mardi 12 janvier 2016

Révolution du cinéma français







Contacté via ce blogue par un professionnel du cinéma souhaitant témoigner, de manière anonyme, sur l'état des lieux du cinéma français, j'ai accepté ses conditions sans remords ni contrepartie, si ce n'est celle de vous en faire profiter ici. Extraits :

- Vous vous moquez régulièrement du cinéma français sur votre blogue mais vous avez vu quoi, récemment en salles ?

- Coup sur coup, deux films fort différents a priori : Mía Madre de Nanni Moretti et Encore heureux de Benoît Graffin, en projection de presse – ça sort à la fin du mois.

- Parfait. Ces films sont dans la machine. Au même titre, ou presque. Un film d'auteur, écrit, réalisé, produit et joué par Moretti avec l'aide de la France, d'Arte en particulier. Moretti est un auteur mainstream. La soixantaine, c'est devenu une institution, reconnu dans le monde entier, membre du jury ou même président du jury dans les grands festivals tels que Cannes ou Venise. Chacun de ses projets est prévendu à l'étranger, coproduit par la France en général, ou l'Allemagne. Dès qu'il fait un nouveau film, il bénéficie de bonnes critiques de la presse ou, en tous cas, d'une couverture médiatique, plateaux TV, interviews, c'est l'événement, quelle que soit la qualité du film. Et quelle que soit la qualité du film, il est sélectionné à Cannes. On est loin des films gauchistes, autoproduits, en Super8 des débuts ou de Palombella Rossa. Dans le cas de Mía Madre, sujet sensible, mais déjà vu, on a de l'argent, quatre scénaristes, c'est éclairé comme au journal télévisé, c'est mou, convenu, un peu drôle avec le casting international de John Turturro, mais extrêmement fainéant. Mais on s'en fout, le film fait événement et est déjà rentabilisé avant sa sortie. 
Dans le cas de la comédie française, qui sort bientôt, on a un pur produit Besson qui, par contrat, prévend tous ses films à Canal. Au départ, un scénario écrit par deux actrices-scénaristes de la TV : elles ont joué et écrit dans Les Quiches et Foon. Bon, l'esprit Canal d'il y a dix ans. Elles visent la comédie à l'talienne, mais personne n'en veut. Besson tombe sur le scénario, engage un type malléable comme Benoît Graffin, scénariste des pires films de Salvadori et ayant, en tant que réalisateur, deux films à son actif  pas très convaincants et s'étant plantés au box-office. Mais c'est un faiseur qui peut faire l'affaire avec un produit de ce genre. Il est chargé de réécrire le truc, et on lui colle dans les pattes, Nicolas Bedos. Le fils de Guy, amuseur de télévision, éditorialiste à Elle, piètre comédien et scénariste pitoyable (Amours et turbulences ou Les Infidèles, de la comédie franchouillarde et beauf-branchée pour première partie de soirée spécial trentenaires, avec plateau-repas). Bedos est chargé, comme un Michel Audiard il y a quarante ans, de mettre un peu de blagues faciles dans les dialogues. On fait avec ce qu'on a. Pauline Duhault, ancienne productrice indépendante et, accessoirement, femme de Graffin, est chargée de la production exécutive pour Besson et son compère, l'homme d'affaires, Christophe Lambert – à ne pas confondre avec l'acteur, également homme d'affaires – qui, eux, permettent de rassembler du casting bankable et cher : Edouard Baer, rendu célèbre par ses chroniques sur Canal il y a 15 ans, et Sandrine Kiberlain, qui sait tout jouer, la fille à la mode, césarisée et populaire, malgré son côté 6e arrondissement, depuis le gros succès de 9 mois ferme de Dupontel. Et en guest star, Benjamin Biolay, ce chanteur qu'on cantonne désormais dans des rôles de séducteurs des beaux quartiers parisiens. C'est de la comédie à l'italienne très light : avec de la morale, des répliques marrantes, mais pas beaucoup de cinéma et aucune cruauté. Tout est bien qui finit bien, avec un morceau de bravoure archi-rebattu : le montage parallèle entre le concours de piano de la gamine et le sort réservé au père chez les flics. C'est un peu laborieux, mais gentillet. Ça occupera les écrans et les espaces publicitaires et ça ramassera vite sa mise, car également prévendu sur le seul nom de Besson et des comédiens. 

- Alors, Moretti et Besson, même combat ?

- On peut dire ça, quitte à blesser les puristes ou les romantiques. C'est Moretti, mais on peut dire la même chose de Wooody Allen, Almodovar ou Benoît Jacquot. Ces gens-là travaillent avec des stars internationales, font un cinéma peu dérangeant pour Arte ou Canal, on reconnaît leur patte, mais ça n'a plus rien à voir avec les films qui les ont fait connaître. Ils sont sur des rails et cotisent pour la retraite.

- Ne reste-t-il pas de place pour un autre cinéma ?

- Si, bien sûr. Très minoritaire. Celui fait par les cinéastes débutants, issus de la Fémis le plus souvent. Il faut justifier cette école qui forme une dizaine de cinéastes par session et les producteurs qui les accompagnent, formés eux aussi sur les mêmes bancs. Leurs profs sont dans les commissions de l'Avance sur recettes, dans celles des régions, ou consultants pour les chaînes comme Arte. Ces produits font marcher les sociétés de post-production, sont sélectionnés dans les festivals, soutenus à leur sortie par Télérama, Le Monde ou Les Cahiers du cinéma qui ont des pages à noircir et tout le monde est content. Là aussi, seuls les cinéastes les plus dociles survivront. La place de leurs films en salle est d'ailleurs assez réduite, surtout aujourd'hui quand on voit des blockbusters truster des écrans à n'en plus finir. Vous n'êtes pas sans savoir, n'est-ce pas, que le même cinéma peut, grâce à un seul fichier numérique, multiplier les salles pour un Star Wars ou tout autre film-événement, sorti pourtant déjà sur 1000 salles. 

- Le numérique, justement, ne permet-il pas d'un autre côté, de tout bouleverser, de donner la parole à un autre type de cinéma, issu de la banlieue par exemple comme on l'a vu avec Brooklyn, Donoma ou Rengaine ?

- On a cru ça un moment, que tout allait imploser. Mais c'est une erreur dangereuse. Ces films faits à l'arrache, sans payer personne, peinent à trouver un espace de distribution. Ils font quelques festivals, font le buzz sur internet, des avant-premières, mais leur sortie est assez confidentielle. Ce sont généralement des One Shot, leurs réalisateurs ont du mal à s'en remettre, galèrent encore des années pour le suivant et ne peuvent reproduire la même formule ad vitam aeternam. Le système n'en veut pas. Vous vous souvenez de Jean-François Richet et de son film communiste-révolutionnaire, Etat des lieux. Du noir et blanc militant, en banlieue, financé paraît-il avec de l'argent gagné au casino ? Que fait Richet aujourd'hui ? Après son diptyque sur Mesrine, illustration assez plate de la vie de l'ennemi public numéro Un, il nous balance un remake d'un vieux film de Claude Berri, Un Moment d'égarement. Vincent Cassel a remplacé Jean-Pierre Marielle et François Cluzet, Victor Lanoux. A la production, on trouve le fils de Berri, Thomas Langmann. Une production luxueuse sans saveur mais c'est ce que veulent les télés. Et Richet a enterré définitivement le communisme et Eisenstein. C'est ça ou crève ! Les producteurs d'aujourd'hui viennent des banques, de la finance, des assurances. Il y a très peu de cinéphiles, des gens qui s'intéressent véritablement au cinéma, à son langage. Ils sont là pour faire du fric. Ils misent sur des réalisateurs jeunes et dociles, prêts à accepter n'importe quelle condition pour faire leur film, ou disponibles pour un film de commande destiné au marché. Ces producteurs n'ont pas d'état d'âme, ils exécutent ce que demandent les chaînes pour leurs grilles de programme. Et montent les films avec leur carnet d'adresses et leur réseau. La télé l'a emporté. Regardez, les journaux dont on parlait, Télérama, Le Monde, Les Cahiers, ou même Libé, consacrent aujourd'hui autant de place aux séries TV, si ce n'est plus, qu'au cinéma. Les séries, ça dit bien ce que ça dit : de la production en série. Bien sûr, il y en a tellement que dans le lot, y'a des trucs pas mal. Mais c'est autre chose.
Mon tableau est un peu déprimant,
je sais, d'autant que Bowie est mort…

- Je ne vois pas le rapport…

- Ah… Moi non plus, cela dit…


2 commentaires:

  1. Il a perdu sa folie et sa rage Moretti. Il fait un film élégant, mais on ressort indemne. Je vais finir par être nostalgique moi aussi !

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  2. Je transmettrai à notre ami... En tous cas, content de te savoir de retour par ici, vieux bon bougre !

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