ETA, jeu de mots associant on l'aura compris l'ETA, mouvement séparatiste basque ayant cessé la lutte armée en 2011, et l'organisation islamiste Al-Qaeda, deux entités ayant semé nombre de victimes dans la péninsule. Le juge Ismael Moreno, soutenu par une grande partie de l'opinion, affirme, sans rire, que ces agissements représentent un soutien au terrorisme et une menace pour la sécurité de l'Etat. La satire politique a donc vécu et l'esprit scélérat de l'Etat d'urgence, telle une vulgaire transaction financière, franchit gaiement les frontières.
L'autre front de cette guerre civile 2.0 se situe dans les rues. Une commission de l'université Complutense de Madrid fut chargée par Manuela Carmena de lister les personnalités proches du régime franquiste dont les noms ornent les murs de certaines rues de la capitale. Si je ne dis pas de bêtises, ce projet est un vieux serpent de maire, tant il suscite de rances levées de bouclier lorsqu'il refait surface. 40 ans de dictature fondée sur un demi-million de morts, autant d'exilés et une centaine de milliers de prisonniers, ça ne s'efface pas par décret. 
En 2007, le gouvernement de Zapatero (PSOE) a pondu, non sans difficultés, la loi sur la Mémoire historique - entendons par là, l'ouverture du dossier Guerre civile -, censée réhabiliter la mémoire et la dignité des victimes de la répression franquiste au prix de nombreux chantiers en perspective : symboles falangistes à éliminer, rues à débaptiser, fosses communes à répertorier, cadavres à exhumer... Ces délicates opérations ont rouvert les plaies encore à vif, déchiré de nouveau des familles, réveillé quelques consciences, et vu l'affrontement historique renaître et reprendre vigueur à travers les réseaux sociaux et la télévision. 
A propos des noms de rues, la controverse semble alimentée par le prix du rapport de la Complutense rendu public (18 000 euros), l'affiliation de cette fac à l'extrême-gauche - voire au mouvement anarchiste - depuis que Pablo Iglesias Turrión et ses potes s'y sont formés, et naturellement, par le rebooting des ressentiments de tous bords. Outre les noms des généraux et autres fervents serviteurs du régime, la liste compte quelques figures du monde de la culture ayant plus ou moins sympathisé avec la dictature comme Salvador Dali, le torero légendaire Manolete, l'écrivain catalan Josep Pla ou encore Santiago Bernabeu, ancien président du Real Madrid, club créé par des Catalans et ennemi juré du F.C. Barcelone. Manuela Carmena a promis de ne pas toucher aux rues et monuments portant le nom de ces personnalités, sans pour autant calmer les esprits. L'économie pourrait en décider autrement dans le cas du Real Madrid, l'équipe chère à mon père. L'actuel président du club, Florentino Pérez, magnat du bâtiment, sorte de Francis Bouygues espagnol, verrait bien son stade, qui porte toujours le nom de Bernabeu, se soumettre au naming, une technique de marketing ayant par exemple déjà donné les noms de Mercedes-Benz Stadium (Stuttgart), Allianz Arena (Bayern Munich) ou encore Emirates Stadium (Arsenal). On parle ainsi d'un futur Abu Dhabi Bernabeu qui injecterait suffisamment de pétrodollars pour la rénovation de l'enceinte orchestrée comme il se doit par une des filiales de Pérez et dont les travaux sont officiellement estimés à quelques 400 millions d'euros...  
Je me souviens de ma stupide stupeur il y a quelques années en découvrant que le théatre madrilène Calderon de la Barca se nommait désormais l'Haagen Dazs-Calderon, sans avoir, je crois, suscité la moindre mobilisation des troupes - si ce n'est celle de quelques comédiens, autant dire des moins que rien... 





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