vendredi 1 janvier 2016

Bonne année quand même !




- Enchantée. Vous avez un drôle de prénom.
- Ah bon ?
- Oui, original.
- C'est un choix de vie.
- Comment ça ?
- Eh bien, ce prénom… Je l'ai choisi.
- Vous voulez dire que vous l'avez changé, c'est ça ?
- Pas du tout. J'en avais fait la demande expresse à ma mère.
- Non, ce n'est pas possible.
- Je vous assure.
- Que vous êtes drôle. Mais j'aime bien.
- Je ne cherche pas à être drôle, c'est la pure vérité.
- Et c'est vous qui êtes venu avec cette jolie jeune femme ?
- Exact. Sans elle, je ne serais pas là.
- Et elle aussi, vous l'avez demandée à votre mère ?
- Non, sur ce sujet, je ne l'ai pas écoutée, car elle était contre. Et puis, j'étais déjà majeur lorsque nous nous sommes connus.


- Oh, il y a du champagne ! Je n'aurais pas dû prendre du blanc avant. Tu crois que je peux mélanger ?
- Tu n'en as pris qu'un verre, ça devrait aller…
- Tu es au rouge, toi ? Tiens, goûte-moi ça.
- C'est justement celui que je viens de boire.
- Alors ?
- Je veux bien en reprendre. Tu le trouves où ?
- Chez un caviste, boulevard Haussman.
- Tu me donneras l'adresse ?
- Il a des vins assez chers, mais la bouteille de celui-ci doit être à 11 et quelques. J'essaie de n'acheter que des vins naturels, je ne supporte plus les vins industriels et toute leur chimie, sans parler des maux de crâne qui vont avec le lendemain. Tous ces vins sont comme ça, tout droits, ils n'ont qu'une seule… Tu vois ?
- …Saveur ?
- Qu'une seule saveur, exactement. Mais les gens veulent ça aujourd'hui. Tu peux leur dire ce que tu veux sur les produits chimiques, les pesticides, ils ont goûté à ça un jour, ils voudront la même chose toujours. Or, un vin, d'une année sur l'autre, selon le temps, la qualité du raisin, il change. Mais non, les gens veulent retrouver la même chose. Alors, on leur fabrique ça en laboratoire. Et ils sont contents.
- Ils sont plus fragiles, les vins naturels…
- Oui, ils ne vieillissent pas bien. Mais c'est ce que j'aime, moi. Ils sont frais, pleins de saveurs. Je n'aime pas les vieux vins, ceux qui ont vingt ans d'âge ou je ne sais quoi. Ils ont tous le même goût, les vieux vins.
- Ah bon ?
- Oui, un goût de vieux.



- Vous m'excusez.
- Je vous en prie.
- Je suis sûr qu'on se revoit l'année prochaine…
- Oh, non ! Pas ça !
- Mais vous êtes malade ?!
- Désolé, vous êtes le premier à faire cette blague, et je n'ai pas encore bien dosé mon bourre-pif...


- Moi, ce que je ne supporte pas en bibliothèque, c'est les clics.
- Des SMS ?
- Oui, mais pas seulement. Les ordinateurs aussi. Aujourd'hui, tout le monde frappe sur un clavier, reçois des mails, des SMS, discute fort, c'est insupportable. Moi qui fréquente beaucoup les bibliothèques pour mes recherches, je ne peux plus.
- Quelles recherches ?
- Pour mon travail. Je suis chercheuse.
- Qu'est-ce que tu cherches ?
- Je suis chercheuse en sciences de la communication.
- Ah oui ?
- La bibliothèque, on y allait pour lire sur place des documents qui ne peuvent pas sortir, avec la garantie d'y trouver le calme.
- C'était pas mal, le monde d'avant…
- Je ne suis pas contre la technologie, mais bon, de temps à autre, le calme, être simplement déconnecté, injoignable, c'est important.
- Moi, c'est les réveillons dont j'ai horreur. Le moment où tout le monde se colle à son portable et déplore le réseau saturé qui empêche d'envoyer ses vœux, tous ces messages identiques d'un individu à l'autre, d'une année sur l'autre, comme pour indiquer que ça ne changera jamais…
- Regarde ta fille, elle qui disait ne pas vouloir se coucher tard.
- Quand elle était petite, je l'emmenais à toutes les soirées. Et à l'heure où moi, je tombais de fatigue, elle était toujours en pleine forme !
- Faut faire gaffe quand même : se coucher tard nuit.


- Et vous vous êtes rencontrés comment, toi, la chercheuse et toi, le garagiste ?
- Dans ma rue.
- Non, c'est Ma rue ! C'est incroyable, ça !
- C'est quelle rue ?
- Rue du Poteau.
- Ça existe encore, ce genre de rencontres ? Dans la rue ?
- C'est plutôt dans mon lit qu'on s'est rencontrés !
- Il dit n'importe quoi !
- Raconte, alors.
- C'est par des amis communs. J'étais à la campagne…
- Rien à voir avec la rue du Poteau, alors ?
- Si, attends. C'était un week-end, ma voiture est tombée en panne. Elle a trente ans, je tiens beaucoup à elle. Ces amis m'ont parlé de Guy, un spécialiste de la voiture ancienne, qui habitait justement dans mon quartier.
- Je t'ai dit de ne pas repartir avec. Et tu es venue dans mon lit.
- Il est pénible parfois. 
- Et vous êtes ensemble depuis longtemps ?
- Non, quatre mois.
- Ah oui…
- Dont trois mois malade.
- Toi ?
- Oui. En fait, je sortais d'une histoire de quinze ans. Et ça faisait déjà trois ans qu'on n'arrivait pas à se quitter.
- Comme pour la voiture ?
- …
- Pardon, j'ai un peu bu.
- Oui, mais c'est vrai que j'ai du mal à me séparer. Bref, j'étais partie à ce fameux week-end à la campagne, à peine séparée. Et la semaine suivante, j'étais avec Guy.
- Tu as eu quoi exactement ?
- Les médecins n'ont rien trouvé.
- Une séparonite, peut-être.
- Peut-être, oui. Ou quelque chose qui ne me convient pas, je ne sais pas.
- Votre histoire ?
- Oui, ça va un peu vite. Du jour au lendemain, je me suis retrouvée mère de famille, à préparer les repas pour cinq : Guy a trois enfants. Et moi, je n'en ai aucun. Et à 50 ans, c'est difficile de devenir mère de trois enfants.
- Je vois.
- Oh, ce n'est pas tout. Il est très gentil, mais on n'échange pas beaucoup. C'est quelqu'un qui ne lit pas, seules les voitures l'intéressent. Et moi, les voitures… Je ne suis pas une vendeuse de parapluies.
- Attention, le voilà…

- Tu écris sur quoi ?
- Sur tout et n'importe quoi.
- Ça doit être passionnant.
- Détrompe-toi. 
- Je plaisante. Tu écris depuis longtemps ?
- Non, longtemps, je me suis interdit d'écrire. J'avais une envie, un thème mais je trouvais que ça n'avait pas aucun intérêt. Je n'essayais même pas. Je ne m'en sentais pas la légitimité. Or, c'est en écrivant que l'on écrit.
- Comme le forgeron, tu veux dire ?
- En un peu plus salissant.
- Duras avait une formule là-dessus.
- Sur les forgerons ?
- Elle disait, ou écrivait plutôt, qu'on écrivait pour voir ce que ça donnerait si on écrivait.
- Elle n'a pas écrit que des conneries alors…
- Il écrit aussi de la poésie.
- Ah bon ?
- J'ai une amie qui vient de publier un recueil de poèmes. Ça va vous choquer peut-être mais je l'ai mis aux toilettes.
- Il y est en permanence ?
- Oui, c'est le livre parfaitement calibré pour ça. Tu lis un ou deux poèmes quand tu y es. La poésie, ça ne supporte pas des poèmes lus les uns à la suite des autres. Un ou deux, de temps en temps.
- Oui, ou alors, c'est une gastro !
- Trop de poésie tue la poésie.
- C'est comme Trotsky.
- Quoi, Trotsky ?
- Trotsky tue le ski.
- Ouh la !
- Je vais me resservir, moi. Et on va y aller.
- Fais gaffe, trop de bulles tue l'automobiliste.


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