samedi 7 novembre 2015

Un peu d'errance en enfance





Cher Patrick, je viens de finir ton récit ce matin, du coup j'étais en retard au boulot. Je l'ai trouvé un peu par hasard, l'autre jour, sur les étagères de Gibert. J'éprouve de sales sensations dans les lieux publics que depuis que ma santé défaut. Moi qui aime traîner dans les rayons des librairies, Gibert et ses occasions en particulier, je sens que ce n'est pas le moment. J'espère que ça reviendra. Quel auteur m'étais-je promis de découvrir ? J'étais perdu devant la littérature française, incapable de me souvenir des noms que j'avais notés à l'encre indélébile dans ma tête débile, qui ne faisait que tourner, comme la langue dans la bouche, mais sans se prononcer. J'ai reçu le soutien des étagères. Je m'étais pointé à la lettre A, préparé à un long travelling. Je n'ai pas pu aller au-delà du B. Ah oui, tiens, Besson. Tu ne faisais pas partie de la dernière liste - une habitude chez toi, si j'ai bien compris (blague de saison) -, mais résigné, j'ai accepté d'examiner ton cas. Longtemps, j'ai snobé les auteurs français contemporains, à deux, trois exceptions près (Dubois, Modiano, Ernaux). Du temps de ma splendide carrière de voleur de livres - et d'ignorant -, j'en avais bien glissé quelques uns dans la poche intérieur de mon grand imper, et tenté de les lire. Quand j'y parvenais, il ne m'en restait rien. Et puis, j'ai découvert Bove, un vieux truc, j'ai tout chopé à la Fnac, sans me faire choper, c'était proche de moi. Puis Fante. Qui m'a conduit à la littérature américaine, bien plus bandante. Et puis l'Allemande, la Suédoise... La Française, je la visite sur le tard et la pointe des pieds.
J'ai choisi ton récit parce que je l'ai pensé également proche de moi. 28 boulevard Aristide Briand, je passe devant tous les jours. Ce matin, j'étais à l'arrêt au feu rouge adjacent. Je cherchais le nom de cet ensemble en déconfiture. Envolé. Comme ma mémoire. J'ai gouguelemapisé et rien, effectivement, ça ne s'appelle plus Cité du Printemps, comme à ton époque, l'hiver y est tombé depuis un moment. Pas plus de plaque - visible tout au moins - indiquant que tu y as longtemps vécu. En ces années, je tenais à peine debout - comme maintenant, mais pour d'autres raisons : né en 1963 - et  j'habitais quelques kilomètres plus bas, à la frontière de Vincennes. Tu l'auras compris, c'est pour ça que je te tutoie. Entre Montreuillois... Mon père non plus n'achetait pas de livres. Et il n'allait pas, comme le tien, à la bibli. Sa seule lecture, c'était France soir ou Le Parisien. Il ne m'a transmis que la culture du foot. La bibliothèque de Montreuil, accolée à la délicieuse pâtisserie stalinienne de la mairie, je ne l'ai fréquentée qu'en dernière année de lycée. Mais je n'ai pas le souvenir d'y avoir emprunté beaucoup de livres. Des disques plutôt, avec ma petite copine d'alors. Ensemble, nous découvrions le cinéma, les vieux films du côté des salles Action, puis tentions de trouver dans la toute nouvelle discothèque municipale de Montreuil les vinyles de chansons entendues ou les BOF - quel affreux sigle.  J'ai tellement abusé du 33 tours de Nino Rota que je ne peux aujourd'hui entendre ces mélodies sans que des images hypnotiques en noir et blanc, pas revues depuis une vingtaine d'années, n'envahissent mes yeux. Mais je m'égare.
J'ai avalé ton petit texte. Je dis petit parce que j'en redemandais. Non pas qu'il me soit finalement aussi proche que je le pensais, mon enfance et adolescence étaient bien plus crasses et dépourvues d'horizon, mais je me plaisais à errer dans ces rues avec toi, comme avec un grand frère, un cousin éloigné, ces mêmes rues que j'emprunte le soir en promenant le chien de la fille de ma compagne. Mes parents ressemblaient davantage à ta tante et ton oncle, l'ouvrier mort un an après sa retraite - mon père, maçon, a tiré sa révérence à un mois de celle-ci. Ressemblance à laquelle il faut cependant ajouter la maîtrise approximative de la langue française, l'indécrottable accent, l'intégration par l'effacement... On ne sortait que rarement du quartier et lorsque ses boutiques commencèrent à fermer, au lieu de monter pour les courses, on descendait chez les bourges de Vincennes, ville dans laquelle nous allions tout de même à l'école - ma mère, modeste femme de ménage, ayant fait passer une de ses employeuses pour notre marraine chez qui nous étions censés habiter. Les bobos qui squattent désormais ces quartiers autrefois désolés s'adonnent aujourd'hui à ce type de manoeuvre pour éviter que leurs enfants soient scolarisés à Montreuil. C'est mon seul point commun avec eux.
Je n'ai plus, comme autrefois, la névrose de lire tout ce que je trouve d'un auteur que je viens de découvrir et apprécier. Pas seulement parce que ça me reviendrait plus cher que du temps où j'étais voleur. Mais je sais que je lirai d'autres de tes livres. Et que je te pardonnerai presque d'avoir écrit qu'Annie Ernaux était un auteur lamentable. Je ne m'intéresse pas aux querelles d'écrivains, de chapelle, je les trouve vaines et ridicules. Je n'ai pas lu Millet, et je n'aime pas le personnage, les idées défendues. Mais je n'aurais jamais songé à pétitionner contre lui. Il y en aurait du boulot si on devait dénoncer tous les imbéciles. Et puis, cete tradition française de la dénonciation, très peu pour moi. Mais de là à traiter Ernaux d'écrivain lamentable... Et puis, tu dois savoir qu'avec Ernaux, vous êtes les deux seules voix - ou presque - à avoir défendu l'ex du président. Cette position distante que je me suis désormais assignée, observation parfois amusante, souvent effrayante, me permet de passer d'un auteur à l'autre sans trop de préjugés - il doit bien m'en rester qui m'échappent. Annie Ernaux m'est chère. Ne serait-ce que parce qu'un jour, après avoir lu Une Femme, j'ai proposé à ma mère d'en faire autant, elle qui n'avait jamais le temps ni l'habitude de lire. Et je me souviens encore de ses paroles, sa sensation d'avoir lu l'histoire de sa propre mère. J'avais - et possède encore - une culture anarchique, disparate, lacunaire, hybride et débridée. Dépourvue longtemps de tout sens politique ou social. Seuls les livres m'intéressaient, pas les analyses ou l'étiquetage de leur auteur. Un écrivain en appelait un autre. Et cet autre un troisième. C'est toujours un peu comme ça.
Lorsque j'ai commencé à faire le journaliste, même en dilettante, j'ai acquis quelques notions politiques de base. Forcément. Bourdieu - difficile à lire -, Galeano, Berger, Debord... Je me suis ouvert. Et fermé en même temps. Par idéologie. Tout ce qui n'était pas de gauche ou anar n'existait pas pour moi. C'était particulièrement vrai pour le cinéma puisque j'écrivais là-dessus. Maintenant que j'écris moins, que je lis davantage, l'âge aussi certainement, je suis plus flexible, ma curiosité se heurte à moins de cloisonnements. Et même s'il m'est encore difficile de comprendre comment un type brillant comme Leroy peut se dire communiste et écrire dans Valeurs actuelles, que j'aurais tendance à croire qu'on va être amenés à se radicaliser davantage, ses textes m'intéressent. C'est par son blogue d'ailleurs, il me semble, que j'en suis venu à considérer ton cas, à me dire, Bon, ce Besson écrit dans Le Figaro ou au Point, mais, au fond, qu'est-ce que je risque ?, après tout, il ne peut pas être aussi mauvais que son homonyme mafieux oeuvrant dans le septième art. En effet, ça n'a rien à voir. Je te retrouverai, chez Gibert ou ailleurs. Porte-toi bien d'ici là.

1 commentaire:

  1. Patrick Besson ? Le billet-BiBi d'alors... http://www.pensezbibi.com/?s=Patrick+Besson&x=0&y=0
    Tu as raison : Annie Ernaux est une pointure et ceux qui disent le contraire méritent un bon coup de pied au Q.

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