vendredi 30 décembre 2016

Et encore…


Immanquablement
après tout ce
chemin
lorsque je pense
par hasard
à celui que j'étais dans ma
jeunesse
ou même dix ans
en arrière
à quarante ans
j'éprouve une profonde
répugnance
pour cet homme
ce jeune
homme
cet étranger
inévitablement
et encore 
je ne raconte pas 
tout
je ne pense pas à 
tout
à toutes et à tous
certainement
ce qui me console
est de penser
que je ne serai pas
dans dix vingt ans
trente ans
pour penser
par hasard
à l'étranger 
que je
suis
aujourd'hui.
Charles Brun, Poésie élastique



A bras ouverts (et coups de pieds au cul)





Ça tombe bien, Christian, en avril les Français sont appelés aux urnes...

mercredi 28 décembre 2016

Santé, Clément !


- ...Remarquons enfin que l'allégresse, celle de l'ivrogne, de l'amoureux, de l'artiste, du philosophe, implique une voyance. Pas seulement un amour, mais aussi un sentiment du réel. Dans l'allégresse, le réel se présente tel qu'en lui-même : idiot, sans couleur de signification, sans effet de lointain. Présence du réel qu'aucun regard sinon allègre n'est capable d'approcher de si près...   
- ...Vous lisez qui ? Vous lisez qui, là ?
- ...Je vous lis vous, Clément Rosset...
- ...J'ai écrit des choses... des choses aussi gentilles ?
- ...En sorte que l'allégresse n'est pas seulement un mode de réconciliation avec la mort et l'insignifiance. Elle est aussi un moyen de connaissance, une voie sûre d'accès au réel...
C'était hier chez Adèle et ça se podequaste ou s'écoute dans son intégralité ici



mardi 27 décembre 2016

Au coeur de l'hiver


débarquée au début de l'hiver
mille neuf cent quatre-vingt-quatre
vite assise à mes côtés
en comprenant que j'étais le meilleur
du cours
quand je compris que je lui plaisais
j'étais fasciné par sa grande classe
moi qui connaissais rien à l'élégance 
ni aux filles
blondes, de Monaco, maquillées, aux formes
un peu arrogantes
elle copiait sur moi aux interros
je lui lisais Eric Blair
elle créchait vers Passy
devant le flipper
du bar d'en bas
Pascal m'a un peu prêté
quand elle m'a proposé un ciné
prends deux autres billets
con, pense à après...
Je flottais sur les flocons
des Champs-Elysées
pas très en forme
après une nuit sans sommeil
elle m'attendait
m'a souri
on s'est fait la bise je tremblais
quand je lui ai filé un vinyl
pour elle volé
alors elle m'a présenté trois autres
potes qu'elle avait rameutés
que des prénoms composés
j'ai glissé devant le ciné
le film c'était Kaos
contes siciliens
je n'ai rien suivi
ai peut-être même dormi
sur le trottoir ils ont annoncé
aller boire un chocolat chaud
j'aime pas les bars
et je digère pas le lait 
j'ai dit
et claqué le fric de Pascal
en sautant dans un taxi
et prenant ma première cuite
avec Mes Amis
cette nuit
de l'hiver de l'année
mille neuf cent quatre-vingt-cinq

dimanche 25 décembre 2016

Une tâche surhumaine


Ce qui est difficile, c'est de créer indistinctement des êtres purs et vicieux, de transporter le lecteur dans une humanité, réduite évidemment, mais aussi complète que celle que nous voyons autour de nous. C'est une tâche surhumaine. Mais c'est celui qui, dans cette vie, ira le plus loin qui aura été le plus utile à ses semblables. 
Emmanuel Bove

Pitre Nobel

Il y a quelques années, l'ami Zimmerman, ne reculant devant aucune pitrerie, se livrait à l'exercice des chants de Noël en enregistrant un album dont les bénéfices furent reversés à des associations caritatives. Malgré mon aversion toujours plus grande pour cet événement commercial annuel, j'avoue me bidonner et être saisi d'une soudaine envie de danser (et de boire, voire de me battre…) en revoyant cette vidéo irrésistible… Et puis, si on ne la regarde pas aujourd'hui, alors quand ?


vendredi 23 décembre 2016

Pépères et Mémère

Les vieux cabots font semblant d'improviser. Renoir le pétainiste, surtout, a l'air complètement largué, vieux bourgeois antisémite encanaillé, encore un peu, en la compagnie de l'érotomane fameux… Peu importe, on regarde et écoute pour Bernard Dimey et sa Mémère…



mercredi 21 décembre 2016

Sujet orphelin


Des sources de radiocativité artificielle se perdent, se volent, sont abandonnées, sont recyclées un peu partout dans le monde.
Dans la région de Tchernobyl, des milliers d'habitations ont été pillées. Le butin a été revendu au marché noir. Près de la forêt rousse des milliers de tonnes de matériel contaminé ont été abandonnées dans 800 fosses. Aux abords de la centrale, le parc des véhicules abandonnés a également été pillé. Des milliers de camions, de chars, de grues, d'hélicoptères, qui faisaient vibrer les dosimètres à plus de 100 m de distance. Personne ne se soucie plus des bus imprégnés de radionucléides qui ont transporté les réfugiés hors de la zone interdite.
A Fukushima, les réfugiés paient les chimpara, des voyous, pour récupérer leurs biens et leurs véhicules contaminés et les sortir de la zone interdite. Le tarif est d'environ 300 euros.
Cette remise en circulation de matériaux radioactifs échappe à tout contrôle. Les aciéries indiennes peuvent très bien fondre de la féraille avec du matériel volé à Tchernobyl. Les tôles et les clous vendus sur le marché seront radioactifs. En avril 2001, une cargaison de métaux non ferreux radioactifs avait été saisie dans le port de Vladivostok (…)
En décembre 2013, deux individus volent dans une camionnette du matériel médical destiné à un centre de stockage de déchets radioactifs à Maquixco (Etat de Mexico). Ils l'ignorent et disparaissent dans la nature avec leur butin. Aussitôt le forfait découvert, un périmètre de sécurité est établi. On doit les retrouver au plus vite. Ils ont commis une erreur. Un des colis contenait du cobalt 60. Ils l'ont ouvert. Ils sont gravement contaminés et risquent de crever si on ne leur met pas rapidement le grappin dessus. Et ils essaiement de la radioactivité sur leur passage. Cet événement mettait l'accent sur un problème passé sous silence. D'importants stocks de matières radioactives sont laissés sans surveillance particulière dans des hôpitaux, des universités, des usines et divers sites. Un « sujet orphelin » a déploré le président de l'ASN en 2015 (…)
En 2009, parmi les divers incidents relevés en France, on a mentionné un colis de type A, à usage médical, contenant de l'iode 131, qui a été perdu lors d'un transfert par avion et un colis contenant une source de césium 137 qui a été volé dans un véhicule en stationnement. Dans ces deux cas, les colis ont définitivement disparu dans la nature et « les conséquences ne sont pas connues ».

En 2012, on a dénombré 17 cas de possession illégale et de tentatives de vente de matériel nucléaire, essentiellement de l'uranium, et 24 cas de vol et de perte. Mais ces chiffres ne représenteraient que 10% du trafic mondial.

Jean Songe, Ma Vie atomique, éd. Calmann-Lévy, 2016
Une excellente idée de cadeau pour les fêtes : 19€ seulement !


mardi 20 décembre 2016

Ce n'est pas moi


L'auteur de son infortune

Car le monde est le monde.
Et il n'écrit pas d'histoires
qui se terminent dans l'amour.
– Stephen Spender

Je ne suis pas celui qu'elle prétend. Mais
il y a une part de vrai : le passé est
distant, une côte qui s'éloigne à l'horizon,
et nous sommes tous dans le même bateau,
un rideau de pluie couvrant les couloirs maritimes.
N'empêche, je voudrais qu'elle ne continue pas
de dire ces trucs-là sur mon compte !
A la longue,
seul l'espoir vous retient encore, puis
lui-même relâche sa prise.
Il n'y a jamais assez de rien
tant que nous vivons. Mais par intervalles
une douceur survient et, si on lui laisse sa chance,
s'impose. Il est vrai que je suis heureux à présent.
Et ce serait pas mal qu'elle 
puisse tenir sa langue. Cesser
de me haïr parce que je suis heureux.
De me rendre coupable de la vie qu'elle a. J'ai peur
qu'elle me confonde dans son esprit
avec un autre. Un jeune homme
sans caractère, vivant de rêves,
qui jurait de l'aimer toujours.
Qui lui avait offert une bague, et un bracelet.
Qui disait, Viens avec moi. Tu peux me faire confiance.
Des trucs de cet ordre-là. Ce n'est pas moi.
Elle me prend, comme j'ai dit,
pour un autre.


Raymond Carver, Poésie,
trad. Jacqueline Huet, Jean-Pierre Carasso et Emmanuel Moses,
éd. L'olivier, 2015

dimanche 18 décembre 2016

Devant notre porte

Nicolas Comment



Poème


On m'a parlé d'un homme
qui dit les mots si merveilleusement
qu'il lui suffit de prononcer leur nom
pour que les femmes se donnent à lui.

Si je reste muet près de ton corps
quand les tumeurs du silence fleurissent sur nos lèvres
c'est que j'entends un homme qui monte l'escalier
et s'éclaircit la voix devant notre porte.

Leonard Cohen, Comparons les mythologies, 1956
trad. Patrice Clos

vendredi 16 décembre 2016

Le sentiment du drame


Mon père avait le vin gai, l'ivresse patriotique. Il soupçonnait de sentiments germanophiles un agent de Pont-à-Mousson qui plusieurs fois l'avait conduit au poste pour faire cesser ses Marseillaises et ses Vivats à la Sidi-Brahim. Inquiète les soirs de paye, ma mère m'envoyait à sa rencontre pour lui éviter les tentations d'un tour en ville. Dès que j'ai eu les jambes assez longues, j'ai fait le parcours de Maidières à la route des Forges. Le gaz l'éclairait d'une lumière souffrante, avec d'inquiétants points d'ombre. Des trains passaient sur le talus. La lune dansait dans les nuages, elle ressemblait aux affiches du cirage, sa vue me rassurait. Dès le commencement, la route sentait l'enfer, le minerai. A la sortie, après le mugissement du « gueulard », mon père accrochait un jeton de cuivre au contrôle sous le regard du gardien en képi. J'embrassais sa joue piquante, sa main était dure comme de la corne, elle était souvent écorchée. Il avançait en tanguant sur ses pieds douloureux. Il s'arrêtait au caboulot pour boire une chopine, retrouver des compagnons.
Comme lui, c'étaient de vrais mâles à longues moustaches, les joues couvertes d'une barbe de fin de semaine, des hommes forts qui sentaient la sueur de fonderie. Ils avaient des dents jaunies et des creux entre. J'hésitais à mettre ma main dans leurs grandes pinces. Ils la serraient sans me faire mal. Ils buvaient le vin d'Algérie dans des verres épais. Un paquet de gris circulait entre les buveurs. Dans le nez je recevais de la fumée âcre en admirant la force et la bonté des hommes qui m'avaient fait peur. Pendant qu'ils se racontaient des histoires de régiment, j'habillais en couleurs d'Epinal les anciens zouaves, spahis, marins, tous ces lascars vêtus de colletins, de largeots et de ceintures de la terrasse. Mon père sortait d'un portefeuille noirci la photo d'un caïd en turban et burnous, celle d'une moukère de ses souvenirs. On se montrait des tatouages. A une autre table, solitaire et le regard fauve, un ancien Bat'd'Af' devant une absinthe, foulard au cou, visière cassée, soutenait de son air bravache l'honneur d'avoir servi aux Joyeux.

Georges Navel, Parcours, Gallimard, 1950


C’est un peu difficile d’être anar, tu sais. Le changement soudain de la société, on a autant de mal à y croire qu’au mythe de l’Immaculée Conception. Faut avoir la foi. Pas d’autorité, d’accord, mais s’il y a mésentente, qu’est-ce qu’on fait ? Moi, cette question m’a toujours intéressé. L’Etat se reconstitue toujours, tu comprends. Ça peut être sous une forme syndicale. La FAI a dû recréer sa police. Et puis les anarchistes se font toujours avoir et, quand ils sont confrontés au pouvoir, ils deviennent ministres. Moi, je n’étais pas théoricien, j’étais attiré par le mouvement libertaire, mais je sentais ses faiblesses latentes. C’est une famille par la sensibilité libertaire, une façon de réagir, le goût de la liberté... Maintenant, sur le plan de la transformation sociale... Récemment, j’ai entendu May Picqueray à la radio. Elle disait : « Ni dieu ni maître, quoi de plus beau ? » D’accord... Renvoyer son livret militaire, rien de plus beau... Comment ? Hein ? Allez, au trou... Tu vois, t’as le sentiment du drame, quoi... Moi, je suis libertaire, par nature, mais il faut bien battre monnaie. La société ne se passe pas de droits écrits, elle ne se passe pas de systèmes répressifs. Tout est une question de mesure. Ou t’es dans le système mécaniste du matérialisme, qui est un déterminisme où il n’y a pas de valeurs morales. Ou t’es dans l’anarchie qui, elle, est une doctrine morale qui part d’autres données... mais, bon, je ne suis pas philosophe... 
extrait d'un entretien avec Georges Navel par Phil Casoar, 1984  

mercredi 14 décembre 2016

Sans façon

Mon cher Fabien, c'est gentil d'avoir pensé à moi pour toutes ces invitations qui m'ont l'air plus alléchantes les unes que les autres. J'envie parfois ma vie passée de journaliste quand j'étais invité à toutes les projections. J'y repense parfois avec un pincement à l'œil pour peu que je me souvienne de la violence de certains visionnages et l'embarras certainement trop visible lorsque j'en venais à croiser l'attachée de presse à la sortie de la salle. J'ai fait un effort, hein, et regardé attentivement les bandes-annonces de tous ces beaux films français que tu me proposes. Et comment dire ? Je pense que tu peux, sans problème, trouver quelqu'un d'autre – je suis sûr qu'il existe parmi tes ami(e)s quelques inconscient(e)s. Un conseil : n'inflige pas tout cela à la même personne. 
Je suis sûr que c'est intéressant, le nouveau film de Canet/Cotillard/Lellouche… Mais le seul fait d'aligner ces noms me fatigue. Le petit Guillaume se sent vieillir ? Il est moins sexy, moins rock'n'roll ? Pauvre garçon. C'est peut-être bon signe, après tout, un accès de lucidité sur la vacuité de son existence d'imposteur gâté, la promesse de la fin de ses dissertations de médiocre élève appliqué et narcissique singeant le cinoche américain trop cool... Si seulement…



Ton argument sur le cinéma d'auteur ne tient pas. Ou plus. Ce n'est pas Hélène Angel, je n'ai rien contre elle. Elle avait fait un docu intéressant sur les femmes de prisonniers, mais ce remake parisiano-Bolloré de L'Esquive, et ce titre appelant à la révolution du PS, je ne sais pas pourquoi, je ne le sens pas. Ces histoires d'enfants, il y a toujours trop de sucre, on en ressort les yeux collants. Ce cinéma-dossiers-de-l'écran pour voir la petite Forestier perdre la foi de l'enseignement, sauver un enfant, trouver l'amour avec Elbaz et conclure que la vie est belle mais injuste, entre nous, je préfère le laisser à d'autres et aller boire un coup avec toi dans le bar à bobos de ton choix. 
 


Quant au dernier, tu te trompes. Comme sa réalisatrice. Je ne suis pas de gauche et n'ai jamais été fasciné par le communisme. Ni par ses leaders. Et encore moins par les dramatiques de la SFP. Tiens, il se trouve que j'ai revu récemment Vincent, François, Paul et les autres. Le gros Gégé fait partie des autres. Tu te souviens ?, il joue un jeune ouvrier boxeur. Il a quelque chose de Gabin dans Le Jour se lève, une nervosité narcotique et timide en plus. Je préfère garder cette image-là de lui. Comme je préfère garder l'image de Fanny Ardant, non, même pas dans les films de Truffaut, simplement marchant silencieuse à deux pas de nous lors de cet enterrement au Père Lachaise… Ça me suffit pour mes vieux jours.



PS : J'ai entendu hier Assayas dire que le cinéma français se portait très bien. Et souhaiter en passant je ne sais plus quel prix pour sa petite amie… Quel déconneur, cet Olivier, vraiment !

mardi 13 décembre 2016

Un peu moins

elle s'est approchée de moi en prétendant
avoir été miss Limousin
en 1984

ça m'a fait rire 
jamais mis les pieds dans le
Limousin j'ai dit
quel âge 
ça pouvait lui faire ?
quel âge
j'avais à cette époque ?
j'ai pensé

j'aurais pu
moi aussi
passer le concours 
si j'avais été majeur
et une fille ?
je lui ai payé 
un verre
elle m'a montré ses seins
elle a déballé
le bazar
sans même y penser

t'as vu, ça tient encore
tu peux toucher
et elle s'est mise
à danser

y'avait du monde au comptoir
pourquoi m'avait-elle choisi
moi ?
précisément le lendemain
de ma rencontre
avec Sandra 
j'ai avalé mon godet
sans un mot
sans toucher
sans même 
regarder
elle a rangé la marchandise
m'a traité de pédé
j'ai demandé un pichet
un gamay 
sans sulfites ajoutés
a cru bon de préciser
l'autre benêt
dans un coin
miss Limousin roulait une pelle
à une fille pas très belle

c'est tout ce dont je me souviens
ça et cette paire de seins offerte sur le zinc
un mardi soir de février
ça floconnait dur
dehors c'était le blizzard
et Sandra est tombée enceinte deux mois plus tard
et n'a pas voulu le garder
je l'ai accompagnée
elle voulait avorter
j'essayais de nous réconcilier
elle pleurait riait et
m'a insulté
j'avais tous les torts
c'est vrai

je ne l'ai plus jamais revue
n'ai plus jamais mis les pieds
chez l'autre benêt
encore moins dans le Limousin
je bois juste un peu
moins

cette année
un hiver doux est annoncé.

Charles Brun, Hommage au Limousin

dimanche 11 décembre 2016

samedi 10 décembre 2016

Une responsabilité diabolique


Etre soi est une responsabilité diabolique. Il est plus facile d'être un autre ou absolument personne.

Ce que je redoute le plus, je crois, c'est la mort de l'imagination. Quand le ciel, dehors, se contente d'être rose, et les toits des maisons noirs : cet esprit photographique qui, paradoxalement, dit la vérité, mais la vérité vaine, sur le monde.

Mourir est un art. Comme toute chose.

Sylvia Plath



vendredi 9 décembre 2016

Images de Leonard

Un copain qui sait que je n'ai pas la télévision et donc pas été submergé d'images hommages du/au poète canadien m'envoie ces liens de vidéos que j'ai bien entendu déjà vues, le con, mais je les mets là pour ceux qui, comme moi,  inconsolables, font fi de ces présentateurs vedettes de la connerie mais sont bien contents d'écouter et voir bouger le grand Leonard, apprécieront son grand sens de la dérision et cette élégance perchée devant la bêtise des autres. Ça se passe bien entendu vers 1992.




Eternel féminin

Nagib El Desouky via semioticapocalypse



l'éternel féminin


J'ai donné
mon âme à une fille.

Elle l'a regardée.

A souri jaune.

Et l'a jetée
dans le caniveau.

Négligemment.

Elle avait une sacrée classe.



baiser fantôme

Il n'y a
pas pire
enfer
que 
de se rappeler
intensément
un baiser
qui
n'est pas venu.


incongruité
Je me souviens
d'une jeune femme
très belle
très comme il faut
lâchant 
un pet
qui claqua
tel
un coup de feu.


Richard Brautigan, Pourquoi les poètes inconnus restent inconnus,
trad. Thierry Beauchamp et Romain Rabier, Le Castor Astral, 2016

mardi 6 décembre 2016

Le Passeur

Weegee via kvetchlandia

J'aimais bien ce type. On a dû échanger en tout et pour tout deux trois phrases, j'étais trop impressionné à l'époque, mais j'aimais bien ce type. Et son travail. Mon premier ouvrage de cinéma, offert par ma petite amie italienne, était son Dictionnaire chez Larousse.
Je dois avoir encore quelque part une photo des années 1980 au jardin du Luxembourg, du temps que j'étais étudiant ou des années qui suivirent. Avais-je déjà travaillé pour lui ? Etais-je encore libraire ? Je ne sais plus. En me promenant dans le parc, où, entre deux pages de L'Idiot ou du Voyage, je prenais des photos de joueurs de tennis, d'enfants, de vieilles dames assoupies sur une de ces chaises inconfortables, je l'avais aperçu tournant manège. J'appris plus tard qu'il s'agissait du manège de son frère et qu'il venait volontiers filer un coup de main de temps à autre, ça le changeait du monde du cinéma. Sur le cliché, discret, on le voit manœuvrer l'attraction. C'était un ancien modèle et il fallait donner de sa personne pour le faire tourner. 
Je n'en ai jamais parlé avec lui. Ni avec ses collaboratrices. C'est avec elles que je travaillais véritablement. Je m'étais retrouvé dans le bureau de l'une d'elles, sans rendez-vous, tout fraîchement sorti de la fac et d'une ou deux expériences de traduction de l'autre côté des Pyrénées. Je me demande encore où j'avais bien pu trouver ce culot – auprès de mon ignorance certainement. La salle Garance du Centre Pompidou organisait une rétrospective du cinéma espagnol et je m'étais proposé pour la traduction simultanée de quelques films. En ce temps-là, pas de code d'entrée, les bureaux situés rue Beaubourg étaient facilement accessibles et ma proposition facilement retenue. Je ne me souviens plus du prénom de cette jeune femme, mais c'est elle qui m'a présenté le boss. J'ai enchaîné avec eux une rétrospective du cinéma mexicain et un ou deux trucs en plus. 
J'ai rencontré une autre de ses assistantes avec une autre de mes casquettes. J'allais au Festival de La Rochelle en tant que journaliste. J'y ai déjeuné avec lui et une poignée de confrères. De ce repas succulent, je ne retiens que l'embarras d'être là, la pénibilité de certains pisseurs de copies et la brandade de morue. J'ai dû me faire prendre au même type de piège dans un ou deux autres festivals, mais peu, très peu. Fut-ce le cas à Montréal ? Pas le souvenir. Mais celui de ma rencontre avec Pierre Falardeau, oui. J'avais rapporté du Canada, outre l'amitié de Pierre, deux de ses films sur cassettes VHS. A peine arrivé à Paris, et avant de filer pour Ouaga, j'étais passé les déposer au bureau du Festival en incitant Prune et Sylvie d'y jeter deux yeux et voir si ça pouvait entrer dans leur programmation. Le long métrage fut retenu et Pierre invité à La Rochelle, puis à la maison – il avait horreur des chambres d'hôtel et apprécia mon canapé puisqu'il l'occupa de nouveau par la suite. Le court pamphlet, je pense qu'il ne fut pas montré en Charente. Mais je fis tourner, comme ça se faisait au Québec, la VHS autour de moi et auprès de mes amis anars à qui également je présentai Pierre. 
Pierre a disparu il y a déjà quelques années, à 62 ans. Je garde ses lettres longues et passionnées, le souvenir de nos soirées arrosées, de nos débats cinématographiques et politiques, de son slogan préféré Nous vaincrons !, de la sortie de son film Octobre – sa participation au Festival de La Rochelle avait suscité l'intérêt d'un petit distributeur –, le sourire de sa femme, également cinéaste, qui projetait la mystérieuse adaptation du bouquin d'Orwell, Dans la dèche à Paris et à Londres. Je pense que ça ne s'est jamais fait. Comme ne s'est jamais faite l'indépendance de la Belle Province pour laquelle Pierre avait consacré sa vie.
La mort, dans l'ombre de l'actualité, de Passek le passeur de films remue toutes ces images, et quelques autres. C'est un peu par hasard que j'ai appris la nouvelle. Sur un blogue belge. Les grands médias de chez nous, trop occupés par la déroute hollandaise, la Valls à deux temps, le piteux François Pignon et des défunts plus imposants, n'ont pas jugé bon de lui consacrer la moindre ligne. On m'avait raconté que cet amoureux du Portugal s'était installé dans ce pays une fois la retraite prise. Il est mort à Paris le 4 décembre à 80 balais. 



lundi 5 décembre 2016

Du jardinage


On nous invitait dans de sombres cuisines, dans de petits salons d'une laideur fraternelle pour d'énormes ventrées d'aubergines, de brochettes, de melons qui s'ouvraient en chuintant sous les couteaux de poche. Des nièces, des ancêtres aux genoux craquants – car trois générations au moins se partageaient ces logis exigus – avaient déjà préparé la table avec excitation. Présentations, courbettes, phrases de bienvenue dans un français désuet et charmant, conversations avec ces vieux bourgeois férus de littérature, qui tuaient leur temps à relire Balzac ou Zola, et pour qui J'accuse était encore le dernier scandale littéraire. Les eaux de Spa, « L'Exposition coloniale »… quand ils avaient atteint le bout de leurs souvenirs, quelques anges passaient et l'ami peintre allait quérir, en déplaçant force vaisselle, un livre sur Vlaminck ou Matisse que nous regardions pendant que la famille observait le silence comme si un culte respectable auquel elle n'avait pas part venait de commencer. Cette gravité me touchait. Pendant mes années d'études, j'avais honnêtement fait de la « culture » en pot, du jardinage intellectuel, des analyses, des gloses et des boutures ; j'avais décortiqué quelques chefs-d'œuvre sans saisir la valeur d'exorcisme de ces modèles, parce que chez nous l'étoffe de la vie est si bien taillée, distribuée, cousue par l'habitude et les institutions que, faute d'espace, l'invention se confine en des fonctions décoratives et ne songe plus qu'à faire « plaisant », c'est-à-dire : n'importe quoi. Il en allait différemment ici ; être privé du nécessaire stimule, dans certaines limites, l'appétit de l'essentiel. La vie, encore indigente, n'avait que trop besoin de formes et les artistes – j'inclus dans ce terme tous les paysans qui savent tenir une flûte, ou peinturlurer leur charrette de somptueux entrelacs de couleurs – étaient respectés comme des intercesseurs ou des rebouteux.

Nicolas Bouvier, L'Usage du monde, 1963

dimanche 4 décembre 2016

Apéro à la con


Un métier sans avenir


Je l'ai vue débarquer du train de Carcassonne
Où je l'avais connue par hasard en été.
Tout seul, loin de Paris, je ne connaissais personne.
Ce fut un bel amour, criant de vérité.
Je l'ai vue débarquer un dimanche à la gare,
Le sourire éclatant, la valise à la main.
Tout dans l'anatomie mais rien dans le cigare.

Ell' m'a sauté au cou au bar de l'arrivée,
Ell' m'a dit « Mon amour, j'ai tout lâché pour toi,
Mon pays, mes amis, ma vieill' mère adorée ;
Ce que je veux, mon chéri, c'est vivre sous ton toit ».
La fill' qui tomb' du ciel, j'avais pas l'habitude.
J'ai pris ça sous mon aile, comme un p'tit chat perdu.
Ell' rêvait de Paris comme on rêve des Bermudes,
Ell' me trouvait sublime, donc ell' m'avait mal vu !

J'lui ai expliqué que la vie était dure;
Que le Quartier Pigalle était un beau quartier,
Où l'on pouvait encore découvrir l'aventure ;
Il fallait tout d'mêm' bien qu'elle apprenne un métier !
Moi qui la croyais pure, qui la croyais naïve,
Je l'ai laissée courir en la suivant de loin.
Comme elle était mignone, qu'elle était persuasive,
En rien de temps, c'était la plus connue du coin.

Depuis j'ai mon duplex au dix-huitième étage
D'un immeuble de verre et tout climatisé.
Elle a fait v'nir sa sœur de son lointain village.
Vous pouvez v'nir chez moi, y a tout pour s'amuser.
Bien sûr, j'ai des amis qui me font des reproches,
Il paraît qu'j'ai choisi un métier sans avenir,
Mais avec tout l'pognon dont j'ai bourré mes poches ;
Je leur dis bien des choses… J'ai tout l'temps d'voir venir.
Bernard Dimey, Le Petit Maquereau, in Je ne dirai pas tout, Christian Pirot éditeur