samedi 10 octobre 2015

J'en rigole encore




Pas de consolation. Encore une insomnie. En pensant à Leny cette fois. A Leny et à ma mère. Il ne faudrait jamais consulter les sites d'info avant de se coucher. J'ai caché mes larmes, honteux, sous la douche, me suis retenu de redescendre pour appeler ma mère. Elle a déjà assez de douleur.
C'était dans les années 80. Je ne sais plus très bien, je pense que Pariscope offrait deux places pour un récital de Leny Escudero. Sans cela, je ne serais certainement jamais allé l'écouter, faute de fric ou tout simplement d'information. J'ai également oublié de quelle maladie souffrait ma mère à cette époque. Mononucléose ? Hépatite ? Hernie discale ? Autre chose ? J'avais une vingtaine d'années, vivais encore chez mes parents, mon père était de plus en plus absent et j'essayais de rester proche de ma mère, de l'assister. Je ne connaissais pas bien l'histoire de Leny mais je savais que ma mère l'appréciait. Je lui ai proposé de m'accompagner. Elle était heureuse, je fus impressionné. J'en ressens encore les frissons, l'émotion. C'est con à dire, mais rares sont les concerts qui m'ont autant marqué. Je découvrais ce soir-là la plupart des chansons et, comme pour les écrivains qui comptaient pour moi, une certaine névrose m'obligeait à tout connaître de l'oeuvre. A la sortie du théâtre, Leny dédicaçait ses disques. La soirée ne fut pas tout à fait gratuite. J'achetais deux 33 tours, il me semble et, bien que l'exercice m'ait toujours embarrassé, demandais à ce cantautor, comme on dit en Espagne, soudainement admiré, la pose de sa signature sur la pochette des vinyles. Quelques jours plus tard, avec les mêmes économies - mes cours particuliers d'anglais -, je filais rue d'Hauteville acquérir d'autres albums. Les éditions Malypense y avaient leurs bureaux et déjà à l'époque je m'étais rendu compte que les disques de ce fils de réfugiés espagnols étaient mal commercialisés. Rapidement, je connaissais toutes les chansons par coeur. 
L'été suivant, employé étudiant à la Banque de France, je me retrouvais errant dans les rues de Paris à l'heure du déjeuner. Elle était là, à quelques mètres de moi, cette silhouette quelque peu dégingandée, cette tignasse qui la couronnait, je n'en revenais pas et je le lui dis. Là aussi, ce n'était pas dans mes habitudes d'aborder des gens dans la rue, pas même des filles, et encore moins un chanteur aussi important pour moi alors. Sa gentillesse, son naturel ont fait disparaître la rougeur de mes joues et il m'a invité à l'accompagner... jusqu'aux Galeries Lafayette où il allait chercher je ne sais plus quoi... Nous avons évoqué le concert de l'hiver puis parlé cinéma - je venais de le voir dans un film de Boisset, La Femme flic. J'arrivais en retard au bureau, un peu minable en fan, mais le coeur tout de même illuminé par cette étrange rencontre. Ce qui m'avait le plus surpris finalement, c'était Les Galeries Lafayette ! En tant qu'apprenti anarchiste, je ne mettais jamais les pieds dans les grands magasins. Pourquoi y allait-il, lui ? J'étais d'une connerie...
Il y a deux ans, j'ai lu avec un immense plaisir son autobiographie, Ma Vie n'a pas commencé. J'y comprenais enfin les liens qui m'unissaient à ce gitan, découvrais le Belleville des années 1950 que connurent également mes parents, apercevais la réalité d'une vie d'ouvrier immigré telle que la vécut mon père, retrouvais l'engagement discret et la détermination sans fin avec laquelle Leny Escudero mena une carrière fulgurante au début, puis marginalisée par la suite. J'en aimais encore davantage l'homme. 
J'ai appelé ma mère ce matin. Elle semblait surprise par cette disparition, l'avait acceptée. Elle m'apprit être allée écouter Leny à deux autres reprises après notre concert du Théâtre de Paris. Je ne m'en souvenais pas. Comment avait-elle osé y aller sans moi ?, ai-je pensé. Toujours aussi con.


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