mercredi 4 novembre 2015

Ecrire comme il faut



En ce temps-là, on n’avait pas conscience de l’obligation impérieuse d’être gentil, comme c’est incontestablement le cas aujourd’hui, en notre temps plus sérieux d’une certaine manière que celui qui tolérait l’impertinence. Une époque, comment dirai-je, drôle, insouciante et de là, peut-être, assez hardie ou insolente, supporte plus de rudesse que n'en peut offrir une époque devenue pour ainsi dire songeuse (...) Nous autres, gens d'aujourd'hui, nous valorisons tout spécialement, pour le dire rondement, la politesse, ce petit je-ne-sais-quoi qui est admissible, et nous ne souhaitons pas que cette qualité importante, car extrêmement précieuse, fasse défaut au poète et à sa poésie. En effet, dans notre temps conscient de ses responsabilités, ce poète, si ce n'est d'un point de vue artistique, du moins d'un point de vue moral, semble être devenu quelque chose de superflu ; car il ne saurait agir très fortement sur les gens confits de sérieux que nous sommes en recourant à la forme de gravité qui, en son temps, lui permettait de convaincre les insouciants, c'était alors une évidence qu'un poète n'avait pas à se montrer gentil. Aujourd'hui, cependant, on exige de lui qu'il nous fortifie, qu'il donne à croire à l'humanité qu'elle est intelligente et bonne.
Robert Walser, Ce poète écrivait-il comme il faut, 9.8.1929,
in L'enfant du bonheur, trad. Marion Graf, éd. ZOE, 2015 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire