mardi 22 décembre 2015

Back to work !



- Je rêvais que je me faisais arrêter.
- C'est bien que le réveil ait sonné, alors...
- Non, parce que j'étais sur le point d'être transféré en prison.
- Tu préfères la prison au travail ?

- Je mentirais si je te disais que la perspective de retrouver mes collègues m'enchante.
- De là à leur préférer les taulards...
- J'étais dans ce moment où l'on sait que l'on rêve, que tout cela n'est pas vrai, mais on veut continuer.

- Tu avais fait quoi ?
- Rien.
- Ah...
- Tu te souviens de cette histoire de goulag ?
- Non.
- Un nouveau arrive au goulag. Un détenu s'approche et lui demande la durée de sa peine.
- Ah oui. Il dit : Vingt ans...
- ...Et l'autre lui demande ce qu'il a fait. Rien. Je n'ai rien fait...
- ...Et l'autre dit : Ce n'est pas possible, rien, c'est dix ans. 
- Quelque chose comme ça. 
- C'est une vieille histoire...
- On pourrait aisément la transposer à notre époque si j'en crois certains récits. L'histoire de goulag deviendrait une histoire d'état d'urgence.
- Tu avais fait quoi, toi, dans ton rêve ?
- J'avais volé. Enfin, non, j'avais trouvé un sac. Avec du pain, et des bottes. 
- Du pain et des bottes ?!
- Des bottines assez laides, avec une fermeture sur le côté. J'avais un modèle de ce genre quand j'étais enfant. Avec fausse fourrure à l'intérieur pour des pieds bien chauds en hiver. Je croisais Maud dans mon rêve.
- Qu'est-ce qu'elle devient ? Tu ne m'avais pas dit qu'elle avait repris ses études ?
- Pour devenir institutrice, oui. Mais là, elle était libraire.
- Elle te conseillait un livre, je parie.
- Exact. Un roman américain, un pavé à 50 euros. 
- La vache ! 
- Ce n'est pas le prix qui me rebutait. Du fric, j'en avais plein les poches !
- Toi ?!
- C'est un rêve, je te rappelle. 
- Ben, quand même...
- C'est vrai que j'étais une espèce de vagabond. J'avais trouvé un portefeuille. Avec une enveloppe dedans. Et des billets de différents montants, pliés ensemble. J'avais balancé le portefeuille. Je crois même que c'était dans la rue de ma mère, à hauteur du tabac. 
- Il y a sûrement un sens. Laisse-moi réfléchir.
- Pas le temps, je vais être en retard, avec tout ça.
- Tu n'as pas fini ! C'était quoi, ces bottes, ce fric et ce pain ?
- Deux baguettes, à l'ancienne, tu sais, avec de la farine dessus pour qu'on y croit. Maud les trouvait très belles.
- Tes baguettes ?!
- N'y vois aucun symbole !
- Mais enfin, tu ne manges jamais de pain !
- Bref, c'est en discutant avec elle, je crois que j'apprenais qu'un criminel, peut-être un pédophile, était recherché. Immédiatement, en regardant les bottes que je portais, j'ai sû que le pain, le fric, les bottes, lui appartenaient et que j'étais fait, genre Le Faux coupable.
- Les baguettes, le pédophile, la rue de ta mère...
- Le pédophile, je ne sais plus. C'était peut-être un voleur. 
- Un pédophile-voleur, ça doit exister !
- En tous cas, j'étais arrêté dans la foulée. Je disais que j'avais trouvé les bottes et le pain. C'était déjà dûr à faire avaler. 
- Avaler ?
- Arrête ! On me demandait alors de vider mes poches. Je n'étais pas seul. Un autre type avait été arrêté en même temps. On devait mettre sur la table tout ce que l'on avait dans les poches. En sortant le fric, je sentais une main se poser sur mon épaule. Je n'étais pas prêt de reprendre le travail, c'était bien... 
- C'est la scène à laquelle on a assisté hier soir.
- Le contrôle de police avec les jeunes qui faisaient semblant de ne pas comprendre ce qu'est l'identité ?
- Ah bon, tu as entendu ça ? T'es sûr que c'étaient des flics ?
- Ben oui, t'as pas vu les flingues ?
- Non.
- C'est toi qui, de loin, m'as dit que c'étaient des flics. Et quand on passe devant eux, tu ne vois pas les flingues et n'entends pas ce qu'ils disent ?
- Je préfère quand tu me racontes. Et le livre, ce pavé, c'est également ce qui t'es arrivé hier soir, en te couchant.
- Qu'est-ce qu'il m'est arrivé ?
- Tu ne trouvais rien à lire.
- Si, j'ai trouvé plein de possibilités, dont des pavés, mais rien qui m'attirait, rien n'avait de saveur. Tu sais, cette sensation étrange d'être orphelin après avoir refermé un livre...
- Orphelin d'un livre ?
- Tu comprends ce que je veux dire ? J'étais dans un univers, une pensée, et je m'y sentais bien, en famille, chez moi.
- C'est drôle que tu choisisses ce terme d'orphelin...
- Pourquoi ?
- Ben, c'est un livre sur la mort de son père, non ?
- Ah oui, je n'y avais pas pensé.
- Et toi aussi, tu es orphelin de père.
- Oui, mais j'étais déjà adulte. Ou sur le point de le devenir.
- Ce que je ne comprends pas, c'est cette histoire de baguettes !
- Moi, ce que je comprends, c'est que malheureusement, je ne suis pas en prison et vais donc être en retard au boulot !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire