vendredi 8 janvier 2016

Mort subite

Nicolas Yantchevsky


- Tu te rends compte ? 857 secondes sont suffisantes pour que se volatilisent 770 milliards d’euros ! Jamais braqueur moderne n'a pu se permettre un tel rêve.
- De quoi tu parles ?
- Des 7% de baisse des indices boursiers de Shanghai et Shenzhen. 7% en moins d'un quart d'heure ! Suite de quoi on a décidé de fermer, ça suffit comme ça, allez, on rentre, on verra demain.
- Demain, c'est quand pour eux ?
- Là. Et demain, c'est pas que pour eux.
- Je ne comprends rien. On en a bu combien ?
- La chute a commencé cet été et rien ne laisse présager de futurs beaux jours à l'économie chinoise et, partant, à l'ensemble des économies de la planète. La mondialisation, tu connais ?
- On en reprend une ?
- Oui, et bien violente !
- Une Mort subite ? Je crois pas qu'ils aient ça, ici.
- Je te parle de la crise qui s'annonce. Encore plus violente que celle de 2008.
- Toi et ton optimisme... Tu nous en remets une, Rachid ?
- Tu préfères parler de Platini ?
- Pas forcément.
- Tiens, regarde ce journal. Pas un mot en Une de ce qui s'annonce !
- Tu vois ? C'est peut-être pas si grave.
- Parce que les journalistes n'y comprennent rien !
- Et toi, peut-être, tu y comprends quelque chose ?
- Non, mais je ne suis pas journaliste !
- J'ai entendu Hollande à la radio.
- Tu n'as que ça à faire ?
- Ecoute, j'aime me tenir au courant, moi. Je suis pas un ermite, comme toi.
- Ok, qu'est-ce qu'il a dit, alors ?
- Je ne sais plus exactement. Il présentait ses voeux aux flics, je crois. En leur assurant un renforcement de leurs pouvoirs. Et à la radio, ils faisaient un rapprochement entre Hollande et l'autre François dont c'est l'anniversaire de la mort.
- Du coup d'état permanent, on est passé à l'état d'urgence permanent.
- Même Taubira soutient ce renforcement sécuritaire.
- Je me fous totalement de ces gens-là. Une bande de collabos en compétition avec le FN pour la constitution d'un Etat fort pour imposer les mesures ultralibérales de Macron et compagnie, mesures qui ne marchent pas, qui plus est...
- ...Tu ne peux pas dire ça. Taubira est contre la déchéance de la nationalité.
- Pourquoi ne démissionne-t-elle pas, alors ?
- Qu'est-ce que j'en sais, moi ?
- Je te dis, est au pouvoir en France une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ayant pour nom l'Etat financier.
- Tu es malade ?!
- Oui, parle-moi de Mitterrand. Je suis sûr qu'on profite de cet anniversaire pour réhabiliter ce salopard. 
- On ne peut parler politique avec toi. Tout de suite, les jugements radicaux !
- Radicaux ? OK. Parlons de nos vies, alors.
- Oh, pas grand-chose à dire. Tu la connais, ma vie.
- Figure-toi que quand on se voit pour boire un coup, c'est ça que j'ai envie d'entendre. Et tu n'en parles jamais. Tu ne fais que me commenter le spectacle de l'actualité.
- C'est toi qui a commencé, avec tes Chinois !
- Ce ne sont pas mes Chinois. Ce sont les tiens et ceux du monde entier, tu vas comprendre dans quelques jours...
- Tu sais que dès que tu parles de politique sur ton blog, je ne lis pas tes billets ?
- Tu fais bien.
- C'est trop pessimiste. On lit ça et on ne croit plus en rien.
- Attends, j'ai relevé une citation de Chestov...
- Connais pas.
- Un philosophe russe. J'ai trouvé ça sur un blogue. Ecoute :
Lorsque l'homme contemple la souffrance des autres, il cesse de réfléchir, il veut agir. L'homme ne se met à penser, à penser effectivement que lorsqu'il se convainc qu'il ''ne peut rien faire'', qu'il a les mains liées. C'est pour cela probablement que toute pensée profonde doit commencer par le désespoir. Et au contraire, l'optimisme, le besoin hâtif de sauter d'une conclusion à une autre, doivent être considérés, sans aucune hésitation, comme le signe certain d'un esprit satisfait de lui-même, médiocre, ne doutant de rien, c'est-à-dire superficiel...
-
C'est trop intello pour moi.
- Attends, c'est pas fini : Et puis : qui nous forcera à vivre comme il le faut, quand notre propre être a toujours été pour nous et sera toujours, parait-il, un mystère insondable ? C'est pas beau, ça ?
- Oui, ben en attendant, je changerais bien de rade pour me faire une petite Mort subite, tu m'as mis l'eau à la bouche !


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